Pollinisation par les thrips : les abeilles n’ont qu’à bien se tenir !
Thrips et pollinisation… d’après Thrips and pollination, de Dawn FRAME. Une synthèse réalisée par Ph. Chatelet.
Bien que certains soient des consommateurs avides de pollen, les thrips (Thysanoptères) sont également des agents pollinisateurs, souvent ignorés à cause de leur petite taille (rarement plus de 1 mm de longueur). De nombreuses fécondations non désirées par les hybrideurs – et quelquefois attribuées au vent – sont cependant dues à ces insectes minuscules et déjà Charles Darwin se plaignait que ses travaux sur la pollinisation étaient perturbés par ces créatures « qu’aucun filet ne peut bloquer… ».
Pourtant, ces insectes pourraient remplir ce rôle pollinisateur de longue date puisque des thrips portant des grains de pollen (de Cycadales ou Ginkgoales) ont été observés dans de l’ambre provenant d’Espagne et datée du début du Crétacée.
Leur action serait moins liée à leur capacité de transport de pollen considérée comme faible (jusqu’à plusieurs centaines de grains pour un adulte tout de même) qu’à leur mobilité sur une même plante ou des plantes voisines- surtout si elles ne sont pas trop éloignées, car leur aptitude au vol est généralement faible, même s’ils peuvent être facilement entrainés par le vent.
Beaucoup d’espèces de thrips visitent en effet plusieurs espèces de plantes pour leur nourriture ou la reproduction, une femelle ayant consommé du pollen étant d’ailleurs plus féconde. Au contraire, plusieurs Fabacées de l’Ancien Monde hébergent dans leurs fleurs des espèces tout à fait spécifiques de Thrips. Certains autres sont très spécifiques de certains types de fleurs, d’inflorescences ou de cônes. Une espèce est même le seul pollinisateur à pouvoir pénétrer dans les fleurs quasiment hermétiques de Wilkiea huegeliana (Monimiacées), un petit arbre dioïque de l’est de l’Australie.
Bien qu’il y ait de nombreuses exceptions, les végétaux “thripsophiles” présentent souvent les caractères suivants : fleurs petites à moyennes, de blanc à jaune ou bien verdâtre avec souvent des touches de rose, d’odeur agréable, quelquefois en inflorescences compactes, ou, si elles sont isolées, s’ouvrant successivement, quelquefois offrant un abri comme les fleurs globuleuses ou urcéolées, ou procurant des quantités infimes de nectar et avec des grains de pollen de taille petite ou moyenne. Certains de ces caractères recouvrent ceux liés à la pollinisation par les Coléoptères (cantharophilie) et de fait des coléoptères de petite ou moyenne taille se trouvent souvent associés aux thrips pour la pollinisation. Une exception est constituée par le cas de quatre espèces du genre Thips qui ont été identifiés comme seuls pollinisateurs de Popowia pisocarpa à Sarawak, alors que les autres Annonacées sont considérées comme majoritairement pollinisées par des coléoptères.
Les cycles biologiques des thrips et de leurs espèces hôtes sont très synchrones. Dans le schéma d’interaction le plus classique, les adultes (mâles et femelles) visitent les fleurs mâles, attirés par l’odeur, la couleur et peut-être la forme de celles-ci. Après s’être nourries de pollen et s’être accouplées, les femelles gravides pondent dans la même fleur ou d’autres fleurs mâles à l’anthèse, mais elles peuvent aussi aller pondre sur d’autres fleurs mâles non encore fertiles. La population de thrips peut ainsi augmenter rapidement, jusqu’à l’anthèse des fleurs femelles, qui sont alors visitées par les adultes attirés par les mêmes odeurs et couleurs que celles des fleurs mâles. Ils sont « récompensés » par des quantités infimes de nectar et quittent rapidement la fleur femelle, après avoir toutefois abandonné un peu de pollen. Dans un schéma très proche, les adultes et les larves de Ceratothrips ericae se déplacent sur les fleurs d’Erica tetralix et de Calluna au fur et à mesure de leur épanouissement tandis que les femelles-qui sont les seules à être ailées- peuvent atteindre d’autres plantes de la même espèce. Ce même type de comportement est observé en Australie chez les larves de Thrips imaginis, qui se déplacent journellement vers une nouvelle fleur fraîchement éclose d’Echium plantagineum (Boraginacées).
D’autres schémas d’interaction existent également; par exemple, les femelles d’une espèce de Dolichothrips pondent aussi bien dans les fleurs mâles que dans les fleurs femelles de Macaranga hullettii (Euphorbiacées), tandis que dans d’autres espèces de Macaranga apparentées, la pupation peut se faire à l’intérieur des fleurs. Les femelles de Brooksithrips chamaedoreae sont quant à elles attirées par les mâles qui se regroupent sur les inflorescences femelles de plusieurs palmiers du genre Chamaedora, probablement via une phéromone d’agrégation. De même, la chaleur émise par les cônes de Macrozamia lucida et M. macleayi (Cycadées) modifie le comportement et stimule le développement chez les espèces du genre Cycadothrips.
Les thrips peuvent enfin intervenir de façon indirecte : chez Macaranga tanarius, le pollinisateur avéré (une Punaise Anthocoride) est en fait un prédateur des thrips fréquentant également les mêmes fleurs, et pourrait être considéré comme les ayant remplacés dans leur rôle de pollinisateur ancestral (rôle qu’ils tiennent chez d’autres Macaranga, voir ci-dessus).
Il est très probable que le développement des recherches mettra au jour des nouvelles données concernant les thrips et leurs interactions avec leurs plantes-hôtes. Ainsi, l’étude de la pollinisation d’Antiaropsis decipiens, une Moracée endémique de la Nouvelle Guinée, a permis d’identifier une nouvelle espèce (Thrips antiaropsidis) qui parait en être le seul agent pollinisateur.
En conclusion, le rôle de pollinisateur des Thrips, après avoir été complètement négligé, est encore très mal connu, notamment à cause du déficit d’études complètes sur leur biologie ou celle des espèces végétales associées. Toutefois, les données déjà disponibles montrent que, même s’ils ne sont pas d’une aussi grande efficacité que d’autres pollinisateurs plus notoires, ces insectes contribuent effectivement à la pollinisation de nombreuses espèces qui procurent nourriture (pollen, nectar et/ou tissus végétatifs) et abris aux adultes et à leur progéniture.
Synthèse, traduction, et modifications par Ph. Chatelet d’après Thrips and pollination, de Dawn FRAME.
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Photo d’illustration : Adults and larvae feed within the tubular florets, via Thrips and pollination, de Dawn FRAME.
1 commentaire
Il serait interessant d’étudier l’impact des néonicotinoïdes sur ces thrips. Car si les abeilles sont en déclin, en autre, du à ces pesticides systémiques, il apparait évident que ces thrips sont également en danger de disparition puisqu’ils se nourrisent de ces mêmes pollens contaminés. A priori, ce ne sera donc pas ces thrips qui pourront sauver la pollinisation de la folie humaine.