Flore d’Afrique du Nord : l’œuvre pionnière de René Maire #MissionBotanique

L’œuvre monumentale, magistrale (Emberger, 1952), de Maire est sans doute l’une des plus conséquentes du monde de la botanique. Ce travail titanesque, à une époque où les moyens étaient nettement moins disponibles qu’aujourd’hui, ne sera sans doute jamais égalé. L’auteur n’a d’ailleurs pas pu achever ce travail de son vivant. Cette encyclopédie comporte 10566 pages de textes dactylographiés répartis en 16 volumes et intéresse l’ensemble des pays maghrébins, de la Lybie au Maroc, et pré-sahéliens, du Tchad à la Mauritanie.
Figure 1 Portrait du maitre Rene Maire
Portrait de Rene Maire (domaine public)

Biographie du Maître

De son vrai nom René Charles Joseph MAIRE, le savant botaniste est né le 29 mai 1878 à Lons-le-Saunier dans le département du Jura en Bourgogne-Franche-Comté. Il était d’origine Lorraine, descendant d’une famille bourgeoise de Lunéville et de Metz dans le département de Meurthe-Et-Moselle. Sa passion pour la nature et la botanique débuta très tôt. À 14 ans il commença à publier. À 18 ans, il fut l’auteur d’un herbier de la Haute-Saône  qui se trouve aujourd’hui au muséum d’histoire naturelle de Gray.  Sa carrière universitaire s’amorça juste après sa Licence ès Sciences qui fut obtenue à Dijon en 1897. Il fut alors Préparateur d’Histoire Naturelle Médicale à la Faculté de Médecine de Nancy (1898), puis de Botanique à la Faculté des sciences de la même Université (1899). En 1902, il obtint son Doctorat ès Sciences à Paris et fut nommé Maître de Conférences à la Faculté des Sciences de Caen en 1908.

En 1911, il fut titularisé dans la chaire de Botanique de la Faculté des Sciences d’Alger qu’il illustra pendant plus de 35 ans. En 1928,  il se vit confier l’étude botanique du Sahara central, notamment du Hoggar, l’une des missions les plus notables du savant.

L’œuvre botanique de René Maire

Dès 18 ans sa passion pour la botanique se manifeste. Bien que sa thèse portait sur la mycologie, avec la découverte de champignons dicaryon (terme qui lui revient qui désigne une cellule à deux noyaux) qui le mit en vedette à 24 ans, sa nomination à Alger fit grandir en lui un intérêt particulier pour les recherches de floristique et de systématique chez les Phanérogames.

L’œuvre scientifique de René MAIRE comprend 450 publications. Influencée par ses prédécesseurs botanistes et mycologues, Vuillemin, Le Monnier, Boudier, Godfrin et Patouillard, elle put s’épanouir splendidement, alimentée par l’afflux incessant d’informations et de matériaux, issus de nombreux voyages dans les pays méditerranéens.

On distinguait aisément trois parties dans cette œuvre : des travaux cytologiques sur les champignons, des recherches sur la systématique des champignons et une étude de la flore et de la végétation des régions méditerranéennes, plus spécialement, celle de l’Afrique du Nord.

Son ouvrage le plus célèbre, demeurant d’ailleurs inachevé, est celui de la « Flore de l’Afrique du Nord ».

Bien qu’il ait débuté dans la mycologie, le passage à l’étude des végétaux supérieurs est la conséquence, entre autre, d’une contrainte physique qui lui interdisait tout épuisement : un accident lui avait fait perdre l’usage d’un œil et, plus tard, une hémorragie au niveau de la rétine lui faisait encourir un risque similaire.

Féru des plantes vasculaires phanérogames et de phytogéographie, René MAIRE a pu étudier les principes de la sociologie végétale sous la direction de Flahault à Montpellier, de Schröter à Zurich et de Warming à Copenhague. Il accompagna ces Maîtres sur le terrain en Provence, dans les Pyrénées, dans les Alpes orientales, les Carpates et en Hongrie. Il devint ainsi un analyste affuté des associations végétales. Ses nombreuses explorations méditerranéennes, notamment en Afrique du nord aboutirent à la description de prés de 2500 formes nouvelles aussi bien au Sahara, territoire inhospitalier, jusqu’alors très peu exploré.

Ces travaux au Maroc lui permirent, par ailleurs, d’établir une division phytogéographique générale du pays si bien qu’il ait pu envisager l’origine de la flore marocaine qui lui semblait quelque peu différente de la Numidie en Algérie et en Tunisie. Il conclu alors que depuis le pliocène (il ya 5 MA), le Maroc, étendu de la péninsule Ibérique, évoluait dans un isolement relatif qui imprima un faciès floristique distinct parmi les pays du Maghreb.

La flore du Sahara

Sous les latitudes sahariennes, René MAIRE a non seulement très largement enrichit les inventaires jusqu’à alors limité à des zones accessibles, il a aussi analysé la phytosociologie des peuplements végétaux. Sur les hautes montagnes du Sahara central, (plusieurs pitons rocheux dont le mont Tahat culminant à 2918 m),  qui reçoivent plus d’eau que les plaines environnantes et d’une façon assez régulière car soumises aux influences du climat tropical, il put discerner trois étages de végétation : un étage inférieur de nature assez tropicale et deux étages supérieurs à flore de nature méditerranéenne.

Les contributions de l’étude de la flore saharienne se manifestèrent par des catalogues et fascicules au sujet de (i) la flore et la végétation du Sahara central, (ii) un dictionnaire des noms des plantes en langue tamazigh Touareg, (iii) la contribution à l’étude de la flore du Tibesti et (iv) la contribution à l’étude de la flore occidentale, réalisée en huit fascicules.

Les travaux de MAIRE  ont permis d’inventorier 480 espèces dans le Sahara central sur une surface de 1 000 000 km² , (Maire. R, 1933) et de 350 espèces (Maire. R et Monod. T, 1950), au Tibesti sur environ 250 000 km² , selon Ozenda. P, (1977).  On comprend mieux à travers ce travail de terrain, que le savant n’ait pu achever son œuvre.

Quant aux cryptogames, ils sont plus faibles que les phanérogames, comme le montre le tableau infra.  Toutefois, l’existence de 75 espèces dans le Sahara central est due à la présence d’un microclimat à proximité des Guelta et Tawleg dans le massif du Hoggar.

Tableau : Les cryptogames « sahariens »
Tableau : Les cryptogames « sahariens »

René MAIRE nous a légué un héritage d’une valeur inestimable. Son œuvre a permis de valoriser les travaux de ses prédécesseurs et d’inspirer ses successeurs (OZENDA Paul, QUEZEL Pierre, …) qui ont après lui revisité la flore pour la rendre plus accessible avec une analyse croisée des informations sur la biogéographie végétale.

Ce qui est sûr est que les travaux sur la flore saharienne sont loin d’être terminés car les zones à prospecter sont immenses. L’ouverture de pistes agricoles à l’occasion des programmes de mise en valeur subventionnés par la politique algérienne a mis en évidence de nouveaux espaces potentiels à prospecter. C’est le cas de la piste qui mène à Remtha, un site de mise en valeur ou la localité de Ain Taïba située au milieu des dunes du grand Erg Oriental.

Site de Ain Taïba
Site de Ain Taïba

L’essor des nouvelles technologies pourrait grandement faciliter cette immense tâche d’inventaire de la phyto-biodiversité, par recours à la technique de l’ADN environnemental, notamment le métabarcoding. Sur ce point une définition s’impose mais également un lien est à établir entre les travaux antérieurs et les futures possibilités.

L’ADN environnemental, concerne l’ADN qui peut être extrait d’un échantillon environnemental (eau, sol, fèces…) sans isoler au préalable des organismes cibles. Il  est composé de l’ADN extracellulaire provenant de cellules dégradées et de l’ADN cellulaire d’organismes vivants (in Taberlet et al, 2012). La première référence faite à l’ADNe date de 1987 et concernait une méthode d’extraction de l’ADN microbial à partir des sédiments (Ogram et al, 1987 in Goulon et Guervenou, 2014).

Cet ADN environnemental est décliné en deux approches différentes : Dans le barcoding, il s’agit de détecter la présence d’une espèce cible grâce à l’ADN contenu dans un échantillon environnemental. Dans le métabarcoding, il s’agit de détecter simultanément la présence de plusieurs espèces d’un groupe donné (amphibien, poisson, etc.) grâce à l’ADN contenu dans l’échantillon.

Quelle application et quel lien avec les relevés classiques ?

MAIRE avait contribué à enrichir l’herbier de l’Afrique du Nord dans une grande collection qui fut initiée par des botanistes pionniers tels que Pomel, Cosson, Battandier ou Trabut. Cette collection précieuse connue sous le nom de « herbier René Maire » comporte des milliers de spécimens entreposés à l’Institut de Botanique de l’Université de Montpellier 2 (code MPU). C’est le plus grand herbier historique concernant la flore de l’Afrique du Nord qui pourrait alimenter une banque de gènes qui servira de plate-forme de comparaison lors du métabarcoding. C’est-à-dire que les différents échantillons de sol prélevés selon un maillage étudié de façon à être le plus complet possible, seront comparés après extraction des ADN(s), à la base de données qui permettra une affiliation taxonomique.

L’avantage de cette nouvelle approche est l’amélioration des connaissances sur les peuplements végétaux dans le temps et dans l’espace, notamment les espèces dites éphémères dont le cycle est accompli en une quinzaine de jours de façon sporadique : lorsque les précipitations irrégulières et plus au moins intenses surviennent. Mais encore faut-il qu’au même moment l’accès au terrain soit possible car les tempêtes de sables qui accompagnent ces pluies peuvent rendre la tâche quasi impossible.

L’ADN environnemental permet de faire des inventaires botaniques et phyto-sociologiques précis à n’importe quel moment de l’année et sur des surfaces bien plus étendues que les inventaires dit régionaux où l’on se contente de faire pousser la flore dans des bacs au laboratoire pour évaluer le stock semencier.

C’est au final, grâce aux travaux de personnalités telles que René MAIRE que ces informations nous parviennent aujourd’hui et nous permettent d’envisager d’autres études en guise d’amélioration des connaissances.

Références bibliographiques consultées et à consulter

Concernant la flore

Quezel P et Santa S, 1962, Nouvelle flore de l’Algérie et des régions désertiques méridionales. Tome 1, Ed CNRS, Paris, 636 p

Quezel P et Santa S, 1963, Nouvelle flore de l’Algérie et des régions désertiques méridionales. Tome 2, Ed CNRS, Paris, 603 p

Ozenda P, 1977, Flore du Sahara. 2ieme édition revue et complétée. Ed CNRS, Paris, 630 p

Maire R, 1952, Flore de l’Afrique du Nord. Volume 1, PTERYDOPHYTA ; GYMNOSPERMAE et MONOCOTYLEDONAE. Ed Paul Le chevalier, Paris, 371 p. Préface : Emberger L.

Concernant l’ADNe

Pompanon, F., Coissac, E., & Taberlet, P. (2003). Metabarcoding, une nouvelle façon d’analyser la biodiversité. Mol Ecol, 11, 839-50.

L'auteur de cet article

Cet article a été écrit par Khaled AMRANI, Agronome, doctorant Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Science Po Grenoble*, PACTE, 38000 Grenoble, France. khaled.amrani@umrpacte.fr
School of Political Studies Univ. Grenoble Alpes.

Il vous est proposé dans le cadre de la #MissionBotanique lancée par Tela Botanica. Plusieurs articles sur l’histoire de la botanique vous sont proposés dans le cadre de cette campagne de communication.

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