Définition, menaces et protection de la Biodiversité. Partie 3 : comment protéger au mieux la biodiversité ?

Voici le troisième et dernier volet d’une série de 3 articles sur la biodiversité qui traite des solutions existantes basées sur les travaux de recherche pour protéger au mieux la biodiversité à tous les niveaux et en prenant en compte les changements globaux. La première partie résumait l'état actuel de la biodiversité à tous les niveaux afin de bien comprendre les liens entre la diversité génétique, des espèces et des paysages. La seconde partie mettait en avant les changements globaux (changement climatique, pollution, fragmentation etc.) et comment ils impactent la biodiversité.

Ces derniers temps, nous entendons beaucoup parler du réchauffement/changement climatique et cela est en partie dû au fait que les prévisions scientifiques des dernières décennies sont en train de se réaliser, et d’une manière bien plus intense et grave que ce qui avait été imaginé. Malheureusement, ce n’est pas le seul problème auquel nous devons faire face, la pollution, la fragmentation des aires naturelles et l’effondrement global de la biodiversité représentent aussi des problèmes majeurs. Si les espèces disparaissent, on peut penser qu’il suffit de les protéger et que tout ira bien. Est-ce aussi simple que ça ?

Les réserves naturelles sont très importantes pour la biodiversité
Les réserves naturelles sont très importantes pour la biodiversité

Un peu de contexte

Nous l’avons vu dans les parties précédentes, la biodiversité est impactée à tous les niveaux par les changements globaux et l’avenir ne présage rien de bon. Le réchauffement climatique va de toutes manières continuer pendant plusieurs décennies voire plusieurs siècles, les aires urbanisées et agricoles vont continuer à grappiller des habitats naturels et les espèces vont continuer à s’éteindre. Il n’y a pas de solutions miracles et il est trop tard pour revenir en arrière et gommer notre impact sur la biosphère.

Beaucoup de problèmes donc… Et pas seulement à cause du climat. Nous voyons bien que c’est l’organisation entière de nos modes de vie qui se doit d’évoluer. Nous devons accepter de consommer moins, ne pas avoir accès à autant de produits et de confort qu’aujourd’hui et de revoir à la baisse notre niveau global de vie. Le citoyen lambda s’habituerait assez facilement à ce nouveau mode de vie, néanmoins, pour le moment, le principal blocage vient d’en haut, des politiques environnementales catastrophiques pour le climat et la biodiversité, du green washing de notre président « Champion de la terre », des lobbys des grandes entreprises plus attachés aux bénéfices rapides qu’à ceux sur le long terme et des politiciens qui … s’en foutent un peu ou qui ont les mains liées (malheureusement d’actualité avec la démission de Nicolas Hulot).

Bref nous n’allons pas parler politique mais plutôt identifier scientifiquement quelles sont les meilleures solutions pour protéger efficacement la biodiversité et vous verrez qu’il en existe un paquet ! En effet, les scientifiques étudient ces questions depuis des décennies et commencent à avoir une idée claire des problèmes et des solutions.

Posons un postulat de base : il n’est pas possible de protéger TOUS les habitats naturels restants, aussi malheureux que cela puisse paraître. Cela est en partie dû aux ressources financières insuffisantes mais aussi au fait que nous devons exploiter les milieux pour notre propre développement. L’idée de protéger quelques grandes zones naturelles est bonne, le problème, c’est qu’une aire protégée en Asie ne va pas aider à la protection de la biodiversité en Europe, et inversement. De plus, ce raisonnement a la fâcheuse tendance à aboutir à la conclusion que nous pouvons continuer à polluer et détruire l’environnement sur l’espace qui « nous » est dédié, étant donné qu’on protège l’environnement un peu plus loin. Nous allons voir en quoi ce raisonnement est totalement dépassé.

En France, les Alpes et les Pyrénées représentent les derniers espaces encore naturels où les espèces peuvent se développer normalement
En France, les Alpes et les Pyrénées représentent les derniers espaces encore naturels où les espèces peuvent se développer normalement

En théorie

Pour protéger au mieux la biodiversité, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte, comme expliqué dans les deux articles précédents :

  •  Protéger un maximum de milieux différents pour offrir une palette diverse et variée d’habitats importants aux espèces
  • Avoir des surfaces suffisamment grandes pour permettre aux populations de se développer sur le long terme
  • Avoir aussi de petites surfaces éparpillées un peu partout pour permettre la circulation des individus

Revenons rapidement sur ces points.

Nous avons vu dans le premier article que la baisse d’un des niveaux de biodiversité entraîne la baisse de tous les autres car ils sont tous interconnectés. Mais la bonne nouvelle, c’est que l’inverse est aussi vrai, et offrir de nombreux habitats naturels variés augmente la diversité à l’échelle de l’écosystème, entraînant l’implantation de nombreuses espèces, donc potentiellement de nombreux individus et d’un brassage génétique plus important. Coupler la conservation de nombreux habitats différents (zones humides, forêts de conifères et de feuillus, prairies etc.) à la protection de grands espaces (de type parcs/réserves naturel(le)s) permet à de nombreuses espèces de se développer et d’avoir la place pour se reproduire.

En effet, les espèces animales (c’est un peu différent pour les végétaux) ont besoin d’un certain espace de vie pour : 1) avoir suffisamment de ressources pour se nourrir et 2) pouvoir se reproduire sans « voler » les ressources de ses semblables. Par exemple, une population d’escargot devrait pouvoir survivre dans 1 hectare de prairies naturelles, en revanche, une population de loup a besoin de centaines voire de milliers d’hectares pour leur survie. En gros, plus un animal est gros et en haut de la chaîne alimentaire, plus il va avoir besoin d’espace.

Enfin, la création de liens entre ces zones naturelles de grande taille est impératif pour permettre la circulation des individus, donc le renouvellement génétique de la population et ainsi éviter l’histoire de l’aquarium et de la consanguinité expliquée en première partie. Ces liens peuvent être sous forme de corridors de différentes tailles (grandes allées) ou bien sous forme de petits patchs naturels (appelés « stepping stones » ou « pas japonais » en français). Ces « pas japonais » représentent des aires de repos et de nourrissage pour les individus en chemin vers d’autres milieux naturels de grande taille où ils pourront se reproduire.

Les « hubs » représentent les grandes réserves et le reste des connexions. Source : https://www.surrey.ca
Les « hubs » représentent les grandes réserves et le reste des connexions. Source : https://www.surrey.ca

Et concrètement ?

Maintenant que nous avons compris l’idée générale, comment choisir concrètement les zones à protéger, et plus globalement, tout le réseau naturel à protéger ? La méthode la plus simple est de protéger les « hotspots de biodiversité ». Selon la définition de Myers et de ses collègues, les hotspots représentent des zones où : 1) beaucoup d’espèces végétales poussent, 2) beaucoup d’espèces sont endémiques, c’est à dire qu’on ne les retrouve QUE dans ladite zone et nulle part ailleurs et 3) que les habitats soient très menacés et détruits par les activités humaines à au moins 70% de leur surface initiale. L’idée derrière ces critères est de protéger en priorité les zones riches en espèces, avec des espèces rares et surtout en voie de disparition. Ils ont alors identifié plusieurs zones dans le monde dont,  tenez-vous bien, les habitats méditerranéens, cocorico !

Les hotspots de biodiversité dans le monde selon Myers et al., 2000
Les hotspots de biodiversité dans le monde selon Myers et al., 2000

Protéger les zones avec le plus d’espèces est bien, mais malheureusement, cela ne prend pas en compte toutes les espèces, loin de là. Il existe des plantes et des animaux très spécialisés et dépendants d’un habitat particulier ou peu d’autres espèces sont capables de survivre (falaise, désert, haute montagne etc.). Ces habitats hébergent donc peu d’espèces, mais des espèces que l’on ne trouve pas ailleurs. Selon la définition des hotspots, ces zones ne sont pas prises en compte et donc, pas protégées. De même, les habitats très riches mais « pas encore » détruits à plus de 70% ne sont pas pris en compte, ce qui est dommage car ce sont des zones encore très naturelles.

Il faudrait donc pouvoir considérer à la fois les zones très riches et très menacées en priorité, mais aussi un peu toutes les autres zones du monde pour permettre le déplacement des animaux d’une zone à une autre grâce à la conservation de petits patchs naturels. Oui mais… Avons-nous réellement la place de re-naturaliser énormément d’espaces sans nous-même mourir de faim ? En effet, le plus gros impact de l’homme sur la planète en terme d’utilisation du sol concerne l’agriculture. Et nous l’avons vu, cette agriculture est loin d’être parfaite, au contraire ! Pour répondre immédiatement à la question, nous ne mourrions pas de faim car la grande majorité des cultures (3/4) est à destination des animaux destinés à la consommation humaine… Manger moins de viande nous permettrait de manger tous un peu plus, finalement.

Utilisation globale du sol à la surface de la planète. source : https://ourworldindata.org
Utilisation globale du sol à la surface de la planète. source : https://ourworldindata.org

Sur l’image ci-dessus, nous voyons que les 3/4 des terres habitables sont consacrées à l’agriculture et donc changer le système agricole c’est changer les 3/4 de notre impact sur la surface de la planète, ce n’est pas rien ! Et pour la biodiversité, c’est beaucoup. Attention, nous parlons bien de la couverture du sol et non de l’impact global de nos sociétés. Les villes qui couvrent, d’après l’image ci-dessus, 1% de la surface totale sont tout autant responsables. De même, la faute n’est pas à imputer aux agriculteurs qui doivent déjà jongler avec un travail difficile, une attente de production démesurée et un salaire dérisoire. Nous n’allons pas parler plus longtemps des systèmes agricoles alternatifs qui existent, cela vaudrait un nouvel article tant le sujet est vaste et intéressant, mais citons rapidement quelques idées principales afin de réduire l’impact de l’agriculture sur la biodiversité.

Il faut tout d’abord arrêter la monoculture et cultiver plusieurs espèces en même temps qui vont alors s’entre-aider pour leur croissance. Il faut ensuite arrêter les intrants et laisser les cycles naturels faire leur travail, comme mentionné dans le second article. Il faut créer des parcelles plus petites, moins mécanisées, entourées d’espaces naturels afin de laisser les populations de ravageurs être régulées par leurs prédateurs. Il faut arrêter de cultiver des « clones » et laisser la variabilité génétique s’exprimer pour protéger les plantes contre les maladies. Enfin – mais c’est encore un autre débat – il faut une politique agricole qui finance mieux les agriculteurs et arrête de ne penser qu’en terme de production. Du côté du consommateur, il faut accepter de ne pas pouvoir manger des fruits tropicaux en hiver, relocaliser la production de fruits et légumes et consommer la production locale de saison.

En conclusion

Concrètement, il faut protéger localement la biodiversité mais avec une vision globale. J’aime beaucoup l’idée qu’il faille réduire notre impact sur la nature partout, mais aussi de l’intégrer partout dans nos sociétés : planter des arbres en ville, laisser les prairies se développer au pied des arbres ou sur les trottoirs, créer beaucoup de petits parcs naturels – plus naturels que les parcs actuels des villes -, laisser plein de petits îlots sauvages entre les champs cultivés, entre les immeubles etc. L’idée principale est de réduire la différence drastique entre le « naturel » et le « non naturel » afin d’avoir du « naturel » et du « moins naturel » partout. Il doit exister des sanctuaires de biodiversité (grands espaces protégés) pour permettre aux organismes qui ont besoin de beaucoup d’espaces de survivre, mais aussi énormément de petites et moyennes zones naturelles autours de toutes les villes, dans tous les types d’habitats.

A travers ces longs (très longs) articles, vous pouvez avoir une idée générale des problématiques que l’on rencontre en biologie de la conservation et en écologie. L’effondrement de la biodiversité nous impacte tous et à diverses échelles comme présenté dans cet article. Vous voyez ici que les solutions existent, et nous savons qu’elles fonctionnent, mais leur mise en oeuvre nécessite un changement drastique de cap et de priorités politiques. Ce changement doit s’effectuer rapidement et les nombreux appels récents en faveur de la biodiversité prouve bien l’urgence dans laquelle nous nous trouvons.

Les effets du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité ne se font ressentir qu’après le dépassement d’un certain seuil car le système global est très résilient (difficile à changer). Néanmoins, lorsque ces seuils sont dépassés, il est très difficile (voire impossible) de revenir en arrière, même après plusieurs siècles. Par exemple, même si nous arrêtions totalement de rejeter du CO2, le climat continuerait de se réchauffer pendant encore plusieurs décennies et les espèces aujourd’hui disparues ne reviendront jamais.

N’hésitez pas à consulter les différentes ressources des 3 articles pour aller plus loin dans la réflexion ! Encore une fois, ces articles dépeignent une vision vulgarisée des problématiques environnementales, la réalité des interactions écologiques est bien plus complexe qu’elle n’y paraît, mais l’idée était de résumer et de présenter les grandes lignes.

Une petite vidéo pour terminer l’Infrastructure Ecologique qui pourrait être une solution pour considérer tous les aspects de la protection de la nature avec le développement humain.

L’excellentissime vidéo d’Aurélien Barrau sur la nécessité de changement de société et sur la destruction de la biodiversité, à écouter absolument si ces thématiques vous intéressent.

De manière plus vulgarisée, la dernière vidéo en date de Balade Mentale sur Youtube est aussi une jolie pépite qui fait réfléchir :

Enfin le site Internet ilestencoretemps qui regroupe les potentielles actions que nous pouvons tous faire pour contribuer à la sauvegarde de la biodiversité :

Arthur Sanguet

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