Le bocage, un milieu qui ne « haie » pas la biodiversité !
Aujourd’hui, le bocage est défini comme un paysage anthropique (créé par l’Homme), caractérisé par la présence de haies qui clôturent les prairies ou les cultures. Ces parcelles sont souvent connectées à des boisements. A l’intérieur des prairies, il est fréquent de trouver des mares qui font également parties de la structuration de ce paysage.
Le bocage est une structure paysagère ancienne qui a débuté entre le XIème et XIIIème siècle et qui est étroitement associée au développement de l’agriculture. Les cultures céréalières, les élevages ainsi que l’utilisation des arbres pour le bois de chauffage ont entraîné d’important défrichements de forêts. Ce sont ces pratiques qui ont permis de créer les zones ouvertes typiques du bocage. Un peu plus tard, afin de lutter contre les pâtures intempestives du bétail dans les champs de céréales (car les vaches n’ont pas vraiment conscience de la propriété privée !), les cultivateurs commencèrent à planter des haies pour clôturer leurs parcelles et les protéger.
L’évolution du bocage a perduré dans ce sens pendant plusieurs siècles mais l’intensification et la mécanisation des pratiques agricoles du XXème siècle ont grandement changé la dynamique de ce paysage.
Suite à la seconde guerre mondiale, de nombreux bocages vont être dégradés. A cette époque, une majorité d’agronomes se mettent à penser que l’arbre et la haie limitent le développement de l’agriculture. Malgré de vives contestations de la part des agriculteurs installés depuis plusieurs années, les plus jeunes vont quand à eux y voir l’opportunité d’être reconnus pour leur modernisation.
Ainsi pendant près de 40 ans, les haies du bocage vont subir des arrachages massifs pour adapter les champs aux nouvelles pratiques agricoles. On estime que 40 à 80% des bocages d’Europe sont perdus depuis les années 1960. En France, les haies ont régressé de 45 000 km par an entre 1960 et 1980 soit près de 1 million de kilomètres en 20 ans. Il reste dans le pays moins d’un tiers des haies et des arbres que l’on pouvait trouver entre 1850 et 1910, à l’apogée du bocage.
L’évolution des pratiques agricoles et ses impacts sur la structuration des paysages bocagers ne sont pas sans conséquences sur la biodiversité. En effet, l’important développement urbain des zones rurales et l’augmentation du réseau routier ont entraîné un découpage du bocage et une perte de connexion dans le réseau de haies.
Ces modifications de l’habitat sont des causes majeures de la diminution de la biodiversité et de la disparition des espèces. Des déclins catastrophiques ont été décrits dans la plupart des groupes de vertébrés, qui font l’objet d’études approfondies depuis plusieurs décennies. Plus de 40% des espèces d’oiseaux associées aux pratiques agricoles sont en périls. Les effondrements de populations concernent souvent quelques espèces, mais ils entraînent en cascade des perturbations au sein des communautés végétales et animales en provoquant une accélération de la détérioration de l’écosystème.
Les rôles biologiques des haies sont complexes et leurs intérêts varient pour les différentes espèces présentes. Elles peuvent avoir un rôle de corridor écologique en permettant aux animaux de se déplacer à l’abri des prédateurs. Elles sont aussi de véritables réservoirs de biodiversité pour les insectes ou les mammifères, comme les chauves-souris, qui trouvent des abris dans les arbres creux.
Les reptiles, comme la vipère péliade, utilisent les réseaux linéaires du bocage (c’est-à-dire les continuités de haies) pour se déplacer, s’abriter ou encore chasser. Les mares sont un lieu de vie permanent pour plusieurs espèces mais aussi un lieu de passage pour tous les autres animaux présents, que ce soit pour s’y abreuver, s’y nourrir ou s’y reproduire comme le font un grand nombre d’amphibiens.
Ces différents constats conduisent les politiques, les scientifiques et les naturalistes à mettre en place des travaux de conservation et de mise en valeur de l’importance du bocage pour la biodiversité. Les découvertes scientifiques récentes en écologie permettent de redécouvrir ce patrimoine paysager qui a su associer les activités humaines à un écosystème équilibré et durable.
Loin d’appartenir au passé, le bocage représenterait peut-être notre avenir.
• Boissinot, A., Braconnier, H., Braconnier, J.-C., Braconnier, H., Braconnier, N., Morin- Pinaud, S., and Grillet, P. (2014). Terres de bocage : concilier nature et agriculture (Editions Ouest-France).
• Baudry, J., and Jouin, A. (2003). De la haie aux bocages: organisation, dynamique et gestion (Editions Quae).
• Lecq, S. (2013). Importance de la structure des haies, des lisières, et de la disponibilité en abris sur la biodiversité, implications en termes de gestion. Manuscrit de thèse de l’Ecole Doctorale Gay Lussac, Sciences pour l’environnement de l’université de Poitiers.
• Perichon, S. (2004). L’impossible reconstruction des bocages détruits. L’Espace Géographique. tome 33, 175–187.
• Tucker, M., and Heath, M.H. (1994). Birds in Europe: their conservation status. BirdLife International, Cambridge (UK).
• Baudry, O., Bourgery, C., Guyot, G., and Rieux, R. (2000). Les haies composites réservoirs d’auxiliaires.
• Verboom, B., and Huitema, H. (1997). The importance of linear landscape elements for the pipistrelle (Pipistrellus pipistrellus) and the serotine bat (Eptesicus serotinus). Landsc. Ecol. 12, 117–125.
• Graitson, E. (2008). Éco-éthologie d’une population de vipères péliades (Vipera b. berus L.) dans une région de bocage du sud-
ouest de la Belgique. Bull Soc Herp Fr 128, 3–19.
• Fiorito, S., Cazzanti, P., Rolando, B., Castellano, S., Rolando, A., and Giacoma, C. (1996). Post-breeding dispersal by adult
common frog Rana temporaria studied by radio- tracking. Studi Trent. Sci. Nat., Acta Biol., vol 71, 183–189.
Rédigé par Jérémie Souchet et révisé par l’association Ad Naturam, cet article fait suite à l’appel à contribution sur le thème de l’arbre. Si vous aussi, vous êtes inspirés, n’hésitez pas à nous faire part de vos articles à l’adresse mail suivante : apa@tela-botanica.org. Vous pouvez également consulter et rejoindre l’espace projet Auprès de mon Arbre qui vous permettra d’échanger sur la thématique, de partager vos actualités et poser vos questions sur le forum !
10 commentaires
Merci beaucoup pour cet article !
Voir également l’article récent que j’ai rédigé sur les haies dans les actus de Tela :
https://www.tela-botanica.org/2018/11/eloge-de-la-haie-la-mal-aimee/
Le bocage peut également être des champs séparés de talus. En français, il existe diverses références dont qui date de plusieurs années et avec quelques erreurs de détail. Depuis, j’ai par ailleurs d’autres articles sur les talus oligotrophes et sur les relations avec la malherbologie. cf. par ex. ; il y en a 2 dans la revue Penn ar Bed de BV.
Les liens ne sont pas passés ; voici des pistes pour en retrouver 2 : « agropeps.clermont.cemagref.fr/mw/index.php/Maintenir_ou_cr%C3%A9er_des_talus » et le fichier en ligne « wBocageTx.pdf »
Merci pour cet article ! Je conseille vivement le livre « Terres de Bocage, concilier nature et agriculture) cité dans les sources !
https://www.decitre.fr/livres/terres-de-bocage-9782737362682.html
En Charente-Limousine, nos haies, mares, bocage, sont en cours de destruction massive sous le coup des implantations éoliennes. Les affairistes s’appellent Engie Green, Volkswind, Abo Wind, Valeco, EDF EN. Les prochains sites condamnés sont sur la commune de Turgon, avec éradication des haies hautes et moyennes à pies-grièches et capricornes. Et sur Chasseneuil-sur-Bonnieure, (falconidés, strigidés, chiroptères). En plein terrain karstique pour Chasseneuil, à quelques centaines de mètres de la Grotte de La Fuie. Tout ça pour une illusoire transition énergétique, puisque le facteur de charge éolien est d’à peine 18%. Et que pendant les périodes de pétole, l’intermittent est compensé par les centrales à gaz. On marche sur la tête. Nous avons la centrale nucléaire de Civaux à peu de distance, et ce n’est pas l’intermittent qui va remplacer le pilotable.
Dans notre pays de bocage, nous élevons des bovins charolais depuis qu’ils existent. Peu de haies ont été détruites, mais leur gestion laisse à désirer:
-certaines taillées tous les ans ne font plus que 60cm de haut et 50 de large malgré les protestations des chasseurs. Il n’y a presque plus de lièvres, plus de lapins et de perdrix. Autre effet, il n’y a plus de baies pour assurer la nourriture hivernale des oiseaux.
-Les exploitation de plus en plus grandes ne laissent plus le temps d’entretenir mécaniquement les fils de clôture électrique, le recours aux débroussaillants chimiques hélas, y pallie. C’est un appauvrissement de la flore remarquable réfugiée au pied des haies.
Il ne reste plus que les fossés des bords de route qui présentent de très nombreuses écologies et dont la gestion est en cours d’amélioration et les lisières des bois de feuillus.
Bonjour!
Des sources sur le bocage qui peuvent intéresser:
* Les actes des rencontres bocage richesses d’avenir:
http://rencontresbocages2014.stationdesmetz.org/
* un diagnostic de l’état et des potentiels (biomasse/biodiversité/eau) des réseaux de haies sur un territoire restreint:
– posters de synthèse: http://www.stationdesmetz.org/spip.php?article80
– rapport d’étude (biodiversité/eau): http://www.stationdesmetz.org/IMG/pdf/saviard_paul_2017_diagnostic_ecologique_des_reseaux_de_haies_de_pf.pdf
Consulter aussi le site de l’afac-agroforesteries de l’afaf
Le constat principal aujourd’hui est effectivement de voir de quelle haie on parle (largeur, diversité…) et surtout de ce qu’il y a entre les haies, car des prairies à flore diversifiée restent un élément de base pour la survie de nombreuses espèces d’insectes et d’oiseaux.
La photo en tête de l’article ne fait pas rêver un botaniste car ce qu’il y a entre les haies n’est pas très biodiverse. Donc aujourd’hui de nombreux territoires à plus de 60 m de haies par hectare, se transforment sous les semoirs de prairies temporaires, en de jolis déserts vert fluo.
Donc attention à ne pas faire de la haie, l’arbre qui cache la biodiversité. C’est une condition nécessaire à bien des égards (pollution diffuse, érosion, habitat d’espèce…) mais pas suffisante pour définir des territoires agro-écologiques résilients.