Les plantes envahissantes, la nouvelle « chasse aux sorcières de la science » ?
« Croisade contre les plantes invasives », « racisme envers les plantes », « plantes invasives et immigrés, même combat » : un article orienté
Rapidement, on se rend compte que l’article décrit le point de vue d’une personne qui rapproche le « sort » des plantes « invasives » à celui des migrants. Attardons-nous rapidement sur ces quelques phrases illustrant cette position.
« Cette nouvelle croisade contre nous autres « plantes invasives » ressemble à s’y méprendre à une chasse aux sorcières, dont bien entendu, modernisme oblige, la science se porte garante. »
« Le tout sur fond de racisme : en quoi aurions-nous moins de droits que les plantes qui se trouvaient ici avant notre arrivée ? Elles non plus n’ont pas toujours été là. Elles ont débarqué au fil des refroidissements et des réchauffements du climat sans qu’un quelconque Le Pen paléolithique ne vienne contester le bien-fondé de leur présence… Plantes « invasives » et immigrés : même combat ! »
Bon je pense qu’il n’y a pas besoin de plus de preuves de l’orientation de l’article qui part du principe que la science adore les chasses aux sorcières, que les scientifiques et naturalistes qui luttent tous les jours pour stopper l’effondrement de la biodiversité sont un peu comparés à des extrémistes racistes en arrachant les plantes envahissantes qui elles-même sont comparées à des immigrés… Et puis le reste de l’article est parsemé d’exemples utilisés dans un mauvais contexte. Par exemple, le fait que l’Homme cherche désespérément à contrôler son environnement et éliminer tout ce qui se met sur son chemin, dont les plantes invasives n’a aucun sens puisque c’est nous-même qui avons introduit ces plantes devenues envahissantes et problématiques !
Alors oui, les plantes « indigènes » n’ont pas toujours été là et à l’échelle des temps géologiques il y a des phénomènes de colonisation/disparition du continent européen aux fils des cycles de glaciations (qui s’étalent sur plusieurs dizaines de millier d’années). Mais les plantes considérées comme « invasives » sont arrivées en grand nombre, très récemment, dans un pas de temps minuscule à l’échelle d’un cycle glaciaire et surtout, elles ont été apportées par nous, les Hommes. Dire que les plantes envahissantes et les indigènes sont finalement toutes des plantes « venant d’ailleurs » revient à dire que le réchauffement climatique, ce n’est pas grave car il a déjà fait plus chaud auparavant… On mélange complètement les phénomènes en jeux, les responsabilités et les échelles de temps.
Bon, l’article est orienté. Mais qu’en est-il de la réalité ? Qu’est ce que l’on appelle une plante « invasive », et quelles sont les conséquences sur la biodiversité locale pour que la « science » souhaite autant leur lente et terrible agonie ?
Il faut bien faire la différence entre plusieurs termes : plantes « invasives » (on dit « envahissantes » d’ailleurs en français), exotiques, et mauvaises herbes.
Commençons par les « mauvaises herbes ». En fait, il n’y a pas de « mauvaises » herbes ou de « mauvaises » plantes d’un point de vue purement biologique. Simplement, le terme fait référence à des espèces généralement communes dont nous ne tirons aucune utilité (même si certaines sont comestibles) et qui ont tendance à pousser à la place de nos plantations, que ce soit dans les champs, dans les pots, ou dans les potagers. Vous avez par exemple le pissenlit, le chiendent, le liseron, le trèfle, etc. Ces noms communs peuvent représenter plusieurs espèces. Ces plantes sont généralement indigènes, c’est à dire qu’elles poussent naturellement dans nos régions et n’ont pas été récemment introduites. Ce sont en revanche souvent des plantes qui aiment les milieux cultivés/perturbés et qui se caractérisent par une croissance rapide, une floraison abondante et une dispersion très efficace. Elles poussent naturellement dans des habitats perturbés, temporaires, et ont donc besoin de rapidement boucler leur cycle de vie (et se reproduire efficacement) si elles veulent survivre dans la nature (chablis, falaise, zone inondable etc.).
Passons aux exotiques (ou exogènes/néophytes), elle n’ont rien à voir avec les tropiques ou les plantes d’intérieur, ce terme regroupe en fait toutes les plantes qui ne sont pas indigènes, c’est à dire qu’elles ont été introduites – quasiment exclusivement par l’Homme – récemment au court de l’histoire. Cela peut faire déjà plusieurs siècles ou seulement quelques décennies. Elles sont souvent originaires d’Amérique du Nord, d’Asie voire d’Australie et arrivent à survivre dans notre climat car elles poussent elles-même dans un climat similaire, sous les mêmes latitudes, mais ailleurs sur la planète. Ces plantes exotiques sont souvent des échappées de jardins privés ou botaniques et ont été traditionnellement cultivées pour leur caractère ornemental. Elles se divisent en deux catégories : les exotiques naturalisées que l’on retrouve dans nos milieux naturels sans pour autant poser de problèmes directes à la biodiversité indigène, et les exotiques envahissantes (= « invasives »)
Les plantes envahissantes sont donc des plantes exotiques, venant d’ailleurs, mais qui ont un développement incontrôlé dans leur nouvelle aire de répartition au point de prendre la place des espèces indigènes. Elles ont été introduites par l’Homme, volontairement ou non. Nous voyons ici que le véritable problème de ces plantes n’est pas tant leur origine comme l’article semble vouloir le faire croire, mais bien leur développement dans les habitats naturels locaux.
Nous nous concentrerons ici sur les plantes envahissantes mais il existe aussi tout un tas d’insectes et d’animaux exotiques envahissants qui posent aussi de nombreux problèmes (économiques) peut être plus visibles (frelon asiatique qui décime les abeilles domestiques, pyrale du buis qui a rasé les buxaies (forêt de buis) françaises etc.).
Tout d’abord, il faut se rendre compte qu’il est extrêmement difficile pour une espèce de s’implanter dans une nouvelle aire géographique. Il faut réunir plusieurs conditions pour cela avec à chaque étape des risques de disparition.
1) Il faut déjà que la plante atteigne la nouvelle aire, sous forme de graine ou de propagule (morceau de racine, bouture etc.). Ce phénomène, aujourd’hui facilité par les transports globalisés de notre société, était traditionnellement le facteur qui empêchait les espèces poussant dans un climat similaire au notre d’arriver dans nos contrées. Il existe en effet tout un tas de barrières naturelles qui bloquent la dispersion des espèces comme : les déserts, les mers/océans, ou les chaînes de montagne.
2) Il faut ensuite que la propagule pousse/germe et donne naissance à une nouvelle plante capable d’atteindre la maturité sexuelle dans de bonnes conditions sans se faire manger par un herbivore, sans attraper de maladie etc. Le froid de l’hiver en Europe met généralement fin à toutes les plantules tropicales qui arrivent tout de même à pousser durant l’été.
3) Il faut ensuite que la fleur soit fécondée et produise des graines. Il est donc nécessaire qu’il y ait suffisamment d’individus, féconds en même temps, et que les pollinisateurs locaux soient attirés par ces nouvelles fleurs (ou qu’il y ait une pollinisation par le vent). Là encore, les probabilités de réussite sont minimes sauf si l’espèce s’autopollinise et ne dépend donc pas de forces extérieures pour sa reproduction.
4) Finalement, il faut que le fruit arrive à maturité et que les graines soient correctement dispersées pour que le cycle recommence.
Il est très difficile de savoir avec précision pourquoi une plante devient envahissante, d’autant plus que certaines espèces ont été introduites il y a fort longtemps et ne sont devenues envahissantes que plusieurs décennies après leur introduction. Cela proviendrait du fait qu’elles ont parfois besoin de temps pour complètement s’acclimater aux nouvelles conditions, ou que la population a besoin d’un certain nombre d’individus avant d’être réellement capable de se reproduire efficacement. Néanmoins, plusieurs critères semblent favoriser le caractère envahissant des espèces : une croissance rapide, une dispersion et une multiplication efficaces, de l’autopollinisation et donc une indépendance aux pollinisateurs, une préférence pour des milieux perturbés etc.
Les plantes envahissantes chez nous ne le sont pas dans leur pays d’origine, pourtant elles ont les mêmes caractéristiques. Comment cela se fait-il ? Il y a plusieurs choses à prendre en considération. Dans leur habitat naturel, ces espèces ont évolué avec une multitude de contraintes et d’interactions avec des animaux, des champignons, d’autres plantes etc. Par exemple, la compétition avec les autres espèces pour la lumière ou les nutriments, l’herbivorie des animaux ou des insectes à laquelle l’espèce doit faire face et se protéger, les maladies cryptogamiques (champignons) qui régulent aussi les populations etc. Sorties de leur habitat, ces contraintes et interactions changent et certaines disparaissent. Lorsqu’elles arrivent dans une nouvelle aire géographique, les herbivores (animaux + insectes) et les maladies n’ont pas évolués pour s’attaquer à ces nouvelles espèces et les laissent donc tranquilles. Cela signifie que les envahissantes sont rarement mangées ou malades et peuvent croître en toute sérénité alors que les espèces locales luttent constamment contre des maladies ou des parasites. Cela leur confère un avantage certain sur leurs concurrentes indigènes et pourrait expliquer pourquoi leur développement pose problème chez nous et non dans leur milieu naturel. Attention, je vous rappelle que toutes les espèces exotiques ne sont pas envahissantes, loin de là ! Les envahissantes représentent finalement une faible proportion problématique d’espèces exotiques. Enfin, il n’y a pas que chez nous que nous souffrons d’espèces envahissantes. En Amérique du Nord par exemple, beaucoup d’espèces européennes et françaises posent des problèmes considérables aux écosystèmes américains alors qu’elles peuvent parfois être rares chez nous !
Les espèces envahissantes posent de vrais problème pour la biodiversité, c’est même ce qui les définit en fait. Tout d’abord, là où une plante exotique pousse, une plante indigène ne peut pas pousser. Les envahissantes réduisent donc virtuellement la place disponible pour les espèces locales, et nous savons que la biodiversité indigène est déjà extrêmement fragilisée par l’expansion des activités humaines. De plus, les espèces les plus problématiques poussent généralement dans des milieux rares et très sensibles. Par exemple, les zones humides abritent une biodiversité exceptionnelle mais sont envahies par la Renouée de Japon (Reynoutria japonica). Dans ces milieux, elles remplacent parfois totalement les espèces locales qui disparaissent !
Selon le dernier rapport de l’IPBES qui fait office de référence en terme de recherche sur l’état de la biodiversité, les espèces invasives font parti des 5 grandes causes directes de l’extinction des espèces avec le changement climatique, la conversion des espaces naturels, la pollution au sens global et l’exploitation directe des organismes. Je vous invite d’ailleurs vivement à lire ce rapport très bien fait pour vous faire votre propre idée de la situation actuelle (il date de mars 2019).
Voici quelques exemples de plantes envahissantes en France :
Les plantes envahissantes posent problème, c’est certain. Mais qu’en est-il des exotiques qui se naturalisent ? Finalement, nous avons vu que la biodiversité indigène a déjà de moins en moins de place pour survivre et si de nouvelles espèces arrivent avec les mêmes niches écologiques, cela risque de fragiliser les équilibres des écosystèmes. D’autant plus que les espèces locales entretiennent des interactions fortes avec toute la biodiversité locale (insectes, oiseaux etc.) permettant une certaine résilience des écosystèmes. En revanche les plantes exotiques ont en moyenne moins (voire pas du tout) d’interactions avec la biodiversité locale et entretiennent donc moins la résilience des écosystèmes.
Pour autant, le débat est plus complexe que ça. Les espèces exotiques qui se sont naturalisées semblent finalement se faire réguler par les organismes des écosystèmes locaux et peuvent même s’avérer utiles : certaines d’entre-elles offrent de la nourriture aux pollinisateurs par exemple. C’est ce que l’on appelle un service écosystémique, et certaines espèces exotiques en produisent beaucoup, de services ! Enfin, certains posent la question du changement climatique et de l’inévitable introduction de nouvelles espèces, plus adaptées au climat futur que nous subirons (températures plus chaudes et moins de précipitation). Je vous donne mon avis personnel en fin d’article à ce sujet.
Comme chez les insectes envahissants, la lutte contre ces plantes est très difficile et coûteuse. Il y a peu de victoires et lorsqu’une espèce semble éliminée, elle revient quelques années plus tard. Il y a pourtant régulièrement des campagnes d’arrachage des espèces problématiques mais il est impossible d’être certain d’avoir enlevé tous les individus. De plus, certaines d’entre-elles se reproduisent très bien végétativement, à partir de morceaux de racine, rhizome, feuille etc. Enfin, certaines graines peuvent rester dormantes sous terre pendant plusieurs années avant de germer, ce qui complique encore plus la situation.
Pourtant, il est important de protéger la biodiversité locale – déjà très impactée par les activités anthropiques – car nous sommes complètement responsables de l’introduction des envahissantes. Les insectes envahissants sont parfois régulés au bout de quelques années par des prédateurs locaux (oiseaux par exemple) qui apprennent à utiliser cette ressource de nourriture. Il est en revanche plus difficile de se débarrasser des plantes de cette manière car les insectes herbivores ou les champignons ont peu, voire pas du tout, de capacité d’apprentissage. Il faut donc aujourd’hui financer des campagnes d’arrachages systématiques.
Nous pourrions lutter à notre niveau en n’encourageant pas la plantation d’espèces exotiques partout et encore moins d’envahissantes. En effet, les haies de nos jardins, les espèces plantées dans les rond-points et autres massifs communaux sont quasiment exclusivement des espèces exotiques au potentiel envahissant non négligeable pour certaines d’entre-elles (je pense notamment au ricin qui en plus d’être envahissant est extrêmement toxique) ! Un bon début dans la lutte contre ces invasives serait de planter des espèces locales et de limiter les exotiques surtout lors de plantation de masse, il existe un paquet de plantes indigènes parfaitement compatibles pour les haies et les massifs. Il faudrait aussi pouvoir reconnaître les espèces problématiques et les arracher dés lors qu’on les rencontre…
J’espère vous avoir fait comprendre tout l’enjeu autour des plantes envahissantes qui représentent une problématique compliquée mais terriblement d’actualité. Ces espèces ont été introduites par l’homme et représentent aujourd’hui un danger pour la biodiversité locale.
Mon avis est qu’il faudrait lutter encore plus efficacement contre les espèces envahissantes et fortement limiter l’introduction d’espèces exotiques si nous pouvons les remplacer par des espèces locales, qui interagissent avec la biodiversité locale. Je trouve aussi dommage de vouloir introduire de nouvelles espèces exotiques dans les forêts, par exemple, afin d’optimiser la production de bois dans un contexte de changement climatique (c’est une question qui se pose vraiment actuellement). En effet, comme la (très grande) majorité des forêts sont gérées et entretenues pour qu’elles soient économiquement rentables, les espèces locales ne sont peut être plus les plus intéressantes pour la production de bois si les températures augmentent. L’idée est donc de les remplacer par des espèces de climat plus chaud. Mais cela reviendrait à changer complètement la base du système trophique de ces écosystèmes alors que la vraie solution serait de ne pas entretenir le changement climatique ! Enfin, pour revenir à l’article qui m’a servi de prétexte pour parler des espèces envahissantes, je pense qu’il faut faire attention à ce que l’on écrit sur Internet pour ne pas que cela soit repris, ou interprété comme une vérité absolue dés lors que l’on donne un point de vue. Faire l’éloge des plantes envahissantes est problématique, surtout si cela incite certains lecteurs à en cultiver ou à les multiplier !
Je voudrais pour terminer ouvrir un peu la discussion concernant les plantes exotiques plantées. Je trouverais cela fort dommage que les arbres plantés dans les rues, les plantes des haies ou des massifs soient exactement les mêmes que l’on se trouve en France, aux États-Unis, au Japon ou en Nouvelle-Zélande. Nous observons une sorte d’uniformisation de la végétation des grandes villes aux climats similaires et cela enlève un peu de l’identité visuelle et du charme des différentes régions de la planète.
J’attends vos avis dans les commentaires =)