Cambodge : Nom bât, nom kôm et nom ânsâm, friandises khmères festives et coquines

Voyage ethnobotanique à la rencontre des variétés de "nom" du Cambodge, préparations sucrées ou salées où les végétaux occupent une belle place.

Quand on s’intéresse à la gastronomie du Cambodge, on est frappé par la variété des « gâteaux » (នំ [num], prononcer « noum ») confectionnés par les maîtres-queux locaux. En réalité, la traduction par « gâteau » de mot khmer « nom » est un peu imprécise, car le mot khmer sert à désigner une large palette de préparations, le plus souvent sucrées, mais aussi, fréquemment, salées, qui vont des gâteaux de riz glutineux cuits dans des tubes de bambou, aux préparations frites réalisées à partir de pâte de blé, en passant par les nouilles de riz fraîches ou les gâteaux de farine de blé cuits à la vapeur…

Parmi ces préparations, il en est trois qui sont systématiquement confectionnées lors des grandes fêtes traditionnelles, telles que le nouvel an khmer (mi-avril), ou encore la fête des eaux.

Le « nom bât » (នំបត់)

Premièrement, il y a le « nom bât » (នំបត់), de forme plate et carrée, d’environ 6~8 centimètres de côté, qui est une préparation à base de farine de riz glutineux, farcie avec des haricots mungo hachés, de saveur salée, cuite enveloppée dans un morceau de feuille de bananier.

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Nom kôm – Photographie de Pascal Médeville

Le « nom kôm » (នំគម)

Vient ensuite le « nom kôm » (នំគម), fabriqué lui aussi à base de farine de riz glutineux. Il diffère du précédent en ce qu’il est de forme pyramidale et qu’il est garni d’une farce faite de noix de coco râpée et sucrée. Il est également enveloppé dans une feuille de bananier, ses dimensions sont sensiblement les mêmes que celle du nom bât, et il est lui aussi cuit à la vapeur.

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Nom kôm – Photographie de Pascal Médeville

Ces deux friandises se conservent mal, elles doivent être consommées dans la journée, au plus tard le lendemain après avoir été réchauffées à la vapeur. Leur prix est modique : moins de 0,25 euro pièce.

Le « nom ânsâm » (នំអន្សម)

Le troisième mets, le « nom ânsâm » (នំអន្សម), jouit d’une immense popularité. Il se présente sous la forme d’un cylindre d’une quinzaine de centimètres de long et de huit ou dix centimètres de diamètre. Ce cylindre est constitué de riz glutineux. Il est enveloppé de façon dense dans des rectangles de feuilles de bananier superposés, et solidement ficelé. Le nom ânsâm est garni d’une farce qui peut être salée ou sucrée. La version sucrée utilise en guise de farce une banane de la variété « namva » (ចេកណាំវ៉ា [chék namva]), à la peau verte et épaisse (la banane est bien sûr pelée avant d’être ajoutée au riz). La version salée de la farce est constituée d’une couche de haricots mungo hachés et d’un morceau de poitrine de porc assaisonnée. Une fois les nom ânsâm emballés, on les fait cuire à l’eau pendant plusieurs heures. On utilise des fils de couleurs différentes pour distinguer les cylindres sucrés des salés.

Ces gâteaux sont chers, à l’aune cambodgienne : le nom ânsâm se vend près de trois euros. Il existe même des versions de luxe, surtout appréciées par les familles bourgeoises de la capitale, dont la farce est agrémentée de champignons parfumés (shiitake), de petites crevettes séchées, de petits morceaux de saucisse, parfois d’arachides pilées. Le prix de cette version luxueuse des nom ânsâm atteint des sommets : sept, voire huit euros la pièce.

A l’inverse du nom bât et du nom kôm, le nom ânsâm peut se conserver plusieurs jours au réfrigérateur. Dans ce cas, pour s’en régaler, il faut le débiter en grosses tranches épaisses de deux centimètres environ ; les tranches sont ensuite frites à la poêle dans un filet d’huile.

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Nom ânsâm sucré (ficelle jaune) et salé (ficelle verte) – Photographie par Pascal Médeville

Après avoir lu les descriptions ci-dessus, peut-être vous demandez-vous que vient faire le qualificatif de « coquin » utilisé dans le titre de cet article ?

Tout d’abord, il faut disculper le nom bât, qui n’a rien d’équivoque. Mais ce n’est pas le cas des deux autres : la symbolique du nom ânsâm et du nom kom n’est pas innocente. La forme phallique du nom ânsâm est évidente. Or le phallus était largement représenté dans la religion des anciens Khmers, puisque tous les temples hindouistes de l’époque angkorienne possédaient des lingas, ou lingams, représentant le dieu Shiva. D’ailleurs en khmer contemporain, le mot « linga » (លិង្គ [ling]) est le mot châtié utilisé pour désigner le sexe de l’homme. Le linga était toujours dressé sur un « yoni » (យោនី), qui représente l’organe génital féminin ; en khmer moderne, le mot « yoni » sert encore à désigner l’organe génital féminin. Le nom ânsâm étant associé au linga, c‘est au nom kom que revient de jouer le rôle du yoni.

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Linga et yoni du temple Prasat Sambor, site de Sambor Prei Kuk, Kampong Cham, Cambodge – Photographie de Pascal Médeville

L’association du nom ânsâm et du linga donne lieu à nombre d’allusions grivoises, comme dans la chanson ci-dessous, où un jeune Khmer de la campagne, dont la fiancée qui travaille en ville tarde à revenir au village, se demande si elle ne préfère pas désormais au nom ânsâm… la baguette de pain.

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3 commentaires

  1. Merci pour cet article.
    J’ajouterais Pcum Ben aux grandes fêtes traditionnelles où les familles s’activent pour préparer ces gâteaux, de toutes tailles. A la campagne (dans mes souvenirs d’enfance), on faisait des braises pour fumer les num ansôm (pour la conversation).

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