Saïgon : des abricotiers en location

Les Vietnamiens appellent « abricotier jaune » une espèce plutôt connue en français sous le nom de « fleur du Têt », le mot « Têt » désignant en vietnamien le nouvel an lunaire, ou nouvel an « chinois », commun à la Chine, au Vietnam, à la Corée, et à toutes les communautés de ces pays dans le monde entier. À l’occasion de cette fête, les Vietnamiens du Sud, ainsi que les personnes d’origine chinoise au Cambodge, se font une obligation impérieuse d’orner leurs demeures de ces fleurs d’« abricotier jaune », qui sont sensées apporter à la famille bonheur et prospérité pendant toute l’année à venir. Ces abricotiers auraient également et accessoirement la vertu de faire fuir les démons. (Notons que la « fleur du têt » est rare et peu connue en Chine : elle ne pousse que dans le sud du pays, dans quelques régions des provinces du Guangxi et du Guangdong, et sur l’île de Hainan.)

Les plus fortunés ornent les habitations d’arbustes en pot, voire de véritables bonsaïs, les autres se contentent de mettre dans un vase une ou deux branches d’abricotier. Le « must » est d’avoir un arbre ou une branche qui fleurit le matin du premier jour de l’année lunaire. Pour cela, les jardiniers et pépiniéristes emploient des trésors d’ingéniosité permettant aux arbres de fleurir au bon moment, à la manière des pépiniéristes français qui produisent tous les efforts nécessaires pour que le muguet fleurisse le premier mai.

La date de floraison de ces arbres est donc primordiale, mais ce n’est pas le seul critère qui est pris en considération pour apprécier la qualité d’un abricotier jaune. Il faut que les branches de l’arbre soient garnies à la fois de bourgeons et de fleurs, de préférence répartis de façon uniforme tout le long des branches. D’autre part, il est bon que les arbres soient bien proportionnés : ils doivent avoir des rameaux longs et équilibrés, et le nombre des branches doit être limité (c’est la raison pour laquelle ils font l’objet d’un élagage soigneux). Le tronc, enfin, doit être robuste, afficher une belle robe noire, et ne pas avoir trop de mousse.

Un abricotier en pot de gamme basique se vendait aux alentours de 200.000 à 300.000 dôngs (environ 10 euros) en 2018, tandis que le prix des plus beaux spécimens peut atteindre des sommes astronomiques : plusieurs dizaines de millions de dôngs !

C’est justement en raison des prix prohibitifs des arbres les plus beaux que certains, plutôt que de dépenser une fortune pour acquérir un abricotier, qu’il faudra en outre entretenir toute l’année, pour n’en profiter, finalement, que pendant la courte période du nouvel an lunaire, préfèrent avoir recours aux services d’un loueur d’abricotiers. Cela leur permettra d’avoir, pour un coût raisonnable et pendant toute la durée des fêtes du nouvel an lunaire, un abricotier superbe qui fera leur fierté et l’envie de leurs voisins.

Mais au fait, quelle est donc l’espèce de cet arbre convoité ? Je n’ai pas réussi à résoudre l’énigme de l’appellation d’« abricotier » universellement utilisée dans la presse francophone du Vietnam, car ces arbres qui arborent de si belles fleurs jaunes n’appartiennent en rien à l’espèce de l’abricotier au sens où nous l’entendons (Prunus armeniaca), mais à une espèce connue sous le nom binomial d’Ochna integerrima. En vietnamien, on parle de « mai », en anglais de « yellow mai flower », en chinois d’ « arbre à fleur de lotus d’or » (金莲木 [jīnliánmù]) ou encore de « prunus jaune » (黄梅 [huángméi]) ; et en khmer, l’espèce est connue sous le nom d’« angkie sil » (អង្គាសិល).