Les vibrisses de dragon, un légume formosan
Le dragon (龍 [lóng]) est en Chine l’animal chinois par excellence. Les Chinois se surnomment eux-mêmes les « descendants du dragon » (龍的傳人 [lóngde chuánrén]). Le dragon ornait même le drapeau de la fin de l’époque de la dernière dynastie chinoise, la dynastie des Qing (1644-1911). Notons que si le dragon est dans la tradition chinoise un motif décoratif de toute première importance, seul le dragon impérial pouvait arborer cinq griffes !
En plus de ses griffes et de ses écailles, le dragon chinois se distingue également par sa paire de longues vibrisses. Ces vibrisses ont donné leur nom à plusieurs espèces végétales filiformes, dont un légume-feuille fameux, appelé « légume vibrisses de dragon » (龍鬚菜 [lóngxūcài]).
Ce légume-feuille n’est autre que les jeunes pousses, les feuilles tendres et les jeunes vrilles d’un végétal dont nous connaissons plutôt, en Occident, le fruit : la chayote, Sechium edule. Cette espèce est connue en chinois sous les noms de « courge main de Bouddha » (佛手瓜 [fóshǒuguā]), ou encore « courge-poire » (梨瓜 [líguā]). Elle est originaire du Mexique et d’Amérique Centrale, et n’a été importée à Taïwan que tardivement, vers le milieu des années 1930, alors que l’île était sous occupation japonaise.
La saveur particulière de la courge ne fait pas l’unanimité, mais ses jeunes pousses, feuilles tendres et vrilles sont très populaires à Taiwan, dans le sud de la Chine et en Thaïlande. A Taïwan, la récolte de ce légume se fait principalement d’avril à octobre. Au Cambodge, si la chayote est présente, on apprécie plutôt le fruit (appelé ស៊ូស៊ូ [su-su]), que l’on trouve assez facilement sur les marchés, la consommation des pousses tendres étant pratiquement inconnue.
Les vibrisses de dragon sont le plus souvent consommées après avoir été rapidement blanchies ou sautées. On les trouve souvent en vente dans les petits restaurants populaires qui font le charme des marchés de nuit taïwanais. On les consomme souvent agrémentées d’un œuf entier ou d’un jaune d’œuf cru, qui vient renforcer l’aspect subtilement gluant de leur texture. Elles sont aussi appréciées pour leur croquant.
Mais les restaurants taïwanais du meilleur standing ne dédaignent pas non plus ce légume-feuille, qui est alors agrémenté de façon plus élaborée et accompagné d’ingrédients plus luxueux. Dans le restaurant du Fushin Hotel, établissement cinq étoiles de Taibei, j’ai par exemple eu la chance de me régaler d’un savoureux plat de vibrisses de dragon sautées aux noix de gingko et aux shiitake.
Les jeunes pousses de la chayote sont notamment une excellente source de vitamines C. Le premier volume de l’Encyclopédie pratique des fruits et légumes de Taiwan (『台灣蔬果實用百科』) (pp. 66-67) donne la composition de ces pousses : 94 % d’eau, 3 % de protéines, 0,2 % de lipides, 2 % de glucides, 0,8 % de fibres, ainsi que vitamine C, sodium, potassium, calcium, manganèse, phosphore, fer et zinc.
La médecine chinoise traditionnelle attribue aussi diverses vertus aux vibrisses de dragon : d’après l’Encyclopédie citée ci-dessus, ce légume serait diurétique, il aiderait à faire baisser la tension artérielle, et à apaiser les symptômes dus aux fortes chaleurs estivales (langue et bouche sèches, constipation, toux sèche). La consommation prolongée de ce légume est cependant déconseillée aux personnes qui sont sujettes aux diarrhées.
3 commentaires
Les pousses de chayote sont couramment consommées dans de nombreuses régions, dont la Réunion où on les appelle brèdes chouchou.
Je remarque que les Cambodgiens ont repris le nom susu, qui vient d’une langue du Brésil, et a été diffusé par les Portugais.
En Nouvelle-Calédonie, la même utilisation peut être faite avec les pousses de citrouilles, un peu d’ail et du lait de coco, c’est délicieux…
Au printemps 2020, j’ai planté deux ou trois chayottes que mon voisin jardinier m’a donné. Printemps 2021, plus de temps pour vaquer au potager que j’ai laissé en friche. A mon grand étonnement, j’ai pu faire en octobre une belle récolte de chayottes. Les plantes se sont accrochées au figuier et ont poussé toutes seules. Je vis en Ile de France, bien loin du climat tropical d’où cette espèce est originaire. Ces plantes ont resurgi de terre, alors que le printemps a été très froid et l’été froid et pluvieux.