Légende bouddhique : Pourquoi la canamelle rousse a une tige creuse ?
Dans une version grand public d’un recueil des Jātaka, publiée en khmer en 2017 par M. Kim Channa, le vingtième de ces récits, Naḷapāna-jātaka, est rapporté, en substance, de la façon suivante :
« A cette époque, le Bouddha était né roi des singes. Il avait une suite de 80.000 sujets, dont il prenait le plus grand soin. Il leur dit un jour : ‘Les étangs dans les forêts sont souvent habités par des ogres malfaisants. Avant de boire l’eau de quelque étang que ce soit, surtout, demandez-moi.’
Il arriva que le roi des singes et sa troupe passassent par une forêt qu’ils n’avaient jamais parcourue. Les singes, assoiffés, se mirent à la recherche d’un point d’eau et trouvèrent un étang enchanteur, à l’eau cristalline. Écoutant les recommandations de leur roi, ils s’assirent sur la berge et attendirent. Lorsque le souverain arriva, il loua leur obéissance et fit le tour de l’étang. Il remarqua que les traces de pas descendaient toutes vers l’étang, mais qu’aucune n’en remontait. Il comprit alors que l’étang était la demeure d’un ogre qui dévorait tous ceux qui s’aventuraient dans l’eau.
Le roi des singes demanda alors qu’on lui apportât une tige de canamelle rousse, espèce qui poussait en abondance sur les bords de l’étang. Il souffla dans la tige pour en faire disparaître tous les nœuds, obtenant ainsi une tige creuse. Usant de ses pouvoirs magiques, il fit tant et si bien que toutes les tiges de canamelle de l’étang devinrent creuses.
Il distribua alors une tige creuse à chacun de ses sujets, et ceux-ci purent boire à satiété l’eau de l’étang en l’aspirant par les tiges creuses, et aucun d’entre eux ne fut dévoré par l’ogre. »
L’illustration ci-dessus vient d’une page du site Pansiya Panas Jatkahaya qui donne une traduction plus complète du Jātaka rapporté ici.
Le mot « canamelle », corruption de « canne à miel », désignait autrefois les espèces du genre Saccharum, dont le plus connu des représentants est la canne à sucre, Saccharum officinale. Dans le volume XIII de son Histoire naturelle des phanérogames publié en 1846, Édouard Spach, « aide-naturaliste au Muséum d’Histoire Naturelle, membre de plusieurs sociétés savantes », décrit plusieurs espèces du genre canamelle (Saccharum Linn.), dont la canamelle rousse (Saccharum fuscum) ; il écrit qu’elle présente des « tiges dressées hautes de 5 à 8 pieds, de la grosseur du petit doigt (…) Cette espèce croît au Bengale ; les hindous font de ses tiges leurs plumes à écrire » (voir p. 252).
La canamelle rousse a pour particularité d’avoir une tige creuse. (Cf. A. Kopp, « Quelques problèmes botaniques relatifs à la canne à sucre » in Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, Année 1930, 101, pp. 30-36.
3 commentaires
j’ai bcp aimé cette belle histoire
Bonjour,
Merci de nous rappeler l’origine des tiges creuses de la Canamelle rousse !
Les anciennes civilisations connaissaient leur environnement très finement (Claude Levi-Strauss donnent quelques exemples éloquents dans « La Pensée Sauvage ») et le fait de trouver une espèce à tige creuse a peut-être été jugé suffisamment étrange par rapport aux espèces proches pour invoquer une intervention supra – naturelle. Mais il faut dire aussi que selon certains commentaires, l’ogre n’était autre que Devadatta, le grand ennemi de Bouddha. Il y a cette approche du monde où le naturel et le surnaturel s’entremêlent. On ne l’a peut-être pas tout-à-fait perdue !
Effectivement, à la fin du Jataka, Bouddha explique que l’ogre en question s’est réincarné en Devadatta, tandis que les sujets du roi des singes se réincanèrent tout en bouddhistes fervents 🙂