L’Art de l’illustration botanique : indice de pertinence taxonomique #Art et Botanique

Après les dessins botaniques et les planches d'herbier, la photographie est un nouvel outil pour illustrer les plantes. Cet outil se développe, pour le meilleur et pour le pire, au rythme des progrès de la photographie numérique et de la facilité à créer des banques d'images sur Internet. Mais comment évaluer la valeur scientifique des ces photos ?

Dans cet article nous proposons d’utiliser un indice de pertinence taxonomique pour noter les photos destinées à un usage scientifique dans le cadre d’études floristiques.

  • QT0 : Photographie en attente de détermination
  • QT1 : Photographie illustrant le type de Raunkier
  • QT2 : Photographie permettant la détermination de la famille
  • QT3 : Photographie permettant la détermination du genre
  • QT4 : Photographie permettant la détermination de l’espèce ou de la sous-espèce
  • QT5 : Photographie illustrant une espèce à ses différents stades végétatifs, utilisable comme modèle dans une clef de détermination
  • QTx : Photographie permettant de comparer deux espèces proches, pouvant se rencontrer dans le même milieu et être confondues
  • QT+ : Assemblage de photographies illustrant une espèce à ses différents stades végétatifs, utilisable comme modèle dans une clef de détermination

 

QT1 : Type de Raunkier

Nous notons QT1 des images de biotopes qui mettent en valeur les différentes strates de la végétation. Dans ce genre de photo les plantes sont le plus souvent inidentifiables au niveau spécifique.

Dans l’écriture des légendes il faut bien distinguer entre ce que montre la photo (ce qui est visible et constitue un fait scientifiquement avéré) et le commentaire du photographe (qui peut être enrichi par ses observations faites sur le terrain, mais qui est aussi sujet à erreur ou à interprétation).
La première ligne d’une légende doit toujours être composée de la date et de la localisation de la photo.


20160522 BeniBassia gps : 32.3397,-3.0991 altitude : 1008m.

Arbres poussant sur les parois de la cluse de l’oued Bouanane dans le Sahara.
Les arbres ne sont pas identifiables sur la photo. Si la légende donne une liste d’espèces présentes, l’auteur devra soit pouvoir étayer son affirmation par un exsiccata ou une photo QT3-5, soit espérer que le lecteur aura confiance (‘fide’).


20180927 Sahli gps : 31.9581,-3.4106 altitude : 897m.

Végétation contractée de chaméphytes dans les ravinelles d’un reg fin.
Un botaniste rompu au Sahara pourrait nommer sans trop de risque de se tromper certains des buissons présents sur cette photo. Mais il faut résister à la tentation car cet inventaire serait partiel ; la plupart des buissons ne sont pas déterminables sur cette photo et même sur le terrain, certains nécessiteraient d’être examinés de près.


20190326 Boudnib-nouveaux-jardins gps : 31.9880, -3.6722 altitude : 1000m.

Reg saharien en cours de conversion en palmeraie avec arrosage au goutte à goutte. Cette photo est à légender prudemment : parmi les plantes visibles il y a des annuelles, des hémicryptophytes et des chamaephytes ; certaines plantes étaient présentes avant les travaux, d’autres sont adventices ; certaines appartiennent à la flore saharienne, d’autres sont méditerranéennes ou cosmopolites.


20150128 Jdayed-Ouzina gps : 30.8480,-4.1628 altitude : 662m.

Floraison spectaculaire de brassicacées annuelles dans un épandage.
Les fleurs mauves sont celles de Eremophyton chevallieri (Barratte) Bég. ; les fleurs jaune-vif identifiées jusqu’ici comme Diplotaxis virgata (Cav.) DC. doivent être réétudiées à la lumière de la révision de ce taxon par Martinez-Laborde (2018) ; quant aux fleurs jaune-pâle, ce sont celles de Eruca aurea Batt., une espèce qui ne figurait pas dans les flores au moment de la prise de vue de la photo et qui a nécessité une révision de ce genre.


QT2 : Détermination de la famille

Nous notons QT2 des photos de plantes dont seule la famille peut être déterminée.

En pratique il s’agit surtout de photos d’arthropodes en pleine action gastronomique ou érotique. Comme nous ne savons donner à ces bestioles que de vagues noms vernaculaires, nous nous interdirons bien de critiquer l’absence de précision botanique des photographies entomologiques.

Chenilles du Sphinx de l’Euphorbe


20160615 Imilchil gps : 32.2270, -5.5451

Fourmis gardiennant leur colonie de pucerons sur une fabacée.


20170531 Route-AitHani-Assoul gps : 31.8337, -5.3612.

Papillon attiré par une astéracée jaune et pris au piège par une thomise jaune.


20170214 Piste-Taous-Jdayed gps : 30.8576, -4.0931

Coleoptères accouplés dans un buisson de Retama sp.


20160614 Amellago-Assoul gps : 31.9812, -5.1882


QT3 : Détermination du genre

Nous notons QT3 des photos de plantes dont seul le genre peut être déterminé

  • Soit parce que la photo ne montre pas les détails qui permettraient de différencier les espèces. Dans ce cas, une seule solution : retourner sur le terrain pour faire des photos complémentaires plus détaillées.
  • Soit parce que les clefs des flores sont plus adaptées à déterminer des exsiccatas que des photos. Dans ce cas, une solution est de poster la photo sur un site internet de détermination. Pour le Maghreb, la liste de référence est afrique-du-nord@tela-botanica.org
  • Soit parce qu’on a trouvé une plante qui n’est pas dans la flore consultée. Par exemple dans le Sahara la flore d’Ozenda est presque exhaustive pour les plantes sahariennes, mais sur les marges du Sahara ou dans les oasis on peut rencontrer à l’occasion des plantes méditerranéennes, tropicales ou cosmopolites.

Pour beaucoup de photos la notation QT3 devrait n’être que transitoire, dans l’attente d’une étude plus approfondie. Par exemple lors d’un voyage botanique on peut se contenter de classer les photos par genre pour mesurer l’avancée du travail et n’opérer le classement par espèce qu’au retour, lorsqu’on dispose de toutes les flores nécessaires.


20150114 Tamegroute-Mhamid

Cette asteracée est très probablement un souci, genre Calendula. Mais sans la photo des bractées et des graines, impossible d’aller plus loin !


20150317 Boudnib

Cueillette du chih. La cueilleuse différentie à leur odeur les espèces et même les chémotypes d’armoise blanche. Elle ne récolte que les plantes conformes à sa mémoire olfactive pour les utiliser dans un grand nombre de préparations médicinales. Les botanistes sont beaucoup moins précis dans leur connaissance des armoises du groupe Artemisia cf. herba-alba .


20150502 Kadoussa gps : 31.9361,-3.5945 altitude : 951m.

Même problème avec les germandrées du groupe Teucrium polium utilisées dans le Tafilalet comme remède contre la colique.


20200109 FoumDraa gps : 28.6296,-11.0920 altitude : 5m.

Les salicornes sont déjà un cauchemar en zone méditerranéenne où elles ont été activement étudiées. Alors sur la côte atlantique du Sahara, même avec une excellente photo qui montre les fleurs mâles et les fleurs femelles, il serait imprudent d’aller plus loin que Sarcocornia sp. !


QT4 : Détermination de l’espèce

Nous notons QT4 des photos de plantes dont l’espèce peut être déterminée avec certitude. Ces photos peuvent ne représenter qu’un détail ou qu’un stade végétatif. Elles permettent de déterminer l’espèce, mais ne suffisent pas à la décrire. Sur le plan scientifique ces photos peuvent être utilisées au même titre que des planches d’herbier pour établir des listes chorologiques.


20151228 BouananeOuest gps : 31.9750,-3.2704 altitude : 862m.

Tiges défeuillées de Thymelaea microphylla Coss. & Durieu ex Meisn·. Pour un botaniste de terrain, cette photo est indispensable, en plus de la photo du port de la plante en pied et d’une macro fleurs+fruits.


20190327 N10-Blibila gps : 31.9918,-3.2197 altitude : 871m.

Dans le genre Echium, un bon critère de détermination est de regarder la pilosité des tiges. La seule vipérine dans le Sahara qui a des poils longs tuberculés et pas de poils courts est Echium horridum Batt.


20200421 BoudnibJardins gps : 31.9480,-3.5876 altitude : 945m.

Cette photo illustre bien l’état fleuri de Aizoanthemopsis hispanicum (L.) Klak.
Elle ne suffirait pas à décrire la plante dans une flore photographique car il manque le fruit et l’état desséché.


20210319 Boudnib-nouveaux-jardins gps : 31.9685,-3.6629 altitude : 984m.

Cette photo illustre bien l’état fructifié de Helianthemum lippii (L.) Dum. Cours.
Pour bien décrire cette plante il faudrait en plus une photo d’un rameau fleuri et une photo de la plante en pied avec son symbiote Terfezia sp.


QT5 : Illustration d’une espèce par une photo unique

Nous notons QT5 des photos qui suffisent à elles seules à illustrer une plante. Ces photos doivent donner à voir clairement les tiges, les feuilles, les fleurs et les fruits. Ces photos doivent avoir une lisibilité et une qualité technique suffisantes pour être utilisées dans une publication comme exemple type d’une espèce. Peu d’espèces permettent de réaliser des photos QT5.


20210409 N9-Ouarzazate gps : 30.8572,-6.8371 altitude : 1126m.

Aizoon canariense L.


20170326 N10 gps : 31.9663,-3.4245 altitude : 908m.

Zilla spinosa subsp. macroptera (Coss.) Maire & Weiller


20180330 Taous gps : 30.9799,-3.9398 altitude : 702m.

Ammodaucus leucotrichus Coss. & Durieu


20190412 OuledAli gps : 31.9442,-3.5464 altitude : 952m.

Daucus sahariensis Murb·


20180406 Boudnib-Nouveaux-Jardins gps : 31.9953,-3.6703 altitude : 1016m.

Lomelosia stellata (L.) Raf. …


20170329 AinChouater gps : 31.8178,-3.3247 altitude : 987m.

… la même un jour où il y avait trop de vent pour photographier cette plante en pied.


Comparaison de différents Diplotaxis sahariens

Diplotaxis olivieri


20150301 Tafrout-Tighmert

Diplotaxis virgata


20150322 Boudnib

Diplotaxis harra


20160108 Boudnib

Diplotaxis pitardiana


20180326 Boudnib-Nouveaux-Jardins

Toutes les photos ci-dessus comportent tous les éléments nécessaires à une identification sûre des espèces. Pourtant ces images QT5 ne sont pas entièrement satisfaisantes. Dans ces photos, il y a trop d’informations : l’oeil ne sait pas discerner ce qui est important de ce qui est secondaire, ce qui est caractéristique de l’espèce de ce qui est contingent du pied photographié.

Ce n’est pas un hasard si les botanistes chevronnés préfèrent souvent les flores illustrées de dessins à celles illustrées de photos.

Idéalement il faudrait pouvoir utiliser dessins et photos de façon complémentaire.


QTx : Comparaison in situ entre espèces

Dans le cadre d’une flore locale, le nombre d’espèces d’un même genre est limité mais les risques de confusion sont importants. Nous notons QTx des photographies permettant de comparer 2 espèces vivant côte à côte.


20161105 Boudnib-Reg gps : 31.9680,-3.4224 altitude : 910m.

Zilla macroptera & Launaea arborescens différentiables à leur couleur en dehors de la période de floraison.


20170318 BeniBassia-Bouanane gps : 32.0149,-3.1481 altitude : 855m.

Anvillea garcinii & Asteriscus graveolens poussent au même moment dans les mêmes milieux !


20190506 BouGafer gps : 31.1575,-5.5040 altitude : 2172m.

Juniperus turbinata & Juniperus thurifera


20200212 Saghro-BouGafer gps : 31.1132,-5.3729 altitude : 1140m.

Withania adpressa est une espèce dioïque ; comparaison de rameaux d’un pied femelle et d’un pied mâle.


20180331 Jdayed gps : 30.8462,-4.1713 altitude : 672m.

Asphodelus tenuifolius & A. refractus peuvent se rencontrer côte à côte. A. tenuifolius a des tiges et des feuilles lisses, A. refractus a des tiges et des feuilles collantes qui agglomèrent les grains de sable…


… mais c’est au stade fructifié qu’on les différentie le plus facilement.

QT+ : Assemblage de photographies illustrant le cycle végétatif

Pour décrire convenablement une espèce, on aurait besoin de photographies illustrant :

  • la plante dans son milieu (pour les plantes inféodées à un milieu particulier)
  • la plante en pied
  • les tiges
  • les feuilles (basales et caulinaires, recto et verso s’il y a lieu)
  • les fleurs par dessous (bractées et sépales)
  • les fleurs par dessus (pétales, étamines et styles)
  • les fruits et les graines
  • le stade plantule
  • le stade desséché

Nous avons vu avec les photos QT5 que dans certains cas une seule photo pouvait couvrir tous ces besoins, mais dans d’autres cas il peut falloir jusqu’à une douzaine de photos pour donner une description complète d’un taxon.

Ce besoin de multiplier les images n’est pas propre à la photographie d’aujourd’hui ; l’illustration botanique ancienne en donne de nombreux exemples.


Desfontaines, 1800 – Flora atlantica


Cosson, 1882 – illustrationes florae atlanticae


Bonnet & Barratte, 1895 – Exploration scientifique de la Tunisie


Cannon, 1913 – Botanical features of the algerian Sahara


Battandier & Trabut, 1913 – Atlas de la Flore Algérie


Murbeck, 1922 – Contributions à la connaissance de la flore du Maroc

Pour les deux dernières illustration, noter l’utilisation de photographies complétées par des petits croquis. Cette piste originale mériterait d’être recreusée.

Assemblage de photographies pour décrire Scorzonera undulata Vahl


20180407 BoudnibNouveauxJardins gps : 31.9953,-3.6703 altitude : 1016m.

La plante en pied
Si on devait choisir une seule photo, on prendrait cette photo QT4.


20170329 AinChouater gps : 31.8360,-3.3159 altitude : 894m.

La plante dans son milieu


20170318 P6110 gps : 32.3735,-3.1913 altitude : 1066m.

La rosette de feuilles
Noter qu’au fur et à mesure de la croissance la forme des feuilles varie de très étroites en V à plus larges et ondulées.


20180322 BoudnibNouveauxJardins gps : 31.9673,-3.6449 altitude : 986m.

Le système racinaire
C’est une plante vivace. La racine est transformée en une souche tubérisée avec formation d’un nouveau tubercule terminal chaque année. Les radicelles actives sont étonnement petites.


20180322 BoudnibNouveauxJardins gps : 31.9673,-3.6449 altitude : 986m.

Les bractées du capitule


20180322 BoudnibNouveauxJardins gps : 31.9673,-3.6449 altitude : 986m.

Le capitule
On distingue bien les tubes staminaux violet sombre à l’intérieur desquels coulisse puis émerge le style bifide jaune-vif.


20210417 Boudnib-nouveaux-jardins gps : 31.9685,-3.6629 altitude : 984m.

La plante fructifiée


20210417 Boudnib-nouveaux-jardins gps : 31.9685,-3.6629 altitude : 984m.

Les graines

Cette plante est facile à identifier ; elle est peu variable, compacte. Il faut cependant au moins 8 photos pour en donner une description complète. Et il reste encore quelque chose à dire que la photo ne peut pas montrer : dans le Tafilalet cette espèce est représentée par la subsp. deliciosa qui répand une délicate odeur de chocolat !

De nombreux autres exemples d’assemblages photographiques peuvent être vus sur notre site https://atlas-sahara.org

3 commentaires

  1. Merci beaucoup pour ce guide.
    Je vais m’appliquer à me rapprocher le plus de photos QT+ en fonction de vos conseils, à l’avenir !
    (Je suis en train de classer mes vieilles photos et je suis justement confronté à l’identification des spécimens !)

  2. Article très intéressant pour moi qui photographie les plantes en allant du bouton à la graine car la vie complète m’intéresse plus que photographier uniquement les fleurs, photos que l’on trouve un peu partout. Depuis quelques temps je les mets sur Tela Botanica sous forme de planches-herbiers. En vous lisant je vois que j’ai encore des progrès à faire, mais mon appareil photo compact me limite !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.