Amours botaniques : la cuscute et l’usnée
La cuscute (Cuscuta chinensis, 兔丝 ou 菟丝 [tùsī]) est une « plante herbacée annuelle, aux fines tiges jaunes (…) qui parasite des plantes appartenant à différentes familles » (Wikipedia). Elle est petite, d’aspect frêle : ses tiges ont un diamètre d’à peine un millimètre. C’est sans doute la raison pour laquelle, pour les Chinois, elle symbolise l’épouse ou l’amante qui a besoin d’appui et de protection.
Le mot usnée (Usnea sp., 女萝 [nǚluó] ou 松萝 sōngluó]) est un terme générique qui désigne divers lichens fruticuleux (petit et ligneux) du genre Usnea ; elle n’est guère plus grande que la cuscute, mais elle est beaucoup plus robuste. Pour les poètes de l’Empire du Milieu, c’est le partenaire idéal de la cuscute et, à ce titre, l’espèce symbolise l’époux ou l’amant.
Ainsi, le couple formé par la cuscute et l’usnée constitue-t-il pour les poètes chinois le symbole de l’amour profond et indéfectible qui unit un homme et une femme.
Parmi les plus fameuses pièces poétiques qui ont eu recours à cette image de la cuscute s’appuyant sur l’usnée, on peut citer l’un des très célèbres Dix-neuf poèmes anciens (《古诗十九首》 [gǔ shī shíjiǔ shǒu]) (recueil anonyme de l’époque des Han, IIIème s. av. – IIIème s. ap. J.-C.), intitulé « Le bambou solitaire prend racine » (冉冉孤竹生) : « Nouvellement mariée à vous, je suis comme la cuscute qui s’appuie sur l’usnée » (与君为新婚,兔丝附女萝 »). Un autre poème célèbre qui utilise cette métaphore est la première des deux Complaintes des cheveux blancs (《白头吟》 [báitóu yín]) de Li Bai (Li Po, 701-762), dans laquelle la belle Zhuo Wenjun se plaint de la trahison de Sima Xiangru, avec lequel elle s’était pourtant enfuie. Dans ce poème, Zhuo Wenjun compare leur union à celle de la cuscute et de l’usnée : « La faible cuscute sans appui vacille sous le vent. Que vienne une branche d’usnée, elle l’embrasse étroitement. Les deux herbes partagent un même cœur, mais le cœur humain ne vaut pas celui de l’herbe » (兔丝固无情,随风任倾倒。谁使女萝枝,而来强萦抱。两草犹一心,人心不如草).
Je pensais que cette métaphore de deux plantes incapables de vivre l’une sans l’autre était une invention de la poésie chinoise, jusqu’à ce que découvre le Lai du Chèvrefeuille de Marie de France (XIIe siècle), dont voici un extrait :
D’eux deux il était ainsi
Comme du chèvrefeuille était
Qui au coudrier se prenait.
Quand il s’est enlacé et pris
Et tout autour le fût s’est mis,
Ensemble peuvent bien durer.
Mais qui les veut ensuite désunir
Le coudrier meurt bien vite
Et le chèvrefeuille avec lui.
« Belle amie ainsi est de nous
Ni vous sans moi, ni moi sans vous. »
7 commentaires
assez violent l’amour du chèvre-feuille, non ?
Les espèces les plus développées du genre Usnea pendent en longues barbes molles ou forment des touffes un peu plus dressées mais pas beaucoup plus robustes. Et leur thalle ne peut absolument pas être qualifié de « ligneux », vu qu’il est uniquement constitué de filaments mycéliens associés à des cellules d’algue.
C’est pourquoi je fais solennellement appel à mes amis lichénologues : avez-vous déjà vu une cuscute accrochée à une usnée ?
A mon avis, il y a une erreur de traduction, ou bien le poète chinois avait fumé je ne veux pas savoir quoi …
Je pense qu’il serait vain de vouloir rechercher des vérités scientifiques dans la poésie, qu’elle soit française, chinoise ou autre. Du point de vue botanique, le poème de Marie de France est plus que douteux : on a vu des chèvrefeuilles s’attacher à des espèces autres que le coudrier, et on trouve des coudriers qui vivent très bien sans chèvrefeuille.
Je parierais bien volontiers que les poètes chinois qui ont parlé de l’union de la cuscute et de l’usnée n’ont, dans leur immense majorité, jamais vu ces végétaux, et je ne suis pas certain non plus que Marie de France ait jamais vu un chèvrefeuille embrasser un noisetier.
Ce qui m’a paru intéressant, c’est d’une part la métaphore de deux plantes lovées l’une avec l’autre pour symboliser l’amour, ainsi que le fait que des métaphores similaires sont utilisées dans deux poésies aussi éloignées l’une de l’autre que peuvent l’être les poésies française et chinoise.
La Nature crée des rapprochements hétéroclites, parfois avec la connivence du vent, la Cuscute et l’Usnée, le Coudrier et le Chèvrefeuille, l’Homme et la Femme !
Dans « Le Portement de Croix » de Bruegel l’Ancien, un Liseron, symbole de Marie, s’enroule autour d’un tronc de Chêne, symbole divin.
Toute la Nature est sujette à observations, commentaires et interprétations. Nous ne nous autorisons plus ce genre d’approche, si prisé jusqu’à la Renaissance, sauf peut-être dans la vie privée !
C’est vraiment du n’importe quoi!!
L’article de M. MEDEVILLE développe une fascette de la Botanique qui a eu cours durant des siècles et rien ne vous autorise à un commentaire méprisant.
Trouve-t-on cette plante dans le sud de la France ?
Merci.