Le Pic du Nord, jardin de l’empereur de Chine
L’empereur Huizong des Song (宋徽宗 sòng huīzōng, 1082-1135, r. 1100-1126) n’a pas laissé dans l’histoire de Chine le souvenir d’un souverain éclairé, mais il est connu pour avoir été un esthète hors pair. Sa calligraphie et sa poésie sont unanimement loués, et il a largement contribué à la diffusion du thé en Chine. Il est notamment l’auteur d’un traité célèbre, le Traité sur le thé de l’ère Daguan (《大观茶论》 [dàguān chálún]), considéré encore aujourd’hui comme un texte essentiel pour l’histoire du thé en Chine et qui fait encore aujourd’hui l’objet de nombreuses rééditions.
Huizong, comme tout esthète chinois qui se respecte, était également un grand amateur de jardins. Les jardins chinois (appelés 园林 yuánlín, littéralement « jardin et forêt ») ne sont pas que des endroits où l’on fait pousser de belles plantes, ils sont bien plus que cela : on y trouve, outre des végétaux soigneusement sélectionnés et amoureusement cultivés, des kiosques et des pavillons élégants, des rochers spectaculaires, des plans d’eau élaborés dans lesquels on élève des poissons de grande beauté… Et certains jardins mandarinaux servaient en réalité de logement à leurs propriétaires.
Huizong fut l’empereur qui ordonna la construction d’un jardin célèbre à plusieurs points de vue dans l’histoire des jardins chinois : le Pic du Nord (艮岳 [gènyuè]). Ce site se trouvait à Bianliang (汴梁 [biànliáng], aujourd’hui Kaifeng, dans la province du Henan), la capitale impériale de l’époque.
La décision de la construction de ce jardin fut prise par l’empereur après qu’un taoïste lui eût indiqué que la capitale se trouvait sur un terrain trop plat, et que vers le nord-est, le terrain était même en pente, ce qui provoquait une concentration d’influx néfastes et avait un effet désastreux sur la prospérité impériale. Pour remédier à cette terrible situation, il fut décidé d’élever en cet endroit un jardin impérial, qui fut appelé le « Pic du Nord » (艮岳 [gènyuè]).
La circonférence du jardin était d’environ six miles et il occupait une surface d’environ 50 hectares. Pour édifier ce jardin, on décida de construire plusieurs collines artificielles, d’aménager des allées, de construire kiosques et pavillons, de creuser des bassins. On fit rechercher dans tout l’empire les animaux les plus beaux, les pierres les plus originales, les végétaux les plus rares. On créa spécialement pour cela les « flottilles des fleurs et des pierres » (花石纲 [huāshígāng]), constituées de dix bateaux, chargées de ramener à la capitale les trésors que les mandarins provinciaux zélés avaient dénichés pour le jardin impérial.
Parmi les végétaux cultivés dans le jardin, on comptait tout ce que la Chine avait de plus beau à offrir : prunus, abricotiers, magnolias, bambous tachetés…
Autre élément indispensable pour tout jardin chinois : les belles pierres, et surtout les très évocatrices pierres du lac Tai, dans la région de Suzhou, avec leurs formes torturées et leurs nombreux orifices creusés naturellement pas le travail de l’eau.
La construction du Pic du Nord prit cinq ans (1117-1122). Ce jardin impérial entraîna des dépenses considérables et d’aucuns disent que l’on trouve là l’une des raisons de la chute de la dynastie des Song du Nord. Le chantier donna aussi lieu, comme on pouvait s’y attendre, à une corruption énorme, et les mandarins chargés des travaux et de la recherche des matériaux pour le jardin s’enrichirent considérablement.
Mais finalement, les Jürchens, peuplade du nord-est de la Chine, prirent la capitale des Song en décembre 1125. La ville fut livrée au pillage jusqu’en mars 1127 ; le Pic du Nord fut détruit et tout ce qu’il contenait fut pillé.
1 commentaire