La Forêt de Schildbach, l’écologie des Lumières
La xylothèque de Carl Schildbach voit le jour à l’époque de « l’écologie avant l’écologie ». Pour la première fois on dresse une liste de questions : Quelles sont les espèces d’arbres locales ? À quoi sert tel bois ? Comment augmenter la production ? Avons-nous besoin d’essences venues d’ailleurs ?
La xylothèque de Carl Schildbach voit le jour à l’époque de « l’écologie avant l’écologie », comme l’écrit l’historien des techniques et de l’environnement Joachim Radkau en ouverture du deuxième chapitre de son ouvrage de référence Die Ära der Ökologie. Eine Weltgeschichte (L’Ère de l’écologie. Une histoire universelle), une époque qu’il situe chronologiquement « entre Rousseau et le romantisme ».
Outre le « culte de la nature », Radkau y évoque également la « pénurie de bois » déplorée alors à l’échelle mondiale. L’auteur reconnaît dans cette inquiétude une préfiguration du mouvement écologiste, lequel ne sera repris dans sa vision globale, comme emblème d’une urgence internationale, que dans les années 1970 avec les débats du Club de Rome [1]. Le biologiste et écologiste du paysage Ludwig Trepl fait aussi commencer son histoire de l’écologie dès le xxviie siècle [2].
C’est d’ailleurs dans la pénurie de bois mentionnée plus haut que le concept de « développement durable », employé couramment aujourd’hui, trouve son origine. La durabilité [3] est considérée à l’époque comme le signal d’une politique agricole et forestière à réinventer, ce qui a conduit à la création d’académies de sylviculture et d’associations agricoles. Ces dernières prônent une gestion bonne et rentable des arbres poussant dans les forêts, dans le sens du développement durable. À l’« âge du bois », le bois a acquis une importance fondamentale en tant que matière première, car il menaçait de devenir rare et cher, notamment en relation avec les débuts de l’industrialisation et la croissance démographique, un phénomène qui a attiré l’attention des économistes. (…)
Or l’idée totalement inédite de Schildbach est de regrouper en un tout les parties séchées de la plante et le bois, sous l’aspect de livres, et de reconstituer ainsi tout le cycle de la vie de chaque essence. Il souhaite montrer l’utilité de la plante dans toutes ses composantes et présenter au spectateur des paysages arborés imaginaires ou réels, lui fournir une vision du bois des arbres et plantes ligneuses.
La diffusion de ses idées a incité quelques passionnés à proposer par souscription leurs propres réalisations sérielles, des copies (si ce n’est des plagiats) du modèle original [4]. Ces collections de livres en bois sont appelées aujourd’hui xylothèques (du grec xylon, « bois » et theke, « armoire », « lieu de conservation »). Leur production en série et leur période de propagation se situent entre 1791 et 1815 [5].
La différence capitale entre ces copies sérielles et les pièces uniques de Schildbach réside toutefois dans le concept de cycle annuel sous-tendant sa présentation : « de la naissance à la mort » du bois, comme de la plante. Témoignage surtout de la modernité de Schildbach dans le sens de l’écologie, cette approche sert déjà de fondement, avant 1780, à sa Sammlung von Holzarten, so Hessenland von Natur hervorbringt (Collection d’essences d’arbres telles que les produit la nature dans le pays de Hesse), comme le rapporte Günderode (1781). (…)
Même si le terme scientifique « écologie » n’a été forgé qu’en 1866 par le biologiste allemand Ernst Haeckel, on en trouve déjà des antécédents et des notions voisines chez Schildbach dans ses descriptions d’essences d’arbres. Haeckel expliquait : « Nous entendons par écologie la science des relations des organismes avec le monde environnant, auquel nous pouvons rattacher toutes les “conditions d’existence” au sens large. Ces dernières sont de nature organique ou inorganique [6]. »
Dans la présentation de sa « Bibliothèque de bois selon un plan librement choisi », Schildbach publie par exemple en page 17, sous le titre « Autres subdivisions » (Ferner Unterabtheilungen), une « systématique » expliquant sous quels aspects il décrit l’arbre sur la face interne du couvercle coulissant, et comment il souhaite qu’il soit « lu ».
Observateur des arbres, Schildbach étudie donc les questions de l’habitat, de l’origine, de la morphologie, des racines, des qualités du sol, etc. avant d’attribuer les arbres à de futurs parcs paysagers ou d’en recommander vivement la culture pour augmenter les réserves de bois. Il s’intéresse également à l’utilité des différentes parties de la plante. La vision écologiste de Schildbach et ses idées résolument modernes et novatrices pour son temps se manifestent pourtant avant tout dans sa prise en considération des « appareils de fécondation » des plantes ligneuses — à l’époque, en effet, on doutait encore fortement de l’existence d’une sexualité végétale.
Extrait du texte de Anne Feuchter-Schawelka
[1] Radkau 2011, p. 40.
[2] Trepl 1987.
[3] En allemand, Nachhaltigkeit.
[4] Feuchter-Schawelka et al. 2001.
[5] Les 60 exemplaires existant encore en Europe sont clairement répertoriés dans Tjerk Miedema 2008, p. 191-193.
[6] Haeckel 1866.
Attention, derniers jours !
Éditeur de livres d’art, nous publions un ouvrage dédié à la collection de livres-arbres de Carl Schildbach. Chaque livre-arbre a été réalisé par Carl Shildbach dans l’essence de l’arbre étudié, chaque face de ses boîtes présente le bois dans une coupe différente et, à l’intérieur de chacune d’entre elles, une scénette en trois dimensions propose la reconstitution du cycle de vie annuel de la plante.
Carl Schildbach recueille, à chaque saison, des graines, des branches, des feuilles, des écorces de chacune des plantes de la forêt dans tous leurs états. Patiemment, il assemble les éléments naturels avec du tissu ou du papier pour recréer des fleurs ou des fruits qu’il modèle dans la cire.
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