Conte : La Yeuse collectionneuse, histoire (presque) vraie
II était une fois une Yeuse, déjà largement centenaire disait-on et aussi bienheureuse. Elle s’était mariée à un mur de restanque sur lequel elle poussait. Mur vieux lui aussi, vieux, si vieux que l’on ne savait plus lui donner d’âge. Tout deux coulaient des jours paisibles dans un havre reculé, épargné par la folie des hommes.
Au fil des années nos deux tourtereaux s’étaient pris de passion pour la collection botanique. D’abord, ils eurent un lierre, espèce facile à apprivoiser et même un peu encombrante si l’on n’y prend garde. Enhardis par leur succès, ils accueillirent des salsepareilles ; peut être viendraient-ils alors de ces fameux petits nains bleus dont on leur avaient dit qu’ils en sont si friands ? Puis des nombrils de Vénus accoururent sans se faire prier pour se dorer au soleil.
Alors nos deux anciens devinrent plus exigeants, leur passion devint une véritable manie : « Nous aurons les quatre sortes de fougères qui existent en terre de Provence » jurèrent-ils. Avec patience et ténacité, ils séduisirent d’abord le Cétarach, la moins exigeante de toutes. Puis, ils obtinrent des polypodes du midi qu’ils leur envoient quelques uns de leurs rejetons. Enfin, par hasard, une Doradille des ânes s’installa entre deux pierres sans plus de façon. Ces nouvelles venues réjouissaient aux plus haut points notre compère et notre commère, qui les cajolaient et n’avaient de cesse pour leur prodiguer des soins attentifs et constants.
Mais… Les mois, les années passèrent, et ils n’arrivaient toujours pas à se procurer de Capillaire des murailles ! Ils ameutèrent le peuple des forêts, firent mille promesses à la pie et l’écureuil, supplièrent les vents et les orages, délestèrent les promeneurs de la boue collée à leurs semelles… Tant et si bien que par un beau jour de printemps, à leur grande joie, ils virent naître le dernier de leurs trésors qui poussa timidement ses frondes au milieu des ses frères. Quelle fête ce fut dans ce coin de forêt perdu ! Tous leurs parents, tous leurs amis furent conviés pour venir admirer la nichée de fougères, exhibées avec tendresse et fierté par les heureux parents.
Cette jubilation ne dura qu’un court moment. Bientôt nos inséparables aïeux entrèrent dans une grande controverse : leur prochain hôte serait-il une fleur rare ou un champignon d’exception ? Si vous passez sur ce chemin perdu, tendez l’oreille, vous entendrez tout bas le murmure de leur infini conciliabule.
Michel Bricard
10 novembre 2023
20 commentaires
Bravo, merci de cette belle histoire!
Pédagogie par la magie…
La dimension magique du conte permet de bâtir un beau récit sur notre milieu vivant et d’ensemencer les imaginaires enfantins (et les autres) de respect et d’espoir.
Quel beau comte. La nature nous parle .Ecoutons, observons et diluons nous dans les éléments
Merci, je pense comme vous que les contes permettent de transmettre une part sensible du monde, difficilement communicable par ailleurs.
La photo des acteurs du conte est magnifique ; et votre conte m’a complètement emportée au sein du monde végétal et de ses mystères ! Merci.
Merci à vous
Merci beaucoup pour votre conte, ce fut un plaisir de le lire.
Merci pour la beauté du regard posé sur l’instant d’un cliché, fruit de longues années d’observation je suppose.
Merci, Oui en effet, j’ai toujours été subjugué par la dynamique biologique qui va s’accélérant, la profusion en espèces qui va croissant, quand on laisse tranquille un bout de nature.
C’ est tout à fait délicieux ! Quelle délicatesse ! Merci.
Merci à vous
Gratitude.
Cela fait du bien de sentir en vous lisant que « la folie des hommes » en épargne quelques uns et peut-être plus à la faveur de conte de faits botaniques propice à l’inspiration contempl’active et bienfaisante de la contribution humaine à la beauté de la vie.
Merci, J’espère comme vous que les humains sauront à temps s’arrêter pour écouter et apprendre ce que la nature peut leur enseigner.
Merci pour ce presque vrai, très vraisemblable en fait. Si je passe par là je proposerai aux vieux amants un orpin à feuilles épaisses, Sedum dasyphyllum. Il fait bon ménage avec les fougères muricoles.
Merci, promis, je leur chuchoterai à mon prochain passage !
Merci pour ce petit moment plaisir de lecture et botanique, avec à la clé une nouvelle identifcation
je ne connaissais pas le nom de Yeuse pour le chêne vert.
Merci à vous
Les nombrils de Venus qui accourent pour se dorer au soleil, mais c’est où ça?
Foi de nombril de Venus, je ne pousse qu’à l’ombre.
Vous avez certainement raison. Mais quand je suis passé, par une trouée dans les ramures, le soleil les illuminait. J’en ai retenue l’image.
Magnifiquement écrit et transportant. Bisous tonton
Une ENT femme en Provence; on les croyait disparues. Celle-ci sait ce qu’elle veut.
Oui !!! Je ne connaissais par les Ents, dans l’œuvre de Tolkien. Je conseille aux lecteurs de Telabotanica intéressés par les esprits de la nature de regarder la fiche à ce sujet dans Wikipédia. Merci Pour cette référence.