Comment créer un Harmas (jardin sauvage) ?
Du mot « ermes », « ermanium » en bas latin, « harmas » désigne un terrain en friche.
Véritable laboratoire vivant en plein champ, la recette pour créer le vôtre est simple. Jardinier du Harmas J.-H.Fabre à Serignan du Comtat, la partage bien volontiers.
La recette
Un récipient, quelques ingrédients et aromates, un soupçon de sueur et l’osmose se crée entre les mondes minéral, végétal et animal.
Le récipient : un lopin de terre ou, plus vastement, un champ de plusieurs centaines de mètres carrés, tout cela dépend de votre appétit.
Pour y bien travailler, remplacez les ustensiles d’usage dans votre cuisine par la fourche à trois dents, le piochon, le plantoir, le râteau…. Avant l’automne, préparer le creuset de votre harmas en combattant avec acharnement le chiendent.
Après un premier labour automnal, vous laisserez germer les graines portées par le vent et ajouterez des plantes endémiques et régionales. Les insectes viendront s’y installer tout comme les petits animaux tels que la tortue d’Hermann, de nos jours protégée, les hérissons, les reptiles, les batraciens… tous auront leur place.
Vous pourrez alors, à votre gré, compléter votre herbier avec des plantes annuelles dont grand nombre de graminées comme l’avoine sauvage, la grande amourette ou la queue de lièvre, très séduisante lorsqu’elle elle se laisse bercer par le vent. D’autres encore, comme le coquelicot dont les pétales servent à façonner les loges des abeilles tapissières, le silène de France, la fumeterre officinale ou l’euphorbe réveil matin. N’oubliez pas non plus les bisannuelles telles la pastel des teinturiers ou la garance, autrefois utilisées pour la production de leur colorant bleu et rouge. Agrémenter le toutde cistes, de mauves, d’onagre odorante, plus séduisante juste après le coucher du soleil lorsque les fleurs du jour sont bien épanouies, de fenouil, plante dressée plutôt fluette dont tous les organes dégagent une forte odeur tout comme la Rue d’Alep. Récompensés de votre travail pendant quelques années, vous le serez grâce aux vivaces, toutes si chères aux hyménoptères : le féroce scolyme d’Espagne, l’onoporde d’Illyrie, la centaurée chausse-trappe, celle de Naples ou encore du solstice qui prédomine à l’Harmas J.-H. Fabre.
Pour attirer une multitude d’insectes, réservez une place aux plantes mellifères tels les thyms, la lavande, la mélisse sans oublier le romarin. Vous y ajouterez aussi le millepertuis, la sauge officinale et sclarée, le plantain, la pâquerette et l’Agneau-chaste toutes encore utilisées pour leurs vertus médicinales.
Mais surtout ! N’oubliez pas l’arum serpentaire (dracunculus vulgaris) si étrange par sa forme et son incomparable odeur nauséabonde, attirant à la ronde divers insectes « charcutiers » se nourrissant de détritus à la senteur cadavérique. Dès lors, nombre de silphes, dermestes et autres coléoptères nécrophores viendront s’engouffrer dans sa bourse pour se livrer à une effroyable orgie. Repus, ils cèderont leur place aux cloportes, forficules, fourmis… qui, attirés par un fumet de bêtes crevées, débarrasseront l’arum des trépassés.
Lorsque viendra l’été, vous apprécierez certainement de dégustez votre harmas bien frais. Arbres et arbustes vous garantiront cette atmosphère salutaire. Plantez donc quelques chênes kermès dont l’hôte très particulier, le bien nommé kermès, perfore l’écorce et fournit un sirop dont les fourmis, patientes récolteuses se délectent.
Ici et là, un pin d’Alep ou maritime dont les rameaux seront bientôt conquis par la si célèbre chenille processionnaire qui, en mars, quittera son nid de soie haut perché, habitat collectif, pour s’enfouir dans le sol, se revêtir d’un fin cocon dont elle s’extirpera, en été, métamorphosée en papillon du même nom.
Pour attirer la cétoine ou les lépidoptères comme le papillon « jaune de Provence », si rare de nos jours, pensez aux lilas, dont la floraison est l’une des premières au printemps. La fauvette, le moineau et le verdier viendront aussi s’y percher. Lors de leur migration automnale, les queue-rousses se régaleront des grappes de petites baies roses puis bleuâtres embaumantes du térébinthe.
Mais un harmas digne de ce nom ne saurait souffrir l’absence de quelques illustres occupants. Prévoyez donc d’accueillir des hérissons en laissant ça et là quelques amas de branchages qui, sans nul doute, les abriteront. Pour le lézard ocellé, un petit tas de pierres fera l’affaire. Tapi dans ce dernier, il guettera, à l’abri des regards indiscrets, le petit corps massif sur pattes fouisseuses du scarabée. Enfin, un monticule de sable offrira un asile de choix aux bembex.
L’élaboration de votre harmas est maintenant achevée. Laissez le « mijoter » quelques mois en veillant à ce que le chiendent ne l’envahisse pas. Alors bientôt, le moment viendra de le savourer et si vous êtes attentifs, un brin curieux, vous découvrirez, comme Jean-Henri Fabre, un monde merveilleux.
Philippe GUILLON,
Jardinier à L’Harmas J.H. FABRE,
Sérignan-du-Comtat, Vaucluse