Y a-t-il eu migration des plantes en altitude ?
Cette publication de 2009, par Gilles GRANDJOUAN et Henry BRISSE, s’interroge sur la migration des plantes en altitude au cours du vingtième siècle. Un inventaire fondé sur la banque française de données phytosociologiques Sophy.
Résumé
La théorie du réchauffement climatique global a suscité une question : Est-ce que les plantes migrent en altitude pour échapper au réchauffement ? Pour y répondre, on fait le bilan des altitudes d’une plante, observée à différentes époques au cours du vingtième siècle. Les données proviennent de la banque Sophy. Elles portent sur 2457 plantes suffisamment fréquentes, recensées depuis près d’un siècle, dans 170.000 relevés localisés, d’après environ 3.400 publications. Pour une plante présente dans n relevés, on passe en revue les n x (n-1)/2 couples de relevés qui la contiennent et on considère d’abord leurs différences purement géographiques. Pour un couple, ce sont les différences d’altitude entre le relevé le plus récent et le plus ancien, caractérisées seulement par leur ampleur, en mètres, et leur sens, vers le haut ou vers le bas. Des milliers ou des millions de différences géographiques témoignent du déplacement éventuel d’une plante en altitude. La médiane de ces différences montre la tendance de la migration éventuelle, mieux que ne le ferait la moyenne, car la médiane dépend peu des valeurs extrêmes, inévitables dans une vaste banque.
On résume les différences géographiques de trois façons. 1°) les sens de leurs médianes : il y a presque autant de différences vers le bas (1005 médianes) que vers le haut (1178 médianes). 2°) les valeurs de leurs médianes : elles ont leur moitié centrale (leur intervalle interquartile) comprise entre 20 m vers le bas et 30 m vers le haut, du même ordre de grandeur que l’incertitude avec laquelle on connaît généralement l’altitude d’un relevé. 3°) les probabilités que, plante par plante, les différences soient plus grandes vers le haut que vers le bas, donc les probabilités que la plante s’élève en altitude, ou bien, au contraire, les probabilités que la plante descende. Ces probabilités sont comprises, pour leur moitié centrale, entre 3% vers le bas et 11% vers le haut ; autrement dit, l’hypothèse contraire de la stabilité des altitudes est probable à plus de 90%.
Voyons maintenant si la durée modifie, comme d’autres l’ont supposé, les différences géographiques. On définit des différences historiques d’altitude en les pondérant par les durées qui séparent les deux relevés d’un couple. On trouve des résultats similaires. 1°) presque autant de différences vers le bas (1035 médianes) que vers le haut (1292 médianes) ; 2°) une moitié centrale comprise entre 34 m vers le bas et 60 m vers le haut, la médiane générale des différences historiques valant seulement 4 m ; 3°) enfin, les probabilités que les différences historiques soient décalées par rapport aux différences géographiques sont comprises, pour leur moitié centrale, entre 2% vers le bas et 4% vers le haut. Pour la majorité des plantes, la durée a donc peu ou pas d’influence sur la différence d’altitude. Il est vrai que les durées d’observation sont faibles entre les deux relevés d’un couple. Les durées maximales sont comprises entre 36 et 55 ans (pour leur moitié centrale) mais les durées médianes, qui sont les plus fréquentes, sont comprises entre 12 et 15 ans, ce qui est peu pour que le climat ait eu le temps de marquer son influence éventuelle sur la répartition d’une plante.
Si, dans l’ensemble, il n’y a pas de migration des plantes en altitude et si la durée n’a quasiment pas d’influence sur la stabilité des altitudes, il reste à examiner si, dans le détail, certains groupes de plantes montrent des migrations particulières. Cet examen utilise une classification socio-écologique qui regroupe les plantes selon leurs comportements. Or, aucun de ces groupes ne se distingue par une migration affirmée en altitude sauf quelques cas particuliers qui montrent une différence médiane supérieure à 100 m, tantôt vers le bas, tantôt vers le haut, presque toujours indépendamment de la durée. On pouvait supposer qu’une plante réagirait plus vite par une variation d’abondance que par un déplacement des présences. Il n’en est rien. Les paramètres des différences sont quasiment identiques pour les 1529 taxons présents et pour leurs 807 niveaux d’abondance. Il apparaît que ces différences ne dépendent pas systématiquement du climat et qu’elles résultent plutôt des modifications dans les conditions de la prospection et dans l’utilisation du sol.
Les résultats précédents sont plutôt négatifs, sauf trois points : 1) l’intérêt d’une banque de données phytosociologiques ; 2) la simplicité des réponses probabilistes, la probabilité étant la forme la plus appropriée de la connaissance sur les comportements des plantes en milieu naturel ; 3) l’existence d’une classification socio-écologique des plantes, récemment affichée sur le site Internet de la banque Sophy.
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