Vous avez dit référentiel ? Quèsaco ?
Les référentiels sont très à la mode dans de nombreux domaines : qualité, normalisation… Dans le domaine du vivant ce sont des outils indispensables pour nommer les êtres et permettre l’échange des données les concernant. Mais comme nous allons le voir, rien n’est simple en la matière !
Position du problème
Quoi de plus banal que de donner un nom à une plante, n’importe quel enfant n’est-il pas capable de reconnaître un coquelicot ! Il s’agit pourtant là d’un redoutable problème… Les raisons en sont multiples. Tout d’abord, contrairement au monde animal, la notion d’espèce végétale est bien moins clairement définie par des critères de reproduction avec descendance. Les hybridations sont nombreuses entre certaines espèces, voire entre certains genres. Des plantes, comme le pissenlit, bien que possédant des fleurs n’ont pas de reproduction véritablement sexuée, on les dit apomictes. D’autres préfèrent une multiplication végétative et certaines d’entre elles, comme les Ophris sont en pleine évolution radiative produisant des espèces instables, difficiles à différencier. Ensuite, la taxonomie, discipline qui s’intéresse à la délimitation des taxons, est une science en pleine évolution. L’introduction de la protéomique puis de la génomique ont bouleversé les classifications du vivant en remettant en cause l’appartenance aux familles ainsi que la dénomination des genres. Pour finir, la nomenclature, discipline qui traite du nom des plantes obéit à des règles définies au niveau international dans un « code de la nomenclature botanique » qui fait entrer l’histoire dans la façon de dénommer les plantes en retenant le nom le plus ancien attribué à chaque taxon avec des règles très strictes sur la validité de ces noms. On voit ainsi que nommer une plante sur le plan scientifique est une tâche difficile, soumise à dires d’experts parfois contradictoires. Alors, comment parler objectivement de biodiversité si l’on n’est pas même capable de nommer scientifiquement les plantes ? Pour résoudre ce problème les spécialistes ont développé diverses stratégies et différents outils.
Les différents référentiels
Les premiers d’entre eux sont les index nomenclaturaux. Il s’agit de listes de noms de plantes avec leurs références bibliographiques permettant de les dater et de vérifier leur validité. Ces index sont dits « objectifs » dans la mesure où ils ne donnent que des informations vérifiables. Le plus connu d’entre eux est l’index de l’IPNI qui regroupe plus de 1,6 million de noms.
En regroupant tous les noms qui sont attribués à un même taxon on constitue un index taxonomique, avec des noms mis en synonymies et un nom officiellement retenu pour chaque taxon (« nom retenu » ou « accepted name »). Cet index est subjectif car il dépend de dires d’experts et est soumis à l’évolution des connaissances qui délimitent et organisent les taxons. Ces connaissances sont échangées dans le cadre de travaux de recherche et de publications scientifiques nécessitant un suivi permanent à l’échelle internationale. Parmi ces index nous pouvons citer The Plant List index mondial et Euro+Med Plant Base qui couvre l’Euro-méditerranée et bien entendu le référentiel TAXREF de l’INPN pour la France
Pour les botanistes de terrain, il n’est pas question de suivre cette actualité au jour le jour. Aussi, périodiquement sont publiées des « flores » qui en constituent des synthèses sous forme d’outils opérationnels permettant de délimiter les taxons par l’observation et de leur attribuer un nom le plus actualisé possible. La parution en 2013 de la Flore de France méditerranéenne continentale par le Conservatoire botanique national de Porquerolles et en 2014 de « Flora Gallica » par la Société Botanique de France aux éditions Biotope en sont de bons exemples.
Et le nom commun des plantes ?
Mais nommer les plantes ne concerne pas seulement les spécialistes… Tout le monde souhaite donner un nom « simple » aux plantes qu’il rencontre et cet exercice remonte au fond des âges où de tout temps, les plantes se sont vue attribuer des noms communs par ceux qui les cultivent, les récoltent pour se nourrir, se soigner ou simplement se faire plaisir à les regarder. Ainsi, la plupart des plantes communes sont affublées de différents noms dépendant de leur apparence, des vertus qui leur sont attribuées ou de tout autre critère. L’étude de ces dénominations dites vernaculaires relève de l’ethnobotanique, mais pas de la dénomination scientifique des plantes. En effet, beaucoup de plantes possèdent une multitude de noms vernaculaires, et un nombre tout aussi important de plantes, plus discrètes, n’en n’ont aucun ! Tela Botanica, grâce notamment aux travaux de Jean-François LEGER et de Pierre SEBA fournit ainsi les noms vernaculaires d’un grand nombre de plantes dans 8 langues européennes.
Par ailleurs, toute action de protection des plantes à l’intention du public doit pouvoir s’exprimer, selon la loi, dans un langage simple et compréhensible de tous. Afin de résoudre cette difficulté de dénomination il est proposé d’attribuer à toutes les plantes, pour un territoire et une langue donnée, un nom unique dans la langue du territoire. Cet exercice a par exemple été réalisé avec succès par les botanistes du Québec (travaux de Gisèle Lamoureux, 2002), permettant d’attribuer à chaque taxon, en plus de son « nom scientifique retenu » un « nom normalisé officiel ». Pour faire face aux changements nomenclaturaux et stabiliser les noms communs, il est communément admis que le nom normalisé reste stable et ne suit pas nécessairement les évolutions nomenclaturales établies par les scientifiques. Les principes de dénomination normalisée pour la France ont été établis par un groupe de travail animé par Tela Botanica en 2012 et 2013 et testé sur plusieurs miliers de taxons (Guide de nomenclature des noms normalisés en français pour les plantes Trachéophytes de France métropolitaine). Ce code est en cours de mise en application sur le référentiel de la flore des trachéophytes de Fance métropolitaine et de Corse.
Actions de Tela Botanica
Le problème étant posé, quelle est la stratégie de Tela Botanica pour aborder les différentes facettes de ce problème ? Dès sa création en 1999 Tela Botanica a travaillé à constituer un index « national » des plantes de France. La constitution de cet index synonymique et nomenclatural partait des travaux de Michel KERGUÉLEN (1928-1999) publiés en 1993. C’est Benoît BOCK qui s’est attelé à cette lourde tâche et continue d’en assurer la mise à jour avec le soutien des meilleurs botanistes de France sur le forum de discussion ISFF de Tela Botanica. Dans sa version actuelle (février 2014) il comporte près de 100 000 noms relatifs à près de 16 000 taxons. Il intègre les derniers travaux de recherche en matière de taxinomie de l’APG3 (Angiosperme Phylogenic Group) et suit globalement les délimitations taxonomiques des flores les plus récentes (Flore méditerranéenne 2013 et Flora Gallica 2014). Cet index est mis à jour dans le cadre contractuel d’une convention entre Tela Botanica, la Fédération des conservatoires botaniques nationaux, le MNHN et le Ministère de l’environnement. Il sert de référence au MNHN pour le référentiel TAXREF de l’INPN cité précédemment. Cet index taxonomique des plantes vasculaires de France est téléchargeable librement sur le site de Tela Botanica dans ses différentes versions. Il bénéficie d’une interface de téléchargement permettant de sélectionner les taxons selon différents critères et propose de choisir la liste des données que l’on veut importer. Voir la page de téléchargement du référentiel
Dans la suite de son programme Tela Botanica se propose
– de poursuivre l’actualisation de son index synonymique et nomenclatural en intégrant le retour d’expérience des botanistes de terrain qui sont confrontés à son utilisation au quotidien, en particulier par les Conservatoires botaniques nationaux et les nombreux usagers des flores récemment parues (Flora Gallica, Flore méditerranéenne)
– de confronter cet index aux travaux conduits dans le contexte international afin d’évaluer son niveau d’actualisation, permettre d’établir des liens entre les flores de différentes contrées (Europe, Afrique du Nord, pourtour méditerranéen…) et s’intégrer dans le système mondial (The Plant List, World-Flora…)
– de créer un espace Web dédié à la nomenclature basé sur l’index des plantes de France afin d’agréger les connaissances nécessaires à l’usage de ces noms sur le plan scientifique : bibliographie, protologues, locus typicus, scan des types nomenclaturaux, etc.
– de constituer une liste complète des noms français normalisés pour la Flore de France fondée sur la connaissance et l’usage des noms les plus courants et les connaissances nomenclaturales les plus à jour pour les plantes ne disposant pas de nom vernaculaire à l’aide du Guide de nomenclature des noms normalisés en français pour les plantes Trachéophytes de France métropolitaine élaboré en 2013.
Ces différentes actions sont complémentaires et permettent de positionner favorablement la France dans le jeu international des connaissances sur la biodiversité.
Daniel MATHIEU
1 commentaire
quésaco est de l’occitan et s’écrit :
« qu’es aquo » avec un accent grave sur le « o ».
La signification est « qu’est ce que c’est (que ça) ? »