Une bactérie, transmise par insecte, à nos portes : Xylella fastidiosa
Une bactérie, nouvellement introduite en Europe et provoquant la mort d’espèces ligneuses cultivées ou non, suscite de très vives inquiétudes. Hervé LOT, ancien directeur de recherche à l’INRA nous propose un tour d’horizon sur les dangers de ce pathogène et les moyens mis en œuvre pour limiter sa progression.
Un (petit) nombre de médias ont donné écho à une nouvelle menace pour nos espèces cultivées, arbres fruitiers ou d’ornement et au-delà de nombreuses espèces arborées. Il s’agit de l’introduction, dans l’extrême-sud de l’Italie, et de l’extension de la bactérie Xylella fastidiosa. Comme à l’accoutumée, les réactions émotives prévalent sur la connaissance des travaux, des résultats et des faits. Je tente de donner ici l’état des connaissances sur le sujet.
Si un groupe de travail ad hoc a permis à l’EFSA (Autorité européenne de la Sécurité des aliments), Section Santé des Plantes, de produire un rapport très « circonstancié », on ne peut pas dire qu’agriculteurs et citoyens aient les moyens de connaître où on en est !
1 – Le pathogène en cause : une protobactérie.
Depuis quelques années, un « dessicamento spontaneo » affectait des arbres dans la province de Lecce (Pouilles). Plusieurs hypothèses comme pourriture des racines, attaque d’une nouvelle souche d’anthracnose ou de la « mouche-léopard » (Zeuzère), pollution de l’eau, mauvaises pratiques agricoles ont été envisagées pour expliquer ce dépérissement rapide et létal.
C’est en octobre 2013 qu’un groupe de chercheurs de Bari a publié ses résultats. Cette équipe a isolé sur de tels arbres un micro-organisme Xylella fastidios a et démontré qu’il était toujours associé au dépérissement typique. Ce résultat a été pris extrêmement au sérieux. En effet, cette bactérie phytopathogène, jamais détectée en Europe et sur la Liste des parasites de Quarantaine depuis 1992, constituait une menace gravissime pour de nombreuses espèces végétales.
Transmise par des insectes piqueurs polyphages, elle a fait des dégâts considérables sur nombre d’espèces ligneuses cultivées essentiellement sur le continent américain où elle est, encore aujourd’hui, en pleine extension.
2 – Quelques données sur les maladies causées par Xylella fastidiosa.
2.1- Début de l’histoire…
C’est vers 1892 que Newton Pierce a décrit une mystérieuse maladie de la vigne en Californie. Disparue pendant 40 ans, elle sévit à nouveau dans le vignoble où elle fut mieux étudiée sous le nom de « maladie de Pierce ». Il est alors démontré que le « virus » est transmis par une cicadelle à partir, entre autres, de luzernes présentant elles-mêmes un rabougrissement. Concomitamment, une maladie du pêcher sévissant en Géorgie et en Alabama, a semblé présenter des similitudes avec la maladie de la vigne.
Quelques autres espèces d’insectes-vecteurs ont été identifiés : tous se nourrissaient exclusivement dans les vaisseaux du bois. Mais ce n’est que dans les années 70 qu’une bactérie du phloème a été démontrée comme agent causal de la maladie de Pierce. Cette affection a gagné progressivement les vignobles du sud de la Floride. À la même époque, on prouve que des « brûlures » de l’amandier, du chêne et de l’orme sont dues à cette même bactérie.
2.2 – X. fastidiosa : ses caractéristiques, sa diversification et son extension. Méthodes de lutte.
Aujourd’hui, quatre sous-espèces de X. fastidiosa ont été identifiées avec des spectres d’hôtes spécifiques. Aux USA – où les 4 sont maintenant présentes – ce sont les cultures de vigne, d’amandier et de pêcher qui sont les plus menacées économiquement. Au Brésil où des cultures de Citrus et de prunier souffraient respectivement de chlorose et de dépérissement inexpliqués, X. fastidiosa a été montrée responsable. De nombreux vecteurs ont été identifiés. Dans l’état de Sao Paulo, X. fastidiosa pauca fait des dégâts considérables sur les cultures d’oranger, espèce la plus sensible, où de trois arbres atteints en 1987, on estime maintenant l’extension de la maladie à 60 % de la surface cultivée ! Aujourd’hui, toutes les cultures de pruniers sont aussi touchées. Plus récemment, dans ce pays et au Costa Rica, la bactérie a été reconnue responsable d’un dessèchement du caféier. En Amérique du Sud, à ce jour, seulement deux sous-espèces de la bactérie ont été isolées.
Jusqu’à présent, X. fastidiosa n’avait été trouvée que sur le continent américain mais elle a été identifiée récemment de façon incontestable à Taïwan et presque sûrement en Iran.
C’est évidemment aux USA puis au Brésil que les recherches les plus intenses ont été menées. On sait maintenant que près de 40 espèces d’Hémiptères appartenant aux familles des Cicadellidae, Aphrophoridae ou Cercopidae peuvent être des vecteurs de l’une ou l’autre des 4 sous-espèces identifiées de X. fastidiosa.
La gamme d’hôtes sensibles est impressionnante… : 309 espèces appartenant à 193 genres de 63 familles différentes. En plus de la vigne, des Citrus, amandier, prunier et caféier évoqués, citons : le cerisier, le laurier-rose mais bien d’autres espèces ligneuses du genre Quercus, Sambucus, Ulmus, Platanus, Cyperus, etc, et jusqu’à la gymnosperme Gingko biloba ! Beaucoup d’espèces herbacées, des Fabacées aux Solanées, des Apiacées aux Poacées etc.., sont des réservoirs potentiels même si le plus souvent porteurs sains.
L’abondance d’espèces végétales sensibles comme le grand nombre d’espèces d’insectes-vecteurs, l’impossibilité de détruire la bactérie par un traitement chimique, le côté hasardeux de traitements insecticides massifs contre les vecteurs (par des néonicotinoïdes qui, eux, sont « transloqués » dans le xylème) conduit à une problématique de lutte très difficile. Pour la vigne l’utilisation, en Californie, de variétés tolérantes est très prometteuse. Pour d’autres espèces, l’obtention de variétés résistantes non-OGM n’a pas encore abouti. Même si l’introgression de gènes de résistance chez des espèces ligneuses est longue et complexe, trop peu de recherches sont effectuées dans ce sens, comme dans la lutte « biologique » utilisant la prémunition par une souche faible de X. f.
Dans les cultures atteintes, en plus de l’éradication – simple « retardateur » de la progression de l’épidémie car, à l’heure actuelle, aucun des programmes de ce type n’a réussi à éliminer X. f -, des traitements insecticides systémiques sont appliqués pour limiter les infections secondaires.
3 – La situation dans les Pouilles.
Même si le rôle aggravateur de champignons pathogènes dans la mort d’arbres parfois centenaires ne peut être éliminé, il est très probable que la seule bactérie puisse être la cause de ce qui fut appelé l’« Olive Quick Decline Syndrom ».
La souche isolée à ce jour est proche de X. fastidiosa pauca. Le vecteur identifié est le « cercope des prés » (Philaenus spumarius). Il s’agit d’une espèce – appartenant à la famille des Aphrophoridés – qui est très commune dans toute l’Europe, se nourrissant surtout sur des espèces herbacées, mais parfois également sur des espèces ligneuses dont l’olivier. Étant donné sa biologie, son cycle et ses liens avec cet arbre, il est vraisemblable que ce soit elle la plus efficace à acquérir et transmettre la souche concernée. Pourtant, on peut légitimement s’inquiéter du fait que dix espèces potentiellement vectrices sont largement présentes en Europe.
Au nord de la région de Lecce, les prospections ont révélé qu’aucun olivier ne paraissait atteint par la maladie, et qu’aucun des oliviers testés n’était porteur de la bactérie. De très nombreux échantillons de vigne et de Citrus mais aussi de Palmacées, Cactacées.., et de plus de 100 espèces sauvages ont été analysés dans la zone oléicole la plus contaminée : la bactérie n’a été détectée dans aucun cas. Par contre, dans cette petite péninsule de Salento, quelques autres espèces végétales ont été trouvées infectées par (la même souche) de la bactérie. Ce sont l’amandier, le cerisier, et quelques espèces ornementales : laurier-rose, genêt d’Espagne (Spartium junceum), mimosa bleuâtre (Acacia saligna), Polygala myrtifolia, Westringia fructicosa.
En plus d’une recherche accélérée et très collaborative, des méthodes d’élimination des sources et des vecteurs et les mesures préventives à l’extension de la maladie se sont mises en place rapidement.
L’élimination des oliviers malades a été entreprise. Pourtant, ce serait illusoire de penser que tous les oliviers « à symptômes caractérisés » (et encore davantage porteurs sains) seront et peuvent être éradiqués ! Au printemps, l’arrachage (mécanique si possible) des adventices pour éliminer les nymphes des vecteurs qu’elles hébergent devrait être effectué. Par contre, après le mois de mai, tout désherbage serait à éviter car les vecteurs iraient alors se nourrir sur les oliviers…
Sur ceux-ci, l’application de quelques traitements insecticides systémiques (de mai à fin juillet) sont, pour l’heure, la seule option pour tenter de limiter la progression des dégâts. Là encore, des alternatives aux funestes néonicotinoïdes doivent être étudiées.
Une vraie barrière de protection phytosanitaire, indispensable, est mise en place. Dans cette zone de 2 km de large au nord de la zone infestée de Lecce, talon de la “botte”, les espèces cultivées et adventices, infectées ou pouvant le devenir car sensibles, seront arrachées et les traitements contre les vecteurs appliqués.
Hervé LOT
PS: La mise sous quarantaine de ce parasite a sans doute évité de multiples introductions non contrôlées à partir des zones répertoriées atteintes (continent américain). Force est de constater qu’éviter les entrées plus ou moins sauvages de matériel végétal n’est pas « encore » tout à fait à portée de notre vieux continent. Les moyens de recherche pour l’amélioration des connaissances et des techniques sont importantes, L’esprit civique, le nombre actuel de conseillers agricoles formés et « indépendants », les moyens alloués aux Services en charge des contrôles aux frontières, sont un autre sujet.
À méditer à l’ombre des oliviers en fleurs…
* Une grande partie des éléments scientifiques provient des Compte-Rendus du Symposium de Gallipoli (d’Oct. 2014) et du Rapport « Scientific Opinion on the risks to plant health posed by Xylella fastidiosa in the EU territory, with the identification and evaluation of risk reduction options » (Janv. 2015).
1 commentaire
Questa posizione ripresa in febbraio 2016 completa molto precisamente il contenuto della mail AgoràAmbrosiana a seguire la Tavola Rotonda a Olio Officina Festival del 23 gennaio 2016 sul tema Xilella e olivi del Salento. V Lo Scalzo, AgoràAmbrosiana