Fougères, le croisement de deux espèces séparées depuis 60 millions d’années.
Une fougère retrouvée dans les Pyrénées est le fruit du croisement de deux espèces qui n’ont pas interagi depuis 60 millions d’années
Source : site Internet de Science et Avenir. Article de Joël IGNASSE, du 18 février 2015.
Se reproduire après une si longue rupture évolutive s’apparente à une hybridation entre un éléphant et un lamantin ou entre un humain et un lémurien ! » s’étonne Kathleen Pryer de l’université Duke, en Grande-Bretagne. C’est pourtant bien ce que révèle l’analyse génétique de cette fougère vert pâle découverte sur le sol d’une forêt des Pyrénées : elle est le fruit d’un croisement de deux espèces qui ont divergé il y a près de soixante millions d’années.
Pour la plupart des espèces l’incompatibilité sexuelle s’établit en quelques millions d’années
La fougère des Pyrénées est le fruit d’un croisement entre une fougère du chêne (Gymnocarpium dryopteris) et une fougère fragile (Cystopteris fragilis) ont montré les analyses phylogénétiques. Ces deux espèces coexistent dans une grande partie de l’hémisphère nord mais elles ont divergé il y a près de soixante millions d’années. « Pour la plupart des gens, elles ressemblent à deux fougères mais pour les spécialistes ce sont deux groupes vraiment différents » souligne Carl Rothfels, de l’université de Californie-Berkeley. « Pour la majeure partie des espèces animales et végétales, il faut au maximum quelques millions d’années pour qu’apparaisse une incompatibilité sexuelle après la divergence » ajoute-t-il. Le croisement génétique à l’origine de cette fougère hybride est donc particulièrement remarquable. Il fait d’ailleurs l’objet d’un article publié dans le journal American Naturalist.
HORLOGE. La vie sexuelle des fougères pourrait expliquer pourquoi certaines espèces restent interfécondes après autant de millions d’années. Alors que de nombreuses plantes à fleurs ont besoin d’oiseaux, d’abeilles ou d’autres animaux pour transporter leurs gamètes, les fougères utilisent elles le vent et l’eau. Or, oiseaux et insectes sont très sélectifs dans le choix des plantes. Si l’évolution modifie la forme des fleurs par exemple, ils n’iront peut-être plus la butiner favorisant ainsi la spéciation.
Chez les fougères qui ne dépendent que d’éléments physiques pour se reproduire, l’incompatibilité sexuelle peut évoluer plus lentement et l' »horloge de spéciation », qui mesure le temps que met une espèce à se scinder en deux autres distinctes, est bien plus lente. « Il est tentant de penser qu’il y a quelque chose de spécial à propos des plantes à fleur qui leur donne un avantage concurrentiel mais ces résultats soulèvent une autre possibilité » remarque Carl Rothfels.
Joël IGNASSE, 18 février 2015
3 commentaires
Bonjour,
Je me permets de corriger une information importante quant à l’origine prétendue de cet hybride : il est inexact de dire que cette fougère a été découverte dans les Pyrénées. Car la plante n’a jamais été observée dans les Pyrénées.
En effet, la description de ce taxon nouveau pour la Science par Chris Fraser-Jenkins en 2008, ainsi que toutes les analyses publiées par la suite (Rothfels et al. 2015, dont il est question ici) dérivent d’une même plante observée pour la première fois en culture, dans le jardin personnel de Harry Roskam aux Pays-Bas. Au milieu des années 1980, Harry Roskam avait en effet prélevé dans les Pyrénées puis ramené dans son jardin quelques échantillons d’une fougère localement abondante, Phegopteris connectilis. C’est effectivement cette dernière espèce qu’il observa une fois en culture dans son jardin. Mais la seconde année après la plantation, Harry a observé pour la première fois, au milieu des Phegopteris replantés, des frondes d’une apparence différente. Ce sont ces dernières qui se sont avérées être l’hybride intergénérique Cystocarpium. Je tiens ces informations de Harry Roskam lui-même.
La réalité de l’hybride intergénérique est bien démontrée dans l’article de Rothfels et al., et est tout à fait fascinante. Mais il reste un doute sérieux sur l’existence de cet hybride dans les Pyrénées, et donc sur la réalité de l’hybridation possible dans la nature entre les deux genres Cystopteris et Gymnocarpium. On ne peut en effet pas écarter l’hypothèse raisonnable que l’hybride soit apparu seulement en culture, dans le jardin aux Pays-Bas. D’autant plus qu’on peut douter que l’hybride soit passé inaperçue dans la nature depuis 30 ans, étant donné qu’en culture cet hybride infertile se révèle être très vigoureux et croit très rapidement en se reproduisant de façon végétative.
La découverte était sans doute plus séduisante en disant que l’hybride intergénérique a été découvert dans les Pyrénées. Mais cela n’est simplement pas vrai, au moins jusqu’à ce jour…
Bonjour
Merci pour votre correctif. Moi qui était d’un seul coup fascinée par cette « découverte ». Ceci dit, je ne sais pas si la piste d’éventuelles « durées de spéciation » plus courtes pour les Angiospermes vaut le coup, mais elle est intéressante.
Moi aussi, en lisant l’article, ça m’avait fascinée!
Merci pour le rectificatif! La réalité est moins excitante!