Retour : Page principale

Flore printanière — Noms français des plantes (pages 16 à 21) — Par Gisèle Lamoureux

Depuis 1975, au fur et à mesure de sa recherche de noms français à privilégier dans ses ouvrages, Fleurbec s’est donné des règles
pour le choix, la création, la modification et les modalités d’écriture des noms français… Tout en gardant en mémoire que la nomenclature des plantes reste bien vivante et que le bon sens commande parfois de déroger aux règles!


L’idée n’est pas d’imposer des noms et de bannir les autres. À nos yeux, tous les noms sont bons, utiles pour communiquer, et c’est pourquoi nous présentons, pour chaque plante, la liste la plus exhaustive possible des noms français et anglais utilisés en Amérique du Nord. Libre à chacun d’en adopter un, plutôt qu’un autre! Par contre nous trouvons avantageux d’utiliser un seul nom pour parler d’une plante dans nos livres et de proposer ce nom, comme commun dénominateur facilitant la communication.
Après 28 années expérimentales…
Écrivant sa Flore laurentienne, Marie-Victorin eut à proposer un nom français pour plus de 1500 plantes, dans un seul souffle. Il adopta parfois les noms français proposés par ses prédécesseurs (Provancher 1862, Brunet 1865, 1870, Moyen 1885) ou les remplaça par d’autres de son cru et en créa plusieurs centaines. Souvent, dans ses créations, il se contenta de traduire le nom latin et d’inventer ainsi des mots français, bien difficiles à trouver dans les dictionnaires généraux! Cela donna plusieurs noms rébarbatifs, techniques, que le grand public retient peu. Un témoin de l’époque, Ernest Rouleau, proche collaborateur de Marie-Victorin, affirmait que le choix des noms se faisait très rapidement, à cause de la somme de travail que demandait la préparation de la Flore, et qu’il vaudrait la peine d’en repenser plusieurs.
Jusqu’à maintenant, Fleurbec s’est le plus souvent «collé» au grand maître. Mais durant nos 28 années d’expérience en vulgarisation de la botanique, nous eûmes l’occasion de recevoir et de peser à peu près tous les genres de conseils et avis sur les noms français. Fleurbec acquit aussi une expérience précieuse en proposant des noms français pour 235 plantes susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables — dont une bonne proportion ne possédait pas de noms français du tout. Le temps nous semble venu, à la lumière de cette expérience et des avis reçus, de prendre position. Nous avons donc revu les noms adoptés pour les espèces décrites dans nos guides (près de 500 espèces) et, au fur et à mesure des rééditions, nous incorporerons ces noms révisés.
Deux petites règles de base
Flore printanière constitue la première de ces rééditions et de nouveaux noms français s’y trouvent. Les deux principales règles qui nous guidèrent sont les suivantes:
  • 1- Pour le genre: conserver un seul nom de genre français par genre latin, sauf pour de très rares exceptions.
  • 2- Pour lÂ’Ă©pithète spĂ©cifique: adopter des noms populaires très rĂ©pandus (quatre-temps, petit-prĂŞcheur, chou-puant, etc.) et Ă©viter les termes techniques ou ne figurant pas au dictionnaire.

La première règle tient compte des besoins et commentaires des scientifiques et la deuxième, du grand public. Cette deuxième règle devient la principale innovation concernant les noms français dans Flore printanière. Cela donne, par exemple: aralie chassepareille, asaret gingembre, cardamine carcajou, érable bois-barré.
Ces deux règles laissent encore passablement de latitude et la décision est souvent subjective. Décider quand un nom populaire est suffisamment répandu pour être ainsi intégré est arbitraire et affaire d’intuition. Si, en parlant d’une plante avec un non-professionnel de la botanique, on ajoute le nom populaire au nom plus scientifique (exemple: en parlant du thuya, spécifier qu’il s’agit du cèdre), c’est signe d’un nom répandu… utiliser ce nom peut faciliter la communication.
Le choix du nom français est affaire de vulgarisation scientifique et c’est au public non averti qu’il faut d’abord penser. Les botanistes professionnels utilisent presque toujours le nom latin d’un plante. Mais ils ont des opinions sur les noms français, ça oui! Et souvent, chacun la leur, pour un groupe de plantes ou l’autre. Faire un consensus sur ce sujet pour l’ensemble de la flore d’ici, serait l’oeuvre d’une vie…
Tenter de léguer un système de noms français qui se tienne scientifiquement, des noms agréables, originaux, non rébarbatifs, qui intègrent des noms populaires, voilà un objectif emballant. Fleurbec ne se sent pas lié par les noms français adoptés par Marie-Victorin, qui lui-même ne s’est pas senti lié par les noms français de Provancher ou de Moyen. D’un siècle à l’autre, tenter d’améliorer les choses, n’est-ce pas légitime?

Pour les mordus de nomenclature, voici plus en détail les règles qui guident Fleurbec dans ces questions.

Règles guidant Fleurbec dans le choix, la création, la modification et l’écriture des noms français de plantes

Priorité
S’il existe plusieurs noms satisfaisants, adopter celui proposé par Alex, Cayouette et Mulligan — à cause de l’effort de normalisation consenti par ces auteurs — ou celui proposé par Marie-Victorin, dans la Flore laurentienne — à cause de la popularité de cet ouvrage au Canada.
S’efforcer d’harmoniser les noms québécois et européens pour éviter les risques de confusion. La référence la plus utilisée: Gerth van Wijk, qui signale lesquels sont les plus répandus en Europe.
Changement de nom latin
Lorsque le nom latin subit des modifications, le nom français devrait les refléter, s’il est calqué sur le nom latin. Sinon, le nom français peut être conservé, s’il est toujours pertinent et n’entraîne pas de confusion avec d’autres noms latins.
A : Noms génériques
  • 1- Adopter un seul nom gĂ©nĂ©rique français par genre latin, afin de faire le lien entre les espèces dÂ’un mĂŞme genre. DĂ©savantage: cela laisse de cĂ´tĂ© des noms populaires très connus et souvent imagĂ©s: «quatre-temps» pour «cornouiller». Pour contrer ce dĂ©savantage, intĂ©grer ces noms populaires comme Ă©pithètes spĂ©cifiques, tel cornouiller quatre-temps.
Exceptions:
Nom générique latin qui a deux ou plusieurs noms français très connus et incontournables: Prunus = prunier et cerisier, Ribes = gadellier et groseiller.

  • 2- SÂ’il nÂ’est pas trop rĂ©barbatif, le nom gĂ©nĂ©rique ressemblera au nom latin. Ceci en facilite la mĂ©morisation par les botanistes qui connaissent dĂ©jĂ  le nom latin et familiarise les non-botanistes avec les noms latins.
Exceptions:
  • • Nom gĂ©nĂ©rique vernaculaire très connu: Erigeron = vergerette et non Ă©rigeron, mĂŞme si ce nom existe, et pareillement Solidago = verge-dÂ’or, non solidage.
  • • CrĂ©ation dÂ’un nom attrayant (imagĂ© ou dĂ©crivant bien le genre), en lÂ’absence de nom français rĂ©pandu: lĂ©zardelle, pour Saururus.

  • 3- Éviter les noms qui portent Ă  confusion parce quÂ’ils dĂ©signent plusieurs genres, parfois sur des continents diffĂ©rents.
Exception:
  • • Nom gĂ©nĂ©rique ne sÂ’appliquant quÂ’occasionnellement Ă  une espèce dÂ’un autre genre. La rĂ©partition mondiale des deux genres en cause entre aussi en considĂ©ration.

  • 4- Adopter un nom gĂ©nĂ©rique français, ou, du moins, Ă  consonance française. LÂ’utilisation dÂ’un nom latin tel quel nÂ’est pas souhaitable. Un changement de la terminaison du nom est prĂ©fĂ©rable: «adiante» au lieu d’«adiantum» et «échinochloé» au lieu d’«échinochloa».

  • 5- Par souci de normalisation et pour faciliter lÂ’indexation, Ă©viter systĂ©matiquement lÂ’emploi dÂ’inversions, oĂą lÂ’Ă©pithète prĂ©cède le nom gĂ©nĂ©rique: cardamine gĂ©ante plutĂ´t que grande cardamine.
B : Épithètes spécifiques ou de rangs inférieurs
  • 1- Donner prioritĂ© aux Ă©pithètes descriptives, faisant rĂ©fĂ©rence Ă  la morphologie, Ă  lÂ’habitat ou Ă  la rĂ©partition spĂ©cifique, et aux Ă©pithètes provenant dÂ’un nom populaire très rĂ©pandu.

  • 2- Adopter un mot proche de lÂ’Ă©pithète spĂ©cifique latine, Ă  la fois quant Ă  la consonance et quant au sens.
Exceptions:
  • • Termes techniques, ou ne faisant pas partie du vocabulaire courant ou ne figurant pas aux dictionnaires gĂ©nĂ©raux communs: amplexicaule, latĂ©riflore, cordifoliĂ©.
  • • Plante mal nommĂ©e en latin: Asclepias syriaca ne pousse pas en Syrie.
  • • Épithète latine non spĂ©cifique, cÂ’est-Ă -dire pouvant sÂ’appliquer Ă  plusieurs espèces du mĂŞme genre et ne servant pas vraiment Ă  distinguer lÂ’espèce, tel Viola renifolia, alors que plusieurs espèces de violette ont des feuilles en forme de rein.
  • • Épithètes spĂ©cifiques françaises consacrĂ©es par lÂ’usage, si elles ne prĂŞtent pas Ă  confusion: «ail des bois» de prĂ©fĂ©rence Ă  «ail trilobé» pour Allium tricoccum.

  • 3- Favoriser les Ă©pithètes formĂ©es dÂ’un mot plutĂ´t que de plusieurs mots: cardamine gĂ©ante de prĂ©fĂ©rence Ă  cardamine très-grande.
Exceptions:
  • • Noms dÂ’habitats, de lieux ou de personnes pour lesquels il existe dĂ©jĂ  un usage gĂ©nĂ©ral bien Ă©tabli: «des champs» et non «champĂŞtre», «dÂ’amĂ©rique» et non «amĂ©ricain», «de selkirk» et non «selkirkĂ©en».
  • • Expressions imagĂ©es ou consacrĂ©es: tussilage pas-d’âne (voir règle sur le trait dÂ’union).
  • • Remplacement dÂ’un terme technique ou ne figurant pas dans le vocabulaire courant: «à fleurs latĂ©rales», de prĂ©fĂ©rence Ă  «latĂ©riflore». Si possible, rĂ©duire lÂ’Ă©pithète ainsi formĂ©e (surtout lorsquÂ’elle commence par «à»), afin quÂ’elle ressemble plus Ă  un nom quÂ’Ă  une description: «tiarelle feuille-en-cÂśur» au lieu de «tiarelle Ă  feuille en cÂśur» ou de «tiarelle cordifoliĂ©e»; dans ce cas-ci, utiliser uniformĂ©ment le singulier.

  • 4- LorsquÂ’une Ă©pithète latine fait rĂ©fĂ©rence au nom dÂ’un autre genre, utiliser le nom français du genre, en le prĂ©cĂ©dant de «faux-» ou de «fausse-»: Populus tremuloides = peuplier faux-tremble. Accorder «faux» avec le nom de genre qui figure dans lÂ’Ă©pithète spĂ©cifique.
C : Trait dÂ’union
Si le nom générique ou l’épithète spécifique compte plusieurs mots, adopter la règle suivante (adaptée de Alex, Cayouette & Mulligan, 1980):
Les termes multiples constituant soit un nom générique soit une épithète spécifique nécessitent l’emploi d’un trait d’union:

  • 1- Si le nom ou lÂ’Ă©pithète ne sont pas exacts dÂ’un point de vue taxinomique, tel «trèfle-dÂ’odeur» dĂ©signant un mĂ©lilot (Melilotus) et non un vĂ©ritable trèfle (Trifolium).

  • 2- Si le nom ou lÂ’Ă©pithète se rĂ©fèrent Ă  un grand groupe vĂ©gĂ©tal, comme «fougère» ou «herbe», telles fougère-aigle commune, chĂ©lidoine herbe-aux-verrues.

  • 3- Si le nom constitue une expression consacrĂ©e ou imagĂ©e, tels cornouiller quatre-temps, Ă©pigĂ©e fleur-de-mai.

  • 4- Si le nom fait rĂ©fĂ©rence Ă  une autre espèce ou Ă  un autre genre, tel peuplier faux-tremble.
ENCADRÉ
Nom générique et épithète spécifique
À l’intention des personnes moins familières avec la nomenclature biologique, rappelons que le nom d’espèce, plante ou animal, se compose de deux éléments. Le premier, le nom générique, désigne le genre auquel se rattache l’espèce. Le second, l’épithète spécifique, est l’élément du nom qui est particulier à l’espèce. C’est la nomenclature binaire: nom d’espèce = nom générique + épithète spécifique.
Par exemple, dans lobélie de kalm, ou Lobelia kalmii, «lobélie» est un nom générique et «de kalm», une épithète spécifique. Nom générique et épithète spécifique sont des termes utilisés par le Code international de la nomenclature botanique (Greuter et alii, 1995), une convention qui règle l’écriture et l’utilisation des noms latins pour désigner les plantes.