Artemisia annua L. et son intérêt médicinal comme antipaludéen



Message initial



Frédéric Mouton, mercredi 2 juillet 2008
Artemisia annua L. (Astéracées) n’est pas citée dans la flore de Bonnier et de Layens, édition de 1974, s’agit-il d’un problème synonymique ?
Cette plante combat efficacement la fièvre et serait capable de guérir le paludisme (artémisinine). De multiples études scientifiques confirment ses propriétés et l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) commence à encourager des programmes de soin et de culture de cette plante.

RĂ©ponses Ă  la question



Henri MICHAUD, mercredi 2 juillet 2008

L’absence d'Artemisia annua dans la flore très synthétique de Bonnier et de Layens n’est pas surprenante ; beaucoup de taxons ne sont pas présent dans cet ouvrage, notamment parmi les espèces non natives (c'est le cas d'Artemisia annua). En outre, il y a plus d’un siècle (120 ans), l'espèce n’était probablement pas aussi abondante qu'aujourd'hui.

Yves BOSSU, mercredi 2 juillet 2008

L'édition de 1974 n'est en fait qu'une réimpression de l'édition originale de la fin du XIXe siècle. De nombreuses espèces introduites manquent dans cette vieille flore.

Francis LAGARDE, mercredi 2 juillet 2008

Est-ce que les propriétés médicinales, très intéressantes (fébrifuge, antipaludéen), ne se trouvent que dans cette espèce d’armoise ?

Frédéric MOUTON, mercredi 2 juillet 2008

Le lien suivant fait état de travaux très prometteurs de la part de chercheurs à la Faculté de pharmacie de Marseille: http://www.rfi.fr/Fichiers/MFI/Sante/1594.asp

Francis LAGARDE, jeudi 3 juillet 2008

Il semblerait qu’au point de vue moléculaire Artemisia annua, originaire de Chine, soit différente des autres armoises, qui sont des plantes vivaces ?

Intervention dÂ’Elisabeth DODINET, vendredi 4 Juillet 2008

Quelques précisions sur ce sujet, mais le mieux est d'aller voir le site de l'OMS et de WHO qui font bien le point sur la plante, son activité antipaludéenne, l'historique et les enjeux politiques et commerciaux. C'est un cas tout à fait exemplaire à bien des égards sur la dizaine d'années d'historique (identification de molécules actives sur une base d'indications traditionnelles de la médecine traditionnelle chinoise, droits de propriété intellectuelle, commercialisation de médicaments inaccessibles aux pays du Sud qui sont principalement touchés, problèmes d'approvisionnement au niveau mondial, les molécules étant encore obtenues par hémisynthèse, développement récent d'un médicament sans droits de propriété pour être accessibles aux populations du Sud.

Temps 0 : la plante faisait partie de la pharmacopée de la médecine traditionnelle chinoise en mélange avec d'autres dans une préparation dont les indications pouvaient laisser penser qu'elle pourrait être efficace contre le paludisme ;

Temps 1 : des labos de recherche chinois confirment l'activité antipaludéenne de la plante et isolent l'artémisinine, comme molécule active sur Plasmodium falciparum et le paludisme multi-résistant ;

Temps 2 : l'OMS est entrée en négociation avec le gouvernement chinois pour développer un médicament accessible pour les populations des zones à multi-résistante ;
Temps 3 : entretemps des laboratoires occidentaux développent un procédé, l'hémisynthèse de la molécule et font breveté le médicament.

À partir de là, débutent des parties de bras-de-fer entre ONG, OMS-WHO, Chine, laboratoires pharmaceutiques et certains pays du Sud, avec plein d'épisodes, dont quelques jalons sont résumés comme suit :
Hémisynthèse : 250 kg de feuilles sont nécessaires pour obtenir 4 à 5 kilos d'extrait brut d'artémisinine, qui lui-même donne environ 1 kg d'artémisinine pure. On est alors en permanence au bord (voire en) rupture d'approvisionnements, autrement dit la Chine, qui est le territoire d'origine de la plante (dans le Sud essentiellement), contrôle une large part des approvisionnements et développe les surfaces de culture y compris en Asie du Sud-Est.
L'artémisinine s'avère vite insuffisante seule, car sa durée de vie est inférieure à celle du cycle de reproduction du parasite, d'où développement de molécules dérivées nouvelles à partir de la plante et recommandation par l'OMS d'une association avec des antipaludéens classiques.
Il faudra attendre cependant 2006 pour que 13 laboratoires acceptent de retirer les produits à base d'artémisinine seule.
Engouement occidental et touristique qui fait que le médicament est utilisé, y compris dans des zones où les autres classes d'antipaludéens sont encore efficaces, avec un risque accru de développer un phénomène de résistance du vecteur à la molécule et ce, malgré les sonnettes d'alarme de l'OMS.
Compte tenu de la demande, on assiste alors au développement de nombreux faux médicaments (particulièrement en Asie du Sud-Est, la Chine semble être une plaque tournante dans ce domaine), soit sans les molécules actives ou à trop faibles dosages, voire avec des composés toxiques.
La plupart des médicaments existants (Novartis, Sanofi...) sur le marché se situent autour de 4 dollars pour les moins chers. Ils sont donc inaccessibles aux populations des pays du Sud, sauf en cas de subventions d'ONG ou de l'OMS. Dernier avatar d'aujourd'hui : l'annonce du développement d'un médicament l'ASAQ (artésunate, dérivé de l'artémisinine + amoquiadine), développé par des fonds publics-privés de diverses ONG, institutions et le laboratoire Sanofi-Aventis, qui a renoncé à ses droits de propriété intellectuelle, pour que celui-ci puisse être produit directement par les pays concernés à moins de un dollar (0,50 cents pour les enfants) (recommandation OMS), et pour être accessible aux populations touchées des pays du Sud.
Parallèlement, de très nombreuses ONG ont tenté de développer des cultures en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique du Sud, dans l'espoir de développer une ressource accessible aux populations concernées, mais malgré de nombreuses études (pas toutes rigoureuses au demeurant), l'efficacité de la plante seule en décoction ou infusion n'est pas établie.

Réactions à cette longue et intéressante intervention

Yves BOSSU, vendredi 4 juillet 2008

Il s’étonne qu’on parle de pénurie d'Artemisia annua, comme si c'était une plante rare, car cette une adventice très abondante partout. Les chantiers, les terrains vagues et les voies de chemin de fer d'Ile de France en sont pleins. Il y a des km² d'Artemisia annua qui y fleurissent en ce moment. Elle pousse spontanément dans la caillasse, et il ne doit pas être bien difficile d'en cultiver, en jachère par exemple. Est-ce que ce ne serait pas un problème de transport : cette plante pousse en milieu tempéré, et pas dans les zones à paludisme, plutôt tropicales ? Ou bien faut-il une variété particulière, riche en artémisine ?

Frédéric Mouton, vendredi 4 juillet 2008

L'efficacité de la plante seule (activité antipaludéenne d'Artemisia annua L.) n'a pas été scientifiquement établie. Les plantes médicinales ont décidément bien du mal à émerger dans l'arsenal thérapeutique moderne face à la puissance des grands laboratoires pharmaceutiques internationaux ; jeu de go ou jeu d'argent ?
En Homéopathie, on rencontre à peu près le même genre de problème...

Francis LAGARDE, vendredi 4 juillet 2008

Ce n’est pas parce qu’une plante, même invasive, est abondante chez nous comme adventice qu’elle devrait suppléer automatiquement au manque de production par l’agriculture.
Dans le premier cas, on a affaire aux aléas du hasard et à une production très dispersée, impossible à récolter sur une certaine échelle, même si elle peut être importante dans certains secteurs, et ne pouvant intéresser les laboratoires qui ont besoin d’un approvisionnement régulier pour satisfaire la demande.
Dans le second cas, on cultive dans des champs, qui sont probablement étendus, on surveille la pousse, on arrose (peut-être ?) et on récolte facilement puisque c’est au même endroit. Ensuite, les lots sont rassemblés dans des coopératives qui les centralisent (ce sont toujours des suppositions) avant de partir aux quatre coins du globe. De cette façon, la demande est satisfaite et les laboratoires, que je ne défends pas, peuvent compter sur le produit qui les intéresse. Peut survenir la pénurie suite à une demande de plus en plus croissante alors que la production elle ne suit pas, à de mauvaises conditions atmosphériques, etc.
Alors, à quand la culture en France ? Encore faut-il que les conditions environnementales puissent convenir à la plante pour une vraie culture. Les agriculteurs qui participent à Tela sont informés, à eux de voir si c’est possible.

Rozo, vendredi 4 juillet 2008

Il parait évident que si la plante est cultivée pour donner de l'artémisine, elle a due être sélectionnée pendant un certain temps, voire encore aujourd'hui. Ensuite pour produire efficacement, il faut penser à la récolte, au conditionnement, etc.
Evidemment, on peut dire que la nature nous a envoyé en Europe le remède Artemisia annua avant que les « mosquitos » ne débarquent changement climatique oblige ! Mais, il ne faut pas oublier que les moustiques vecteurs de Plasmodium ont aussi été combattus et plus ou moins éradiqués en pays tempéré, en partie par le drainage des zones humides.
Question pharmacopée et ethnobotanique ça continue : « En mars 2006, des chercheurs du Centre d'études et de Recherche des Médecins d'Afrique en collaboration avec le Centre Hospitalier Universitaire et le Laboratoire de Chimie de la Coordination (CNRS) de Toulouse ont montré l'efficacité du Quassia, une plante utilisée par des populations locales de Guyane contre le paludisme ».


Auteurs



Frédéric MOUTON mouton.fred@wanadoo.fr
Henri MICHAUD H.Michaud@cbnmed.org
Francis LAGARDE lagarde.francis@wanadoo.fr
Yves BOSSU yves@bossu.org
Elisabeth DODINET e.dodinet@wanadoo.fr
ROZO rozo.moki@wanadoo.fr


Synthèse réalisée par Rachid MEDDOUR en octobre 2008, à partir d'échanges ayant eu lieu sur tela-botanica, forum des botanistes francophones, entre les 2 et 4 juillet 2008.