Le BLEUET dans lÂ’Egypte Ancienne


Synthèse de type 2
Cette synthèse rassemble les échanges ayant eu lieu sur le réseau Tela-botanicae entre le 18 et le 27 décembre 2002.
Synthèse rassemblée par Florence BROUSSAUD-LE STRAT, à partir des contributions de Jean Claude BONNIN, Marie-Elisabeth BOUTROUE (CNRS- Institut de Recherche et d'Histoire des Textes), Michel CHAUVET, Michel CAMBORNAC, Pierre COULON, Alain DOBIGNARD, Elisabeth DODINET.

Question posée par N. CHERPION - IFAO
Bonjour !
Je suis égyptologue, et l'un de mes centres d'intérêt est le symbolisme animal et végétal. Depuis quelques temps, je travaille sur la signification du bleuet dans l'Egypte ancienne.
Les Egyptiens ne nous ayant laissé aucun texte sur le sujet, je cherche à connaître les propriétés de la plante (non seulement les propriétés médicinales, sur lesquelles j'ai déjà quelques informations glanées dans des pharmacopées anciennes - je suis remontée jusqu'au XIIe siècle de notre ère -), mais aussi simplement sur les propriétés "comportementales", si j'ose dire, de la plante ; bref, sur tout ce que les Egyptiens ont pu observé et que l'on a encore observé après eux.
Il me serait donc très agréable de connaître la bibliographie de base dans laquelle je pourrais trouver, dans une bibliothèque universitaire, des informations sur la plante comme on peut le trouver pour un animal. Le nom scientifique du bleuet d'Orient est Centaurea depressa, mais je pense qu'il a les mêmes propriétés que le bleuet d'Europe.


Synthèse des messages


Informations sur Centaurea depressa

Centaurea depressa M.Bieb. [1808, Fl. Taur. Cauc., 2 : 346] (Asteraceae)

Centaurea depressa M. Bieb. originaire d'Europe orientale et Asie centrale n'avait jamais été signalée en Afrique du N. jusqu'à la récolte de Lambinon en Tunisie (Djerba) en 1999 et considérée comme adventice occasionnelle. Déterm. Wagenitz. On saura tout ou presque sur le plan taxonomique et chorologique dans: Wagenitz - Mitt. Flor.-soz Arbeitsgem., N. S., 3: 535-544. 1983. Comme C. cyanus, a sans doute été amené autrefois dans ces contrées avec les moissons ou cultivé à titre décoratif ou à usage médicinal par les peuples de l'Antiquité. Pays d'où ils ont complètement disparus de nos jours (A. DOBIGNARD).
Le Centaurea depressa est effectivement donné dans le Vartavan « Codex of ancient egyptian plant remains » ; mais la plante n'apparaît pas dans la flore actuelle de l'Egypte (E. DODINET). Trois espèces sont illustrées dans les planches de la Description de l’Egypte : C. pallescens, C. aegyptica, C. alexandrica.

RĂ©partition
A été signalé en France in MOLINIER 1981 : citations anciennes ; subspontané dans le département 13.
Pierre COULOT a personnellement observé deux fois Centaurea depressa M. Bieb. La première fois le 24 mars 2001 à Albacete, dans la Province du même nom (Castilla-Mancha, Espagne), en situation de messicole dans une moisson maigre, avec de nombreuses messicoles classiques (et notamment Hypecoum pendulum très abondant). Il s'agit à l'évidence d'un pointage rare pour la Péninsule ibérique, où cette plante n'est sans doute pas naturelle. La deuxième fois le 18 mai 2001 dans le Péloponnèse, au Nord d'Evrostina, sous le Massif du Killini, sur un talus argileux, là encore dans un habitat assez peu caractéristique. Elle se distingue assez facilement de Centaurea cyanus pas le port général de la plante, typiquement étalée ascendante, la forme des feuilles, la taille et la couleur du capitule ...

Commentaires sur lÂ’identification
Elisabeth DODINET : J'ai toujours une grande hésitation sur les identifications au niveau de l'espèce dans les matériaux des tombes (surtout à la fin du siècle dernier où l'on ne disposait pas toujours de bibliothèques de référence pour ce type de matériau) ... Ou par rapport à une peinture. Joret fournit beaucoup d'information mais ne cite pas toujours ses sources, ce qui ne permet pas de vérification. C. Vartavan dans son ouvrage Codex of Ancient Egyptian Plant remains recense un grand nombre d'attestations résultant d'analyses anciennes; il y en a quand même quatre plus récentes (depuis 1993 dont deux par Vartavan lui-même), mais parmi celles-ci trois sont douteuses sur l'espèce.
Michel CAMBORNAC : Quant aux identifications des plantes dans les traductions du XIX e et même encore aujourd'hui, lorsque qu'il n'est fait appel à des botanistes un peu connaisseurs, je suis d'accord qu'il faut être très vigilant.

Représentations iconographiques :
Il apparaît dans des peintures :
En Egypte :
- Villa d'Apui , Ramses II, où il est considéré comme ornemental et identifié comme "bluet" (orthographe au XIXe) C. depressa M Biet . Des restes, dans des tombes, auraient permis l'identification (source : Charles Joret 1897)
- Tombe d’Ipy (Thèbes, tombe 217)
- Tombe de Sennedjem « dans les jardins d’Ialou », Deir-el-Medineh (Règne de Ramses, vers 1279-1213 avant JC.
Dans les enluminures de la fin du Moyen Age et les tapisseries des mille fleurs de la renaissance :
1490 / 1500 : livre des simples médecines sous le nom de Bouffrain, mais sans aucune utilisation, il y semble uniquement décoratif.
1501: riche heures d'Anne de Bretagne, toujours ornemental.

Informations sur Centaurea cyanus
Le bleuet : Centaurea cyanus L. est une messicole typique qui a suivi le blé. Il est dit "indigène".On le rencontre dans les groupements végétaux : végétation compagnes des moissons sur sols calcaires (Caulalidion lappulae) et sur limons (Scleranthion annui) (d’après Bournérias)
Noms communs : Bluet , Bleuet , Barbeau, Casse lunettes, Aubifoin, Bouffain (Moyen-Age), herbe de St Zacharie (d'après Fournier )

Autres bleuets (les Centaurea Ă  fleurs bleues)
Le bleuet du Caucase: Centaurea depressa M.Bieb. origine Asie mineure
Le bleuet vivace: Centaurea montana L. indigène
Le bleuet d'Arménie : Centaurea cyanoïdes DC forme proche du précédant mais à capitule très gros.

Utilisations dans la pharmacopée traditionnelle du bleuet :
L’ouvrage de Valnet dans phytothérapie donne en plus de l'usage ophtalmique : dépuratif, antirhumatismal, diurétique, fébrifuge.

H Leclerc dans son précis de Phytothérapie 1966, apporte une réponse à l'évocation de la théorie des signatures allant dans le sens de ma remarque. Il classe le Centaurea cyanus L. dans les toniques astringents et précise que le bleuet fournit une infusion que les bonnes femmes emploient comme collyre. Il ajoute avec la référence d'une publication qu'il a faite à partir d'un texte de 1925: "une tradition que j'ai relatée, veut qu'elle (l'infusion) convienne surtout aux sujets qui ont les yeux bleus; les yeux noirs seront justiciables du plantain dont les semences sont brunes " Ce qui expliquerait pourquoi on trouve souvent le bleuet, le plantain et l'euphraise associés pour les usages en ophtalmologie.(M. CAMBORNAC)

Au Moyen Age: Palladius (380), " Charlemagne" (800), St Gall (820), Walafried ( 840), Hildegarde ( 1150) n' en parlent pas
Sauf erreur les médecins arabes (dont Ibn Al Baytar ) n'en parlent pas non plus. Certains se réfèrent à la théorie des signatures: bon pour les yeux ( bleus, sans doute ?!)
Lieutaghi et autres, écrivent: "très prisé au Moyen-Age ". Mais sans plus.
Dictionnaire de 1794: hydropisie et "casse -lunette"
Chomel en 1803 parle de son usage pour les maladies des yeux . "l'eau de casse lunette".
Cazin en 1830 rejette tout un tas d'usages sauf celui pour les yeux, mais il n'est pas emballé. Il évoque un usage tinctorial qu'on ne retrouve pas dans le guide des teintures naturelles
Fournier dans sa synthèse dit, mais sans citer de référence : fleurs diurétiques (hydropisie ), pectorales, et pour les collyres.
Aujourd'hui , on considère le bleuet comme collyre (sans preuve, mais en raison d'un usage traditionnel ) et comme colorant léger en mélanges de tisane et ...shampooings.

Références bibliographiques
AMIGUES, Suzanne, Les plantes d’Égypte vues par les naturalistes grecs, in: Entre Egypte et Crète 51-67. (ill.)- L’auteur examine si l’image de la flore égyptienne que nous présente Théophraste dans l’"Historia plantarum", complétée à l’occasion par le "De causis plantarum", répond par son ampleur, son exactitude et sa précision aux exigences de la science moderne.
ANDRE J., Les noms de plantes en latin, Paris, Belles Lettres, 1985 - A utiliser, comme une sorte d'index ouvrant sur les textes anciens
ANDRE J., Notes de lexicographie botanique grecque, Paris BEPHE, 1958 - A utiliser pour les noms grecs des plantes
BAUM N., Arbres et arbustes de l’Egypte ancienne. La liste de la tombe thébaine d’Inenii (n°81), 1988, Peeters
DAEMS W. , Nomina Simplicium, Brill, 1993 - pour la période couvrant la fin du moyen-âge et le début de la Renaissance
GILBERT, Allan S., The Flora and Fauna of the Ancient Near East, in: Civilizations of Ancient Near East I, 153-174. (maps, fig., table) - Ancient Egypt is included in the survey of flora and fauna of the Ancient Near East. In the table listing the mammals their habitat is indicated. Bibliography arranged by broad subject added.
MANNICHE L., An Ancient Egyptian herbal, London, British Museum publ., 1989 - "This book, divided in 2 parts, lists many species of plants, trees, herbs and spices used and found in ancient Egypt. The author explains in the first part the traditions in using bouquets, branches, and flower arrangements. She introduces the gardens and plants known to have been grown in ancient Egypt; the use of herbs and plants in recipes and perfumes is discussed. In the second part is a list of species, with a description, its name in English, Arabic, Coptic and where available, in Ancient Egyptian hieroglyphs. A short glossary of terms and an excellent bibliography is added for those who wish to pursue the subject. A well-organized and well-illustrated book, it is a recommended book for the interested laypersons and scholars." (commentaires de www.ptahotep.com)
NIGEL HEPPER F., PharaohÂ’s flowers. The botanical treasures of Tutankhamon, 1996, Kew Gardens
OPSOMER C., Index de la pharmacopée du Ier au Xe siècle, Hildesheim, Olms-Weidmann, 1989 - pour les textes médicaux anciens
TAKHOLM V., DRAR M., Flora of Egypt, Cairo University Press
VARTAVAN de , Ch., Analyse plurisystématique pour l’interprétation des restes végétaux de la tombe de Toutankhamon, Annales de la Fondation Fyssen, Paris No. 8 (1993), 9-22. (fig., ill.) - Analysis of all botanical samples from the tomb of Tutankhamun, with particular attention to the question of contamination.
WESTERN, A.C. and W. McLEOD, Woods Used in Egyptian Bows and Arrows, JEA 81 (1995), 77-94 - Presentation of the results of botanical analyses of wood from Ancient Egyptian bows and arrows in the collections of four museums (the Ashmolean and Pitt Rivers Museums at Oxford, the Manchester Museum, and the Phoebe Hearst Museum (formerly Lowie Museum) at Berkeley), together with comments on the possible sources of the timbers, their qualities and some of their other uses. Most of the pieces (including all the bow fragments) came from indigenous trees. Five arrows made from imported wood are dated to the XXVth Dynasty, but three others, also imports, are assigned to the Protodynastic Period.
ZAHRAN M.A., The vegetation of Egypt, 1992, Chapman and Hall, NY

Du côté de la papyrologie, il est mentionné des quantités de plantes dans le répertoire de Marie-Hélène MARGANNE, relatif aux papyri grecs de médecine. Pour les textes patristiques, tardo-antiques et médiévaux, il faut utiliser les concordances informatisées de la Patrologie de Migne, du Corpus Christianorum. Tant qu'on y est, on peut compléter en vérifiant les occurrences dans les bases de données textuelles concernant l'Antiquité: BTL, TLL, TLG. (ME BOUTROUE)