Cas d’étymologie expliqués
Synthèse réalisée par : Elisabeth DODINET
Date : février 2003
Ont contribué à cette synthèse :
- Xanthoceras : Françoise GHARSA, Denise MOREAU et Michel CHAUVET.
- Narcisse : Agnès & Seb, Michel CHAUVET, Elisabeth DODINET, Pascal DURAND, Olivier de la ROQUE, Pascal VIGNERON et Raphaël ZUMBIEHL.
- taxifolia : Benoît BOCK, Gérard DUMONT et Daniel MATHIEU.
- Etymologie de belles : Benoît BOCK, Alain DOBIGNARD et Jacques MELOT.
Synthèse réalisée à partir d'échanges ayant eu lieu sur tela-botanicae, forum des botanistes francophones, du 8 au 10 février 2000 (taxifolia), du 18 au 21 mai 2001 (Narcisse), du 11 au 19 juin 2001 (Xanthoceras), du 23 au 26 septembre 2001 (étymologie de belles).
Les échanges de tela-botanicae portent parfois sur des questions étymologiques. Nous avons tirés de quelques échanges certains cas concrets. Ils montrent la difficulté de la science étymologique, notamment dans son application aux termes botaniques. Ces exemples appellent à éviter les déductions trop rapides, à remonter aux sources autant que faire se peut ; bref, à procéder avec prudence…
1. Signification de Xanthoceras :
« A cornes jaunes » (xanthos- en grec signifie « jaune » et -ceros-"cornes" ), ce qui, d'après Jacques BROSSE (1977), évoque les 5 apophyses du disque floral.
À vérifier sur une fleur fraîche ...
GENAUST (1983) confirme : « les pétales alternent avec 5 glandes jaunes en forme de corne. »
2. Sur quelques idées reçues quant à l'étymologie de « narcisse » :
Dans la flore forestière, on peut lire : « narcissus » du grec « narkè », assoupissement. La littérature indique, à l'appui de cette étymologie, que la plante est censée provoquer un assoupissement douloureux; or, comme l'indique Michel CHAUVET, on ne trouve nulle part trace de cette propriété pour le narcisse qui a des vertus vomitives, purgatives et dont les fleurs seraient antispasmodiques, laxatives et fébrifuges. Par ailleurs, rien dans la mythologie ne semble pouvoir légitimer cette étymologie.
Voici quelques compléments :
D'après Pierre CHANTRAINE (1968-1980) :
« narké » : engourdissement, torpeur causée par la paralysie, le froid, l'effroi, etc.
« narkissos » : narcisse, notamment Narcissus poeticus et Narcissus serotinus. Étymologie : Un rapport avec « narké » est supposé par PLUTARQUE, Moralia, 2, 647 b, à cause de l'effet calmant du narcisse, mais il ne peut s'agir que d'une étymologie populaire. Comme l'indique la finale « -issos », ce doit être un terme d'emprunt. »
Des deux dictionnaires standard de grec ancien, BAILLY donne à « narké » le sens de « engourdissement, torpeur », et LIDDELL-SCOTT, celui de « numbness, deadness, caused by palsy, frost, fright... » (« stupéfaction, torpeur, engourdissement causés par la paralysie, le froid, la peur » ). Aucune de ces références ne parle d'assoupissement.
En résumé :
« narkissos » est un nom de plante peut-être crétois et, en tout cas, pré-hellénique (contrairement à ce qu'indique la citation de GRAVES (voir infra), le suffixe « -issos » est, certes, pré-hellénique, mais pas forcément crétois), emprunté en grec. Les Grecs l'ont rapproché de « narké », et ont repris (en le remaniant ?) à son propos un mythe peut-être crétois. En fait d'assoupissement, ces plantes provoqueraient plutôt des vomissements à faible dose, et une paralysie, puis la mort à fortes doses... Rien à voir avec un effet somnifère, voire narcotique au sens moderne.
Comme le souligne Michel Chauvet, on ne peut qu'être agacé par la propension des livres sur les plantes médicinales à se recopier les uns les autres, sans remonter aux sources.
Quant à la mythologie (cf infra), on comprend que les tépales jaunes étalés aient fait penser au soleil, alors que la couronne (si elle est orange ou rouge) l'assimile à d'autres fleurs rouges qui ont un symbolisme funéraire.
Références apparues dans le débat :
D'après Robert GRAVES (1967) : « Comme Narcisse « épuisé de fatigue, (...) s'était laissé tomber sur l'herbe, pour étancher sa soif, il tomba amoureux de sa propre image reflétée dans l'eau... et resta couché à regarder dans l'eau pendant des heures ». Il se plongea alors un poignard dans la poitrine. « Son sang s'écoula dans la terre et il naquit un narcisse blanc à corolle rouge dont on extrait un baum, à Chéronée, de nos jours encore. Il est recommandé dans les affections des oreilles (bien qu'il puisse occasionner des maux de tête), comme vulnéraire contre les engelures. Note : mais « -issos », comme « -inthos », est une terminaison crétoise et Narcisse et Hyakinthos semblent avoir été des noms de héros de fleurs de printemps crétois dont la déesse pleure la mort, sur l'anneau d'or trouvé à l'Acropole de Mycènes. »
D'après Angelo de GUBERNATIS (1878-82) :
« Le mythe du jeune Narcisse est sans doute funéraire ; il s'admirait dans l'eau d'une source et il fut changé en fleur. Sa fleur servit ensuite à couronner la tête des morts, des Furies, des Parques, de Pluton, de Dyonisos.... D'après PAUSANIAS, IX, Narcisse se serait regardé dans l'eau, trompé par l'image de sa soeur bien-aimée, qu'il croyait y voir, au lieu de la sienne... La soeur de Narcisse pourrait très bien être la lune que le soleil mourant, le soleil couchant, voit devant lui ou dans le miroir de la mer nocturne où il ira se perdre. La couleur jaune de la fleur convient parfaitement au soleil. »
D'après Paul Victor FOURNIER (1948) :
"Narcissus pseudo-narcissus... Le seul parfum des espèces à fleurs odorantes est déjà narcotique, ainsi que PLUTARQUE et PLINE le savaient déjà . La plante elle-même, et surtout son bulbe, contiennent un alcaloïde, la narcissine, substance paralysante, une matière amère fortement drastique, et un poison du cœur, la scillaïne..."
Dans l'Antiquité, « narkissos » et « narcissus » ont pu désigner des Narcissus, mais aussi des Lilium, Iris et Pancratium. Apparemment, seul DIOSCORIDE a vraiment décrit exactement le narcisse des poètes sous le nom de « narkissos » et a donné le bulbe comme vomitif ; les descriptions de PLINE et de THEOPHRASTE peuvent s'appliquer à d'autres plantes donc doivent être prises avec prudence.
3. Sur l'étymologie de (Caulerpa) taxifolia:
Au cours de la discussion sur cette algue invasive, un téla-botaniste a proposé pour « taxifolia » le sens de « à feuilles bien rangées », ce qui a, immédiatement généré une contre-proposition pour « à feuille d'if » (Taxus en latin « if »).
Il est ressorti du débat qu'il y avait, en l'occurrence, confusion entre deux racines, toutes deux utilisées en botanique, l'une latine, « taxus », nom classique de l'if, et l'autre grecque « taxis », signifiant, effectivement, « arrangement, ordre » (Alain REY) comme dans « taxinomie » ou... « phyllotaxie ». La confusion trouve une sorte de justification dans l'étymologie, dans la mesure où les deux mots dérivent d'une vieille racine indo-européenne commune « tecs ».
« Taxus », d'après FERRARI, viendrait de l'Indo-européen : « tecs », qui signifie « travail habile » (« facilité avec laquelle on travaille le bois ». « Taxus » signifiait, déjà , « if » (et « javelot », puisqu'on en utilisait son bois à cet usage) en latin classique ; ce n'est, donc, pas un néologisme du latin botanique (d'où l'emploi « classique » de l'accord au féminin pour "folia", malgré une déclinaison masculine). Le rapprochement avec le mot grec « taxi, taxo », peut être, effectivement, suggéré par la manière régulière dont sont disposées les aiguilles sur le rameau de l’if. Il est cependant inexact si l’on prend en compte l’intention de l’auteur du binôme Caulerpa taxifolia .
En effet, comme le fait remarquer Gérard DUMONT, à partir du moment ou l'auteur de ce binôme a utilisé "foli-" (racine latine) et non phyll- (racine grecque) la racine "tax-", qui prise isolément peut être soit latine soit grecque, doit être ici comprise dans son sens latin et non grec. Il n'y a aucune ambiguïté en ce cas, puisque "taxus" signifiait déjà "if" en latin classique.
Les mots "savants" mélangeant des racines grecques et latines sont rares et ne sont vraiment pas des exemples à suivre. Il y a par contre en botanique une multitude de doublets grecquo-latins strictement synonymes, par exemple "multifolia" et "polyphylla". Il ne viendrait à personne l'idée de baptiser une "Machinchosa polyfolia" ou une "M. multiphylla". Cependant, il existe aussi de faux analogues grecquo-latins, ainsi "taxifolius" et "phyllotaxis". Il ne viendrait à l'idée d'aucun botaniste de comprendre la "phyllotaxie" comme étant l'étude des seules feuilles de l'if !!!... Or interpréter "taxifolius" comme "à feuilles bien rangées" procède exactement de la même confusion.
Alors, "Caulerpa taxifolia" est donc bien, et cela sans aucun doute, la "Caulerpe à feuille d'if".
4. Annexe : Florilège de dédicaces de taxons / étymologie de belles
Parmi les noms latins de genre ou d'espèce, certains ne doivent pas grand chose aux langues anciennes... Beaucoup de plantes ont emprunté leurs noms aux patronymes de botanistes ou d'explorateurs auxquels des descripteurs les ont dédicacées. Autre illustration, plus originale, à partir de quelques échanges ayant eu pour objet l' "étymologie de belles" :
Le docteur MAIRE a honoré plusieurs compagnes ou amies, par exemple Ptochloa ginae, une graminée, Lotus simonae (qui n'est d'ailleurs probablement pas un lotus) et une Draba maria-aliciae (en qualité de subsp.).
Benoît BOCK a tiré de son index les espèces suivantes (liste non limitative) :
- Cardamine mariae Sennen [1926 - Bol. Soc. Ibér. Ci. Nat., 25 : 65]
- Carduus mariae Crantz [1766 - Inst. Rei Herb;1 : 248] [nom. invalid.]
- Carex mariae-victorinii Sennen [1932 - Buttl. Inst. Catal. Hist. Nat., 32 :105]
- Geranium mariae Sennen [1936 - Diagn. Pl. Esp. Maroc 1928-1935 : 12]
- Sideritis mariae Sennen [1932 - Bol. Soc. Ibér. Ci. Nat., 31 : 374]
- Silybum mariae (Crantz) Gray [1821 - Nat. Arr. Brit. Pl., 2 : 436] [nom. illeg.]
- Thymus mariae Sennen [1917 - Treb. Inst. Catal. Hist. Nat., 1917 : 191]
En l'occurrence, pour le frère SENNEN, de l'avis d’Alain DOBIGNARD, il s'agit probablement de la Bonne Mère et pour mariae-victorinii, peut-être du Padre Marie-Victorin, père de la botanique et de la Flore québécoise.
Jacques MÉLOT indique ne s'être, personnellement, jamais privé de dédier des taxons à des personnes n'ayant rien à voir avec l'histoire naturelle (John CAGE, David BOWIE, etc.), dont des femmes (en utilisant, dans ce cas, le prénom).
Bibliographie :
BROSSE Jacques, 1977. Atlas des arbres de France et d'Europe occidentale Bordas, Paris, ouvrage très précieux et malheureusement épuisé.
CHANTRAINE Pierre, 1968-1980. Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots. Paris, Klincksieck. 2 vol, XVIII-1368 p.
FERRARI Dictionnaire étymologique de la flore française
FOURNIER Paul Victor, 1948. Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France. Paris, Lechevalier. t. 3 : Menthe Zacinthe. 636 p. (Encyclopédie biologique, 32) :
GENAUST Helmut, 1983. Etymologisches Wörterbuch der botanischen Pflanzennamen . Zweite verbesserte Auflage, Basel, Birkhäuser,. 390 p.)
GRAVES Robert, 1967. Les mythes grecs. Paris, Fayard. 2 vol. 428 + 446 p. (Coll. Pluriel)
GUBERNATIS Angelo de, 1878-82. La mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal. Reprint Paris, Arché, 1976. 376 p.
REY Alain, Dictionnaire historique de la langue française.