De la difficulté de repérer et dénommer les couleurs des fleurs


Synthèse de divers échanges ayant eu lieu en mai 2003 sur Tela-Botanicae, liste de discussion des botanistes francophones.

Les auteurs des messages de cette synthèse sont : Ronan ARHURO, François BRETON, Daniel CHICOUENE, Yann DUMAS, Michel CHAUVET, Étienne CUENOT.

Synthèse réalisée par Daniel MATHIEU, le 25 mai 2003

Résumé : la couleur des fleurs est toujours mentionnée dans les livres. Or il n'existe pas de moyen simple pour décrire la couleur d'une fleur, et la perception des couleurs varie d'un individu à l'autre. Il existe des nuanciers standards (Munsell), mais ils sont chers et peu pratiques d'emploi.

Echange


Ronan ARHURO, 11 mai 2003

Je me demandais si certains utilisaient, ou connaîtraient des ouvrages utilisant, dans le cadre de description d'espèces, un nuancier.
En effet, en particulier dans les indications de couleur des fleurs, j'avoue rester parfois un peu perplexe. Je conviens qu'un nuancier serait un peu lourd d'usage mais pourrait peut-être préciser les descriptions. Je suis donc preneur sur tout avis ou expérience.

François BRETON, 12 mai 2003

Au sujet des couleurs, j'ai pu apercevoir récemment une publication ancienne, qui contient un magnifique nuancier de couleur pour décrire les pétales de roses. C'est un vieux bouquin qui vu au Centre international de pomologie-CIRP Christian Catoire (PEYROLLES - Gard - France).

Daniel CHICOUENE, 14 mai 2003

Il existe différents codes "internationaux" de couleurs. Le plus connu est le code "Munsell" (je ne suis pas sur de l'orthographe) dont la construction repose sur différents principes (teinte, chroma...) ; ex. dans la version de pédologie qui est celle que j'ai utilisée, il y a des planches avec différentes quantités de rouge et de jaune dont les proportions sont indiquées par le titre de la planche. Ensuite, à l'intérieur de chaque planche, les lignes et les colonnes correspondent à différentes proportions de blanc ou de noir... et les lignes et colonnes sont numérotées. Et chaque couleur a un nom anglais très codifié. Il me semble qu'il existe une version pour botaniste.

Yann DUMAS, 15 mai 2003

l'orthographe est bien "Munsell". Comme cela a déjà été dit, le prix est élevé (140 euros). Je crois que la version "botanique" ne concerne que les couleurs de feuillage. Si tel est le cas, elle ne conviendrait pas aux fleurs.

Michel CHAUVET, 13 mai 2003

Je pense quant à moi que les couleurs sont utiles à mentionner, mais les biais et les pièges sont nombreux. Il existe plusieurs nuanciers, dont je crois l'un de la RHS (Royal Horticultural Society) bien adapté aux plantes. Je vois mal comment on pourrait distinguer les innombrables cultivars de fleurs sans utiliser ce critère...

Le problème de la référence à un nuancier est qu'il faut l'avoir à côté de soi pour savoir de quelle nuance il est question. Et les nuanciers coûtent très cher, car ils doivent être réalisés avec des encres spéciales qui évoluent peu. Mais je ne pense pas qu'on soit arrivé à garantir la stabilité des couleurs sur un siècle, et je ne vois pas comment on pourrait même faire le test !

Un autre moyen serait d'utiliser le spectre des longueurs d'onde. Il me semble que le CBN de Gap-Charance a essayé çà pour caractériser les couleurs des roses. Je ne sais pas si çà marche, mais là aussi, il faut des appareils professionnels, et c'est finalement très abstrait. On est donc contraint à passer par des mots. Mais là, on est pleinement dans une problématique de perception culturelle des couleurs, qui varie beaucoup d'une société à l'autre, et dans le temps. Cette question a été très étudiée par les ethnologues. Il suffit de réfléchir aux locutions "vin blanc" et "vin rouge" pour comprendre que quand elles se sont figées, le français populaire donnait des sens bien plus généraux à "rouge" et à "blanc" qu'aujourd'hui. Car l'un est plutôt violet et l'autre jaune ! Dans certaines langues d'ailleurs on dit "vin noir" pour vin rouge.

Pour ceux que çà intéresserait, le CNRS a publié des bouquins qui décortiquent les termes français de couleur par grande catégorie. Le rouge et le bleu sont parus...

Une façon de contribuer à cerner le problème (je suis prudent !) est de faire de la terminologie comparée (latin botanique, anglais, français...). J'ai découvert récemment que l'anglais "purple" ne correspondait pas au français "pourpre". Les anglicisants professionnels le savent, mais c'est assez gênant. En français, "pourpre" désigne une couleur tirant sur le rouge, alors que "purple" désigne une couleur tirant sur le bleu, c'est-à-dire le violet.

Mais ce constat vaut pour un Anglais. Je ne suis pas sûr qu'un États-unien a la même perception, et je suis encore moins sûr qu'un Indien ou un Latino-américain écrivant en anglais aura la même couleur en tête quand il emploiera le qualificatif "purple". Je suis donc bien embarrassé dans mes choix de traduction pour l'encyclopédie PROTA, qui est une oeuvre collective de plus de mille auteurs de tous pays...

Les noms de couleur ont aussi une histoire. Marie-Elisabeth Boutroue m'a par exemple signalé que "amarante" ne désignait pas du tout une couleur rouge il y a quelques siècles. Un autre exemple dont nous avions discuté avec François Poplin est celui de "Poil de carotte". Pour un Français, ce personnage est évidemment un roux. Mais on ne peut pas traduire en allemand par "Möhrenhaar" ; c'est plutôt "queue-de-renard" (Fuchsschwanz, de mémoire). La raison en est que les Allemands connaissent des carottes blanches, et que pour eux, carotte ne connote pas orange ! J'ai d'ailleurs de gros problèmes pour savoir quand les carottes sont devenues oranges ! Car les blanches sont parfois qualifiées de jaunes, et les oranges peuvent être qualifiées de jaunes ou de rouges, sachant que d'autres appellent rouges les carottes violettes...

Pour ajouter à la complexité du sujet, je rappellerai que chaque espèce vivante voit seulement une fraction du spectre. Un insecte ne voit pas les fleurs comme nous, et un oiseau non plus. C'est un sujet d'étude passionnant pour les évolutionnistes...

Étienne CUENOT, 12 mai 2003

je ne peux pas m'empêcher de réagir à votre question intéressante. Comment figer sur le papier une description à base de couleurs alors que c'est une expression de caractère particulièrement variable avec le type de sol, de climat, changeant avec l'altitude par exemple ? En outre la perception des couleurs par les humains relève d'un processus biologique et non physique, qui souffre aussi de variabilité: tout le monde n'a pas les mêmes yeux et ne perçoit la même couleur de la même façon. "Le langage des couleurs conduit à un malentendu"...

J'insiste particulièrement, comme faisant partie des 8 % d'hommes génétiquement atteints d'un handicap appelé daltonisme, contre l'emploi des critères de couleurs pour "préciser les descriptions". À mon avis cet emploi finirait par introduire un flou général. La description des espèces se passe des couleurs. C'est mon point de vue.

Ronan ARHURO, 13 mai 2003

J'en conviens, mais lorsqu'on regarde dans une flore, la couleur des fleurs est indiquée. Ce que vous remettez en cause, c'est cette indication de couleur, qui est un usage ancien. Et j'ajouterais (et c'est là même une des raisons qui me motivent) que l'usage d'un mot intermédiaire ajoute encore une interprétation supplémentaire, car chacun associé une tonalité particulière aux mots, au-delà des définitions des dictionnaires.

Je ne veux pas accorder plus d'importance aux couleurs qu'elles n'en ont actuellement. Mais j'estime justement que faire référence à un nuancier (même simplement d'une cinquantaine de couleurs) peut diminuer la part de subjectivité de la description de la couleur. Je veux juste pouvoir savoir quand un ouvrage me dit que la fleur est violette à mauve, que cette gamme de nuances correspond à ce que moi j'imagine.

Concernant la durabilité des couleurs, dans l'impression, il existe des nuances qui correspondent à des mélanges précis de pigments. Même si la couleur une fois imprimée va évoluer, il est possible de retrouver à quoi elle correspondait à l'impression en revenant au dosage des pigments. Il faudrait donc prendre en compte une date de péremption pour les nuanciers.