Etymologie du genre Erinus (Erinus alpinus L., Erine des Alpes)
Cette synthèse reproduit les échanges ayant pris place sur la liste Tela Botanica entre le 20 et le 23 novembre 2007 ; ceux-ci ont été rassemblés par Francis Vayeur en mai 2008
C. Mahyeux le 20 Novembre 2007
Je cherche à connaître l'étymologie du nom de cette fleur : Erinus alpinus L., Erine des Alpes.
Pourriez-vous m'aider ?
Gérard OLIVE le 20 Novembre 2007
Du grec Erion, laine, en raison de sa pilosité.
Michel Chauvet le 21 Novembre 2007
Le français savant érine vient du latin botanique Erinus, utilisé par Bauhin et repris par Linné. Mais avant Linné, ce nom désignait aussi une campanule, Campanula cochleariifolia (d'après Genaust). Le latin botanique vient du latin classique erineos qui chez Pline (23, 131) désignerait une campanule. Ce nom latin vient à son tour du grec, mais son origine est incertaine. En grec, on a en effet deux homonymes, le substantif erineos ou erinos voulant dire figuier sauvage ou sycomore, et l'adjectif erineos voulant dire laineux (de erion, laine). Aucun de ces sens ne me semble convaincant. En tout cas, la relation entre Erinus et erion ne semble pas s'imposer pour les botanistes, car ceux-ci utilisent uniquement erio- quand ils veulent se référer à la laine.
Jean-Claude Bonnin le 21 Novembre 2007
Ne pas confondre erineos et erinos (Pseudo Dioscoride 4.19) qui a bien le sens de laineux
Francis Lagarde le 21 Novembre 2007
Il semblerait, d’après Coste, qu’il n’y aurait qu’une seule possibilité : toutes issues du grec « erinos » = campanule ou « erion » : campanule hérissée.
Erinus alpinus ne présente pas, généralement, un aspect que l’on pourrait rapprocher de laineux. Il y a bien la variété hirsutus des Pyrénées et de la péninsule ibérique qui, tout en étant plus velue, pourrait, seulement, s’en rapprocher.
Chez les campanules, vous citez Campanula cochlearifolia, glabre ou hirsute, mais jamais laineuse. Par contre, j’opterais plus pour le port car il y a une ressemblance entre C. erinus et E. alpinus : petite plante généralement rupestre, souvent plaquée contre la roche. Il y aurait donc l’aspect morphologique entre les deux plantes et leur habitat qui ont pu être pris en compte pour le terme érine.
En effet, lorsque l’on fait appel au terme laineux en botanique, il est mis en préfixe : Globularia eriocephala, Rosmarinus eriocalyx.
Michel Chauvet le 22 Novembre 2007
Je précise d'abord que mon message précédent citait Genaust. Voici maintenant ce que je trouve chez les linguistes (car ce sont les linguistes qui sont compétents en matière d'étymologie) :
Jacques André, Noms des plantes dans la Rome antique ("la" référence pour les noms de plantes en latin classique) :
erinos. m. transcrit d'erinos (Ps.-Diosc., 4, 141 ; echinos vel erinos Diosc.), sans étymologie : plante à latex, à fleurs blanches, tiges courtes, feuilles de basilic, croissant au bord des rivières et des sources; indéterminée (n'est pas la Campanula erinus L. des rocailles, à fleurs bleues, proposée par Sprengel): Pline, 1,23, 65; 23, 131; Diosc. 4, 136 (ercinos).
Bailly, Dictionnaire du grec (en français) :
- 1. erineós. n.m. figuier sauvage. figue sauvage
- 2. erineós. adj. qui concerne le figuier sauvage.
- 1. erinós. n.m. figue sauvage, figuier sauvage.
- 1. erinós. adj. qui concerne la figue sauvage, le figuier sauvage.
Liddell-Scott, Greek dictionary :
érinos. a plant like basil. Nic. Th. 647; cf. Diocl. Fr. 149.
Chantraine (dictionnaire étymologique du grec) considère érinos comme un nom de plante d'origine incertaine, mais s'appuie sur André.
Je libellerai donc ma notice étymologique comme suit : Erinus. Nom botanique retenu par Linné et repris de Bauhin, qui l'a emprunté au latin classique erinos, lui-même emprunté au grec érinos. En grec comme en latin, ce nom désigne une plante encore indéterminée, et son origine est inconnue. Les rapprochements avec l'adjectif erÃneos "de laine" ou le substantif erinós "figuier sauvage" ne sont satisfaisants ni pour le sens ni pour l'accentuation.
C. Mahyeux le 22 Novembre 2007
Merci beaucoup pour cette synthèse de recherche étymologique.
Lorsque vous dites qu'en grec et en latin, ce nom désigne une plante encore indéterminée et à l'origine inconnue, peut-on penser qu'un jour l'avancée des recherches pourra nous apporter une réponse plus précise ?
Ou bien devons-nous accepter que tout ne puisse s'expliquer ?
Francis Lagarde le 23 Novembre 2007
Bien que ce ne soit pas le cas pour Erinus alpinus, la plupart des campanules émettent un latex. Certaines espèces balkaniques portent des fleurs blanches, je ne connais pas d’accidents naturels pour des plantes qui ont une couleur bien définie mais pouvant avoir des sujets d’une autre couleur, le blanc par exemple, et ont des feuilles se rapprochant de celles du basilic.
Tout ça est assez homogène mais je ne vois pas très bien le rapport avec l’Erine des Alpes.
A suivre Â…
Michel Chauvet le 23 Novembre 2007
Il y a deux choses bien distinctes, le nom et la plante. La plante peut être connue et déterminée correctement, et son nom rester d'origine inconnue. A l'inverse, on peut connaître bien l'histoire d'un nom et hésiter sur son sens.
Le problème dans les textes anciens, c'est que les noms de plantes apparaissent souvent dans des contextes où on fait que les citer. Quand les plantes sont décrites, c'est de façon sommaire et par comparaison avec d'autres. Mais si on n'est pas sûr non plus de l'identité des autres, on tourne en rond. Et bien sûr, il n'y a pas d'iconographie. Des générations de botanistes et de philologues se sont attelées à ces questions. Un des problèmes que nous avons aujourd'hui, c'est que les botanistes de la Renaissance étaient plus ou moins arrivés à un consensus, et que ce consensus a été gravé dans le marbre par Linné, et reproduit fidèlement par beaucoup de botanistes. Mais aujourd'hui, les avancées de la connaissance (pas seulement la linguistique, mais aussi la connaissance des textes ou codicologie, et la connaissance des flores des régions concernées comme la Grèce ou l'Egypte) amènent à réviser les textes et proposer de nouvelles identifications.
Le meilleur exemple de ces nouvelles approches est la traduction remarquable que vient de terminer Suzanne Amigues sur l'Histoire des plantes de Théophraste. Pour donner une idée, ses commentaires occupent une place bien plus grande que le texte grec et la traduction réunis. Elle présente toutes les identifications proposées dans le passé, tous les arguments pro et contra en les discutant. Pour cela, elle a sollicité des botanistes, elle a elle-même prospecté des plantes en Grèce. Si ce sujet vous intéresse, et si vous aimez les énigmes policières, je vous conseille vivement de consulter cette œuvre (parue aux Belles Lettres).
En tout cas, Suzanne Amigues a pu identifier des plantes qui ne l'étaient pas avant, et a modifié des identifications antérieures. Mais il faut insister sur le fait que ce travail n'est jamais sûr à 100% !
Quant à l'étymologie, c'est un autre problème. On peut d'abord suivre l'histoire des noms attestés dans des textes. mais peu de langues sont attestées avant le latin et le grec. Or beaucoup de noms de plantes méditerranéennes ont été empruntés à des "langues méditerranéennes" pré-existantes. Comme ces langues ne pratiquaient pas l'écriture, on ne saura peut-être jamais. Mais par exemple, quand on a pu déchiffrer le linéaire B et qu'on a conclu qu'il s'agissait d'une forme archaïque du grec (le mycénien), on a pu remonter 5 siècles en arrière. Si un jour on déchiffre le linéaire A, qui sait ce qu'on trouvera ?
L'autre approche de l'étymologie est d'étudier la forme des mots, qui permet de savoir s'ils ont été empruntés ou hérités, s'ils suivent les lois d'évolution des sons dans la langue considérée, etc. L'étymologie s'est instituée en tant que science du jour où on a découvert que le sanscrit appartenait à la même famille de langues que les langues européennes, au milieu du XIXe siècle, ce qui a permis de fonder des disciplines comme la phonologie comparée et la reconstruction des langues (comme l'indo-européen). Mais les dictionnaires étymologiques ont mis du temps à être réalisés (XXe siècle). C'est eux qu’il faut consulter par priorité.
La linguistique peut évoluer, on peut trouver de nouveaux textes (par exemple les tablettes cunéiformes mésopotamiennes), on peut disposer un jour d'éditions accessibles d'œuvres de base (par exemple le Canon d'Avicenne, aujourd'hui pratiquement inaccessible à ma connaissance), mais il faut se faire à l'idée qu'il restera toujours des questions non résolues...
Auteur de la synthèse : Francis Vayeur, mai 2008