Suite de la synthèse sur le sycomore
Revenir à la première partie

Bibliographie à consulter sur le sujet

- Aaronsohn A. (révisé par Oppenheimer H.R.), Florula transjordanica, tiré à part (301 p.) de Bulletin de la Société Botanique de Genève, Imprimerie Jent S.A., 1931.

- Abdallatif Al-Baghdadî (médecin arabe de Bagdad du XIIème-XIIIème siècle), Relation de l'Egypte. Texte arabe réédité par Institut for the History of Arabic-Islamic Science at the Johan Wolfgang Goethe University, Frankfurt am Main. Traduction en français par Silvestre de Sacy, Paris, Imprimerie Impériale, 454 p., 1810.

- Abu-l-Khayr Al-Ichbîlî (botaniste sévillan du XIIe siècle), 'Umdat at-tabîb fî ma'rifat en-nabât. Texte arabe publié par Al-Khattabi M.L., Rabat, Editions Al-Hilal Al-Arabi, 2 tomes, 1024 p., 1990.

- Alpino P. (1553-1617), Histoire naturelle de l'Egypte (traduction du latin en français par R. de Fenoyl), Paris, Ministère des Universités, 2 vol., 583 p., 1979.

- Amigues S., Recherches sur les plantes de Théophraste, Paris, ed. Les Belles Lettres, tome I à IV, 143 p. + 304 p. + 210 p. + 236 p., 1988-2003.

- Arnold N., Contribution à la connaissance ethnobotanique et médicinale de la flore de Chypre, Thèse de doctorat d'état en pharmacie, Université René Descartes de Paris, 2203 p. + cartes, 1985.

- Boulos L., Medicinal plants of North-Africa, Algonac (Michigan-USA), Reference Publications, Inc., 286 p., 1983.

- Chantraine P., Dictionnaire étymologique de la langue grecque, éd. Klincksieck, 355 p., 2002.

- Davies W.V., Ancien egyptian timber imports. An analysis of wooden coffins in the British Museum, in : Davies W.V. and Schofield L. (eds), Egypt, the Aegean and the Levant. Interconnections in the second millenium BC), British Museum Press, 1995.

- Deflers M.A., Voyage au Yémen, Paris, éd. Klincksieck, 1889.

- Deflers M.A., Esquisse de géographie botanique, Revue d'Egypte, Le Caire, Imprimerie Nationale, 1894.

- Forskahl P., Flora aegyptiaco-arabica (post-mortem auctoris edidit C. Niebhür), Danemark, Hauniae, 2 part., 1775.

- Galil J. An ancien technique for ripening sycomore fruit in East Mediterranean Countries, Economic Botany, New-York, 22 : 178-90, 1968.

- Galil J., Stein M., Horowitz A., On the origin of the Sycomore Fig (Ficus sycomorus L.) in the Middle East, Gardens Bulletin, Singapore, 29 : 171-205, 1976.

- Genaust H., Etymologisches wöterbuch der botanischen pflanzennamen, Suisse, Basel, éd. Birkhauser, 701 p., 1996.

- Ghazanfar S.A., Handbook of arabian medicinal plant, Boca Raton (Florida, USA), CRC Press Inc., 265 p. 1994.

- Goor A. et Nurock M., The fruits of the Holy Land, Jérusalem, Israël University Press, pp. 46-69, 1968.

- Grosser D. et al., Holz-ein wichtiger werkstoff im alten Aegypten, in Schoske S. et al. (eds), Anch-Blumen für das Leben. Schriften aus der äegyptischen sammlung, Heft 6, Staatliche Sammlung äegyptischer Kunst, Munich, 1992.

- Honda G., Miki W., Saito M., Herb drugs and herbalists in Syria and North Yémen, Studia Culturae Islamicae n° 39, Tokyo, 156 p., 1990.

- Hepper F.N., Illustrated encyclopedia of Bible plants, Leicester, England, Inter Varsity Press, 192 p., 1992.

- Ibn Al-Baytar (auteur arabe du XIIIème siècle), Jami' al-mufradat al-aghdiya wa al-adwiya, texte arabe, Baghdad, Editions Maktabat Al-Matna, sans date, 3 tomes reliés en 1, 179 p. + 179 p. + 211 p. Traduction française par Leclerc L., Traité des Simples par Ibn Al-Baytar, Notices et Extraits des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale, Imprimerie Nationale, 3 tomes, Paris, 1877-1883, réédité par l'Institut du Monde Arabe, Paris, s.d.

- Nibbi A., Ancien Egypt and some eastern neighbours, New Jersey, 1981.

- Nunn J.F., Ancien egyptian medicine, London, British Museum Press, 240 p., 1997.

- Roberts J.M., La préhistoire et les premières civilisations, Paris, ed. Larousse-Bordas, p. 118, 1998.

- Salah Ahmed M., Honda G., Miki W., Herbs drugs and herbalist in the Middle East, Studia culturae islamicae n° 8, Tokyo, 208 p., 1979.

- Sonnini de Manoncourt C.S., Voyage dans la haute et basse Egypte, Paris, ed. F. Buisson, 1798, reproduit en microfiches par Hachette (Paris), 1976.

- Wiebes J. T., Co-evolution of figs and the insect pollinisators, Annual Review of Ecology and Systematics, Palo Alto, 9 : 1-12, 1979.

- Wood J.R.I., A handbook of the Yemen flora, Royal Botanical Garden, Kew, 434 p. + 40 planches couleurs, 1997.

- Younos C., Fleurentin J., Notter D., Mazars G., Mortier F., Pelt J.-M., Repertory of drugs and medicinal plants used in traditional medicine of Afghanistan, J. of Ethnopharmacology, 20, pp. 245-290, 1987.

- Younos C. Le Mûrier (Morus sp.) dans la tradition afghane : une étude ethnobotanique, Al Biruniya, Rev. Mar. Pharm., Rabat, tome 10, n° 2, pp. 131-134, 1994.

- Zeroni M., Ben-Yehoshua S. et Galil J., Relationship between ethylene and the growth of Ficus sycomorus, Plant. Physiol., 50 (3) : 378-381, 1972.

- Zohary D. and Hopf M., Domestication of plants in the old Word, Oxford, Clarendon Press, p. 145 (sycomore), 1988.

- Zohary M., Plant life of Palestine, New-York, Ronald Press, 1982.

- Zohary M., Plants of the Bible, Cambridge University Press, 223 p., 1982.

- Zohary M. and Feinbrun-Dothan N., Flora Palaestina, Jerusalem, Israel Academy of Science, 8 vol., 1966-1986.

Discussion sur le Forum d'ethnobotanique


Francis Vayeur (Mercredi 11 août 2004) :
« J.-M. Pelt dans son livre "Des fruits" cite : "Si l'on y adjoint le sycomore, grans arbre portant de petites figues [....]". Est-ce notre érable sycomore ou un autre arbre ? »

Jacques Fournet (Mercredi 11 août 2004) :
« Non, c'est une Moracée (Ficus ?) ».

Michel Wienin (Mercredi 11 août 2004) :
« Non, le vrai sycomore est un arbre du genre Ficus (figuiers, moracées) naguère abondant au Proche-Orient (Grèce, Turquie, Syrie-Palestine, Egypte et plus à l'est), proche du figuier. C'est souvent l'arbre de la place du village. En France, on ne le trouve que dans quelques parcs du midi. Le fruit est une sorte de petite figue, comestible mais sans intérêt alimentaire (sauf pour divers animaux, des ânes aux volailles) et a donné son nom à l'arbre (en grec "syke" = figue, "more" = comme, semblable à).

Le seul rapport avec les érables qui ont reçu son nom se trouve évidemment dans la forme des feuilles, comme pour l'érable faux-platane car pour confondre des samares d'érables avec des figues, il en faut tout de même ! ».

Michel Chauvet (Jeudi 12 août 2004) :
« La figue de sycomore est peut-être sans intérêt comme fruit de dessert, mais elle a longtemps été un aliment de base. Une fois séchée et moulue, sa farine riche en sucres peut entrer dans des pains, gâteaux ... et l'arbre en produit en abondance.

Quant à l'étymologie, je ne sais pas où vous allez chercher votre "more", mais c'est tout simplement le "moros" ou "moron" qui signifie mûrier, mûre. Le sycomore est pour les Grecs le "mûrier-figuier", autrement dit un arbre à feuilles de mûrier qui donne des figues.

Mais d'après Genaust ce serait là une réfection par étymologie populaire d'un "sycaminos" plus ancien, qui est un emprunt à l'hébreu "shiqma", "shiqmim", qui serait le nom du mûrier ».

Peter A. Schäfer (vendredi 13 août 2004) :
« Il y a un détail qui m'inquiète : le genre Morus n'est pas indigène en Europe mais introduit de Chine ... déjà au temps des Grecs anciens ? »

Michel Chauvet (vendredi 13 août 2004) :
« Le Morus auquel tu penses est Morus alba, qui est bien originaire de Chine, et s'est diffusé au travers de l'Asie centrale pour arriver en Grèce en 555 de notre ère avec le ver à soie, et en Provence en 1345.

Mais le genre Morus est répandu dans toutes les régions tempérées et en Afrique tropicale. Il existe un Morus rubra originaire d'Amérique du Nord. Celui connu de l'Antiquité méditerranéenne est Morus nigra, originaire d'Asie centrale et cultivé depuis des millénaires en Iran et dans le sud du Caucase. Il a été introduit avant notre ère dans le bassin méditerranéen pour ses fruits.

Les espèces sont confondues, d'autant que Morus alba a des cultivars à fruits rouges ».

Michel Wienin (mardi 17 août 2004) :
« Très franchement, moi non plus, je ne sais pas trop à quoi je pouvais bien penser en rédigeant ma petite réponse sur le sycomore ! Autant pour moi et merci pour la correction.

Je n'avais pas connaissance de l'origine sémitique probable du mot sycomore, mais j'y adhère volontiers car une telle paronymie explique bien deux paradoxes :

1/ La ressemblance entre les feuilles (assez variables, certes) du sycomore et celles généralement en forme de coeur du mûrier (noir) est loin d'être évidente, et encore moins d'ailleurs avec l'érable faux-platane, ou avec le platane (pour les américanophones).

2/ Pour désigner un arbre comme étant un figuier-mûrier, il faut que ces deux espèces soient connues depuis pas mal de temps. Pas de problème pour la première mais il semble bien que l'arrivée du mûrier dans le Proche-Orient méditerranéen (fin 1er millénaire avant notre ère) soit postérieure de plusieurs millénaires à celle du sycomore connu depuis longtemps en Egypte et en Syrie-Palestine. On peut noter que la Bible mentionne plusieurs fois le sycomore, jamais le mûrier.

Remarque : n'y-a-t-il pas une erreur dans la phrase "un emprunt à l'hébreu shiqma, shiqmim, qui serait le nom du mûrier". Ne signifie-il pas plutôt figuier ?

D'autre part, notre tradition survalorise le rôle de l'hébreu, langue de la majeure partie de la Bible, alors qu'elle n'était parlée que par une population et sur une zone restreinte. Un emprunt direct à l'égyptien ou bien à l'araméen, beaucoup plus répandu, serait nettement plus probable. En pratique ça ne change pas grand chose car ce sont des langues sémitiques voisines et dont la plupart des racines sont communes ou de formes voisines ».

Michel Chauvet (Mardi 14 septembre 2004) :
Les remarques de Michel Wienin m'obligent à y regarder de plus près. Je vous livre donc ce que disent quelques sources "fiables" ...

L'interprétation de "shiqma" comme "mûrier" vient de Genaust. Vous verrez plus loin que Zohary a une autre opinion.

Tout à fait d'accord sur l'importance surévaluée de l'hébreu, et le rôle autant ignoré qu'essentiel de l'araméen, qui était non seulement parlé dans toute la région au temps de Jésus, mais aussi une grande langue commerciale (on a retrouvé des textes araméens jusqu'en Chine). Et les noms des plantes passent souvent par les langues commerciales ...

Quand les Arabes sont arrivés au Proche-Orient, l'araméen était la langue parlée jusqu'en Mésopotamie. C'était aussi la langue écrite, et les textes de l'Antiquité avaient été traduits du grec ou du latin en araméen. Tout le patrimoine culturel proche-oriental a été emprunté par les Arabes à l'araméen. Les emprunts arabes au grec ont ainsi souvent un intermédiaire araméen.

En grec, sykaminos semble désigner le mûrier. C'est l'opinion de Chantraine et de Amigues dans sa traduction de Théophraste. Linguistiquement, Chantraine fait venir le mot du sémitique, et cite l'araméen "shiqemin".

Il faut savoir que les Grecs ne connaissaient pas le sycomore, sauf un "figuier de Chypre" (kuprias suké) qui serait Ficus pseudo-sycomorus d'après Amigues. Théophraste appelle le sycomore "sukaminos d'Egypte" (voir notes 1 et 2 d'Amigues au chapitre 4, 2).

Pour Michael Zohary, « "sycomore" est la seule traduction correcte de l'hébreu "shiqmim" ou "shiqmoth", mot qui apparaît sept fois dans la Bible et toujours au pluriel ».

A l'article Morus nigra, il cite trois noms différents, "tut", "sycamine" et "mesukan", qui ont été identifiés comme mûrier. "Tut" apparaît dans Macchabées (6 : 34) et ne pose pas de problème, car c'est le nom moderne arabe, turc .... du mûrier. "Sycamine" apparaît dans l'Evangile de Luc (17 : 5-6), et c'est donc un mot grec tardif (du début de notre ère). Quant à "mesukan" (chez Isaïe 40 : 20), Zohary le rapproche du sumérien "messikanu" ou "sukannu", que Thomson (Dict. of Assyrian Botany) identifie comme mûrier.

Zohary ajoute un élément essentiel pour notre discussion. C'est que le Ficus sycomorus est un arbre tropical et subtropical, qui a probablement été introduit au Proche-Orient, et dont on ne connaît aujourd'hui dans cette région que des formes à fruits parthénocarpiques, ce qui est intéressant car on peut manger toutes les figues, alors que dans les formes sexuées, une partie des figues contient des galles du blastophage et ne sont pas comestibles. Mais la parthénocarpie impose une multiplication végétative par l'homme, ce qui plaide en faveur du non-indigénat du sycomore au Proche-Orient. En conclusion, je ne suis pas sûr que le sycomore ait été introduit avant le mûrier au Proche-Orient.

Enfin, le nom égyptien du sycomore n'a rien à voir. C'est "nh.t" (à lire "nehet"), et en arabe égyptien, c'est "gemmêz".

Et le nom du figuier en hébreu biblique est "tînah", pluriel "tînim", d'après Zohary ».

P.S. : « J'ai consulté l'ouvrage suivant, mais je ne le cite pas car il contribue plus à augmenter la confusion qu'à autre chose : Maillat Solange et Maillat Jean, 1999. Les plantes dans la Bible. Guide de la flore en terre sainte. Méolans-Revel (04), Désiris, 303 p. ISBN 2 907653 63 6. »

Jamal Bellakhdar (Lundi 20 septembre 2004) (extraits) :

Le figuier sycomore espèce indigène ou introduite au Proche-0rient ?
« Le figuier sycomore est indigène en Arabie tropicale et au Yémen où il fructifie et se reproduit sans l'intervention de l'homme. Mais tous les auteurs s'accordent à dire qu'en Egypte et au Proche-Orient le Ficus sycomorus a été introduit en provenance d'Afrique de l'Est où on retrouve à la fois l'espèce à graines (non parthénocarpique) et son insecte pollinisateur, Ceratosolen arabicus. Cet insecte n'aurait pas fait le voyage lors du transfert de son végétal-hôte en Egypte, qui a dû se faire sous forme de boutures. [....] [le développement sur la biologie du sycomore a été extrait et reporté dans la première partie de la synthèse] ».

« En l'absence d'insecte pollinisateur spécialisé, la culture du sycomore dans la vallée du Nil puis en Palestine et en Syrie a fini par aboutir à la sélection de variétés parthénocarpiques, mais à fruits médiocres n'achevant pas leur maturité. Les auteurs arabes, à la suite d'At-Tamîmî de Jérusalem, médecin arabe du Xème siècle, distinguaient cependant les fruits produits à Ghaza et en Syrie qui présentaient la particularité de posséder une teneur en sucres plus importante et une aptitude à mûrir spontanément ».

« Pour les autres, ceux qui ne mûrissent pas, les populations ont trouvé très tôt les moyens d'améliorer leurs qualités alimentaires. La technique utilisée fut inventée par les Anciens Egyptiens : elle consiste à inciser les figues à un stade précoce de leur développement, opération qui provoque leur blétissement et l'augmentation de leur teneur en sucre, ce qui en fait dès lors des fruits acceptables. Ce mûrissement accéléré est provoqué par la libération d'éthylène. Ce gaz jouerait aussi le rôle de stimulateur de croissance car, étonnemment, les fruits immatures ainsi sclarifiés multiplient leur volume par 10 en l'espace de 3 jours (J. Galil). Cette technique de sclarification est encore en usage aujourd'hui en Egypte et à Chypre (comme le rapporte F. Nigel Hepper, 1992) ».

A quelle époque le sycomore a t-il été introduit en Egypte ?
« L'avancée des recherches archéologiques nous permet aujourd'hui de disposer à ce sujet de quelques éléments de réponse. D'abord, des figues de sycomore portant l'incision caractéristique ont été retrouvées dans les tombeaux pharaoniques et sont figurées également sur des bas-reliefs. Ensuite, l'étude des objets en bois retrouvés lors des différentes fouilles ont révélé l'ommniprésence du bois de sycomore dans l'artisanat de l'époque pharaonique : cercueils, mobilier, manches d'outils, bibelots, etc. A titre d'exemple, selon W.V. Davies, sur les 710 objets égyptiens en bois de la collection du British Museum, 230 sont fabriqués en bois de sycomore. Enfin, le sycomore-arbre, qu'on trouvait à l'entrée de tous les temples, était associé étroitement au culte d'Hathor, la déesse à tête de vache. Ces éléments réunis font dire aux spécialistes que l'introduction du sycomore dans la vallée du Nil serait contemporaine de la période égyptienne prédynastique, c-à-d antérieure au troisième millénaire av. J.-C. ».

Les Grecs connaissaient-ils le sycomore ?
« Apparemment oui : sur ce point, les auteurs grecs semblent tous d'accord pour le décrire comme une sorte de figuier. Galien nous déclare l'avoir observé à Alexandrie et Dioscoride signale sa présence en Carie (aujourd'hui côte turque aux alentours de Mendérès), à Rhodes et à Chypre. Cette présence ancienne semble plausible puisqu'on le rencontrait à la même époque sur la côte syrienne qui n'en est pas très éloignée. En tout cas, de nos jours, on trouve bien des sycomores dans ces îles, certains très anciens. Selon Arnold (1985), les arbres-reliques de Larnaka sont des arbres de cette espèce. A mon avis, la variété à fruits doux de la taille d'une prune décrite pour Chypre par Dioscoride pourrait être identique à celle de Ghaza. L'idée qu'il s'agisse de Ficus pseudo-sycomorus Decne, comme l'a avancé Amigues (en se fondant sur un commentaire de la Materia Medica de Dioscoride par Ibn Djoldjol, voir ci-dessus) ne peut évidemment pas être exclue. Mais cette espèce (F. pseudo-sycomorus Decne = F. palmata Forssk.), qui est considérée comme l'une des espèces d'où Ficus carica aurait pu dériver (Wood, 1997), possède des feuilles palmées comme le Figuier cultivé. Il serait étonnant que Dioscoride ait choisi de l'assimiler au Sycomore plutôt qu'au Figuier cultivé ».

Sycomore et Etymologie
« S'ils semblent tous d'accord sur l'identité botanique du Sycomore, en revanche les auteurs grecs sont moins unanimes dans leurs explications de l'étymologie du mot "Sukomoron". C'est vrai que la relation au Mûrier (Morus nigra L.) est souvent mise en avant dans leurs descriptions des feuilles. Mais ce qui rend perplexe c'est qu'ils divergent entre eux sur le sens à donner au mot "Sukomoron". Galien nous dit : « [....] Sa constitution [excès d'humidité et de froideur] le place entre la figue et la mûre et c'est de là, je crois, que lui vient son nom grec. C'est une erreur de croire qu'il est ainsi appelé parce qu'il ressemble à une petite figue ». Dioscoride, quant à lui, décrit bien la ressemblance des feuilles du Mûrier et du Sycomore, mais cette observation pertinente ne l'interpelle pas quand il voudra plus tard expliquer l'étymologie du mot "Sukomoron" qui signifierait pour lui tout simplement "figue fade". On peut imaginer que Dioscoride ne connaissait pas personnellement la plante, mais pouvait-il ignorer le sens du suffixe "Moron" alors qu'il a largement parlé du Mûrier juste avant, dans la rubrique précédente ? Il y a dans ces contradictions, quelque chose de bizarre. De plus chez les auteurs Grecs, "Sycaminos" est rendu à la fois par Sycomore et par Mûrier. Tout cela laisse penser que "Sukomoron" est une construction phytonymique tardive destinée à remplacer le vernaculaire "Sycaminos", trop ambivalent, et qui tente de résoudre la difficulté rencontrée par les Grecs à attribuer un sens univalent au mot araméen "Shiqmin" (sur ce mot et sa racine sémitique on consultera le lien http://www.bartleby.com/61/roots/S328.html) duquel dérive leur "Sycaminos" et le "Shiqmah" des Hébreux, et auquel s'apparente le "Suqam" des populations actuelles du Yémen.

Pour F. N. Hepper (1992) qui a longuement étudié les plantes de la Bible et pour les auteurs israéliens, il n'y a aucun doute : l'hébreu ancien désignait par "Shiqmah" le Sycomore. Pour Wood (1997), qui a enquêté au Yémen, le vernaculaire "Suqam" y désigne le Ficus sycomorus qui y est indigène (c'est important de le souligner). Notons ici que ce dernier vernaculaire n'est pas utilisé ailleurs dans le Moyen-Orient arabe où les variétés parthénocarpiques du Sycomore sont généralement appelées "Jummayz" ou "Gummayz".

On pourrait peut-être avancer dans la résolution de notre rébus linguistique si nous arrivions à établir lequel des deux est arrivé en premier au Proche-Orient : le Sycomore ou le Mûrier ?

C'est là que je me hasarde à émettre une hypothèse.

A mon avis, il ne serait pas déraisonnable d'admettre que les peuples sémitiques connurent d'abord le Sycomore de l'Arabie tropicale qui devait porter un nom proche du "Suqam" yéménite actuel. Dans ces conditions, lorsque le Mûrier fut introduit en Mésopotamie en provenance de la Perse voisine, il a pu être comparé à ce Sycomore et serait devenu quelque chose comme "l'arbre à feuilles de Sycomore". D'autant plus que le Mûrier ("Tût" en persan) a très bien pu arriver de Perse à travers le Golfe Persique, c'est-à-dire via la Péninsule arabique. Le mot basique qui a donné le phytonyme "Suqam" (pour le Sycomore) a pu, de ce fait, servir à construire un mot dérivé voisin désignant le Mûrier. L'araméen "Shiqmin" ne serait donc lui-même qu'une racine qui, selon la manière dont elle est lue, prononcée, déclinée ou suffixée, signifierait Sycomore ou Mûrier.

Par voie de conséquence, je vois dans le grec "Sycamine" la transposition du mot araméen "Shiqmin" avec son ambivalence et son histoire. De la même façon, je crois que le grec "Suka" (Ficus carica) dérive d'une même racine sémitique. Sous réserve de vérification par croisement avec d'autres auteurs arabes et persans, on trouve dans le livre d'un botaniste arabe du XIIème siècle, Al-Ichbilî (voir ci-dessus), une donnée intéressante : selon lui, l'un des noms que les Perses donnaient au Figuier [sauvage ?] est "Sûqâs balas".

En fin de compte, en suivant la logique de mon hypothèse, ce serait le Sycomore d'Arabie tropicale qui aurait fourni les matériaux linguistiques ayant servi à désigner chez les Grecs, via les langues sémitiques antérieures, le Mûrier. En cherchant encore plus en amont, on trouverait vraisemblablement, à l'origine de ce registre lexical, un mot de persan ancien désignant le Figuier sauvage.

Les variétés parthénocarpiques du Sycomore venues d'Afrique tropicale via l'Egypte ne me semblent pas avoir participé à ces élaborations linguistiques par le biais de la langue égyptienne ancienne ou de dialectes africains ».

Compléments de discussion

(hors forum)

• Jamal Bellakhdar :
le suffixe ”Moron” du mot grec (tardif) “Sukomoron” pourrait provenir , non pas du grec “Moron” (pour “Mûrier”), mais directement de la racine latine qui a servi à construire ce mot, la même que l'on trouve dans les mots “morelle”, “morille”, “maure”, et qui signifie “brun”, racine que certains auteurs mettent en relation avec le celtique “mor” = brun, noir. Dans cette hypothèse “Sukomoron” pourrait avoir signifié à l'origine “Figuier noir”, “Figuier brun”, eu égard à la couleur foncée de son écorce et par opposition au figuier cultivé dont l'écorce est blanche.

• Michel Wienin :
Peut-être serait-il intéressant de montrer qu’à partir d’un nom d’origine incertaine, c’est toute une histoire de la domestication et des déplacements de deux ou trois espèces qu’on aborde.

• Jamal Bellakhdar :
Au moment où je m’apprête à boucler cette synthèse, je tombe sur une observation intéressante faite par Aaronsohn (1931) au cours d’une prospection botanique à laquelle il s’est livrée de part et d’autre du Jourdain, vers 1930. Cet auteur signale avoir vu cultiver, dans la région de Petra (Jordanie), plusieurs figuiers sauvages dont le Ficus pseudo-sycomorus Decne (= F. palmata Forssk.).
Si le Ficus pseudo-sycomorus est cultivé pour son fruit à l’est du Jourdan, pourquoi ne le serait-il pas également à Ghaza, surtout que l’on sait que cette espèce est présente sur le Jbel Moussa dans le Sinaï (Baharav D. and Meiboom U., Journal of Arid Environment, 1982, 5 : 295-298) ? La variété de sycomore à fruits doux décrite par At-Tamîmi pour Ghaza (voir ci-dessus) pourrait alors bien être cette espèce. Et dans cette hypothèse, je dois reconnaître honnêtement que cela peut conforter la thèse d’Amigues qui fait du “Sycomore de Chypre” de Dioscoride le Ficus pseudo-sycomorus, comme le supposait déjà Ibn Djoldjol, et cela en dépit du fait que l'espèce, par ses feuilles, ses fruits et son port, ressemble plus au Figuier cultivé qu'au Figuier sycomore. Il est vrai que les Anciens, quand ils faisaient des rapprochements entre espèces végétales, ne le faisaient pas dans une logique linéenne. Surtout quand les descriptions résultaient de récits et non d'observations personnelles sur place.

2 items photographiques représentant Ficus palmata Forssk.(= Ficus pseudo-sycomorus Decne) sont visibles en allant sur les liens :
http://www.botanic.co.il/a/picshow.asp?qcatnr=FICPAL&qseqnr=FICPAL1&X=X
http://www.botanic.co.il/a/picshow.asp?qcatnr=FICPAL&qseqnr
Et à titre de comparaison, un item photographique représentant Ficus carica L. est visible en cliquant sur :
http://www.botanic.co.il/a/picshow.asp?qcatnr=FICCAR&qseqnr=FICCAR1&X=X