• Les haricots de la mer


Synthèse réalisée par : Marie-J. PORTAS
Date : Août 2003

Ecrit effectué suite à la découverte d’une noix de coco dans les laisses de marée de la baie du Mont Saint-Michel (coefficient 118).

Les haricots de la mer

Premier écueil, les nommer. Les anglo-américain les surnomment 'drift-seed' (graines/dérive), 'sea bean', les haricots de la mer, ou encore 'sea-borne' (apporté/donné par la mer) et 'sea dispersal plant'.
Je n'ai pas trouvé de terme précis dans nos écrits naturalistes pour désigner ces graines/fruits d’origine exotique ou indigène, disséminés par l’eau de mer et rejetés sur des rivages plus ou moins lointain. Des hydrochores spécialisées en quelque sorte pour lesquelles sont recommandés légèreté, ciré de marin et gènes de longévité.

Flotter

D’abord être moins dense que l’eau de mer. Certaines ont des cavités aérifères dans l’endocarpe comme Saccoglottis amazonica. Ou bien des tissus aérifères : le coïr de la noix de coco et le mésocarpe du Pancratium maritimum, ou bien encore une cavité pleine d’air près de l’embryon comme chez Entada ou Merremia.
Être imperméable : protéger l’embryon de l'eau salée avec un péricarpe adapté. Il suffit de toucher une Entada ou une Dioclea pour comprendre ce qui est efficace : un tégument dur et lisse sans point faible. On conçoit alors comment ces graines purent être prises pour des pierres au siècle dernier sur les côtes d’Islande ou de Norvège, quand aucune connaissance ne permettait d’entrevoir une appartenance autre. Il devait en l'occurrence s'agir de Caesalpinia bonduc dont le péricarpe est très dur -Une graine ramassée à Macquarie island dans l’Antarctique n'a germée qu'après scarification (Costin A. B. 1965, Nature)-
D'ailleurs ce qui est remarquable, ce n’est pas le chemin parcouru par ces graines, mais le fait qu'elles arrivent vivantes. Elles sont peu nombreuses à être adaptées à ce type de dissémination. De Darwin à Gunn & Dennis, les tests de viabilité donnent sous les Tropiques cent vingt-cinq graines/fruits pouvant flotter dans l’eau de mer pendant plus d’un mois et être toujours viables (16 ; 3).
Charles Martins, naturaliste du XIXe siècle, mena des expériences avec des graines de plantes indigènes plongées dans le port de Sète. Avec de faibles résultats. Mais quelques espèces se font ainsi disséminer le long de nos côtes : Cakile maritima, Honckenya peploides, Crambe maritima, Euphorbia paralias, pour les plus connues.

Surtsey

Un matin de novembre 1963 émerge au sud de l’Islande ce qui va devenir l’îlot volcanique de Surtsey. En juin 1965 une petite colonie de Cakile edentula (C. maritima sp.maritima) s’était installée. Puis vinrent Leymus arenarius en 1966, Honckenya peploides et Mertensia maritima en 1967 (Einarsson 1967, Fridriksson 1968).
Sur Krakatoa, à 25 miles de Java, trois ans après l’explosion qui fit tabula rasa en 1883, il fut relevé neuf sea-borne et dix-sept aménochores (dont 13 fougères) (5).
Aux îles Hawaï, très éloignées (5000km) on a pu estimer que plus de la moitié des plantes originelles furent apportées par les oiseaux, 1,4 % par le vent, 23% par l’eau. Vu que Hawaï est à l’écart des courants majeurs, c’est beaucoup par la voie maritime (5).
Les Galápagos sont plus proches du continent, 800 km, et la majorité des plantes, 60%, est venue avec les oiseaux, 30% avec le vent, et 10 % par mer (Porter D.M. 1976) (5).
Le peuplement par la mer participe donc à l'enrichissement des terres mais est relativement faible. Il a son importance pour les îles ou les formations littorales comme les mangroves.

Le cocotier comme exemple

Remplissant pleinement son rĂ´le de pionnier et de symbole des cĂ´tes sableuses tropicales le cocotier fut l'une plantes Ă  arriver en plus grand nombre sur Krakatoa.
Sa noix est comme un navire paré pour une expédition colonisatrice : drupe à péricarpe protégeant de l’eau, du froid et des coups avec son mésocarpe fibreux, le coïr, et un endocarpe osseux très résistant. Densité et centre de gravité élevé lui permettent de flotter en gardant le pore germinatif hors de l’eau. De la nourriture pour des mois (albumen liquide, le lait, devenant peu à peu solide, le coprah), et arrivée à destination, de quoi nourrir la plantule jusqu'à à ce qu’elle puisse se débrouiller seule.
Mais difficile de dire d'où elle est partie un jour pour son premier voyage. Pour ces plantes très tôt mêlées à la vie des hommes, déterminer la part de l’influence humaine et de la nature dans la répartition est délicat. En Polynésie ne dit-on pas "Le cocotier ne germe que là où il entend la mer et les voix humaines" (?)
Cocos nucifera occupe donc les botanistes depuis longtemps ; aujourd'hui la majorité se prononce pour une origine dans la région indo-malayse dans le Pacifique occidental (7). Les arguments militant en faveur de cette hypothèse sont la plus grande diversité génétique, l’importance des insectes associés, des restes fossiles et la présence de consommateurs, dont le plus célèbre est le crabe Birgus latro dont l'aire de répartition correspond à celle du coco dans le Pacifique. Répartition qui n’aurait pas pu être atteinte par ses larves minuscules qui ne peuvent vivre que trente jours dans l’eau : elles auraient pris le Cocos nucifera comme embarcation, logées dans l’épais coïr (Harries H.C. 1983) (16) (17).
Pour une origine américaine, une plus forte parenté en Amérique, à laquelle s'ajoute un peuplement humain d'Océanie qui serait venu d'Amérique (?) mais ceci est une autre histoire.
Reste une énigme : avant la colonisation par les européens de la future Amérique, le Cocos nucifera ombrageait déjà les côtes d'Amérique centrale et des îles au large - Les indigènes de Panama l’utilisaient. Pour le moment, aucune preuve que la noix ait pu parcourir (ou durer) 11000 km pour coloniser ce continent. 5000km serait la distance moyenne susceptible d’être parcourue tout en restant viable (Dennis & Gunn, 1971).
Il y a également les partisans d’une origine plus africaine : en 2001 un programme de recherche équipe des Cocos nucifera d’émetteurs au départ des Seychelles afin de les suivre par satellite durant deux à huit mois. Les organisateurs partent du postulat que l’ancêtre le plus proche du Cocos nucifera est un Jubaeopsis d'Afrique sud-orientale, qui s’est trouvé isolé par la dérive des continents aux Seychelles et dont proviendrait Cocos nucifera. Le coco se serait ensuite propagé avec une viabilité de huit mois dans l’eau de mer (14). Aucun résultat de cette étude au long cours n'est encore publié.

Et la vieille Europe ?

Il n’y a donc rien d'extra-ordinaire à ce qu’une noix de coco arrive un matin de printemps sur une côte de l'Europe. Les plus anciennes mentions sont de Hans Strom’s en 1762 et Johan Ernst Gunnerus en 1765 en Norvège (6). Linné la rapporte trouvée dans les fjords. En 1917 Guppy les signale en Grande-Bretagne, îles Faeroe, Norvège, en précisant toutefois qu’elles peuvent avoir été jetées d’un bateau (6). En effet la plante faisant l'objet de beaucoup d'échanges il y a de fortes probabilités qu’il y aient des imposteurs dans les accostages.
Les vraies voyageuses se reconnaissent aux animaux marins ayant trouvé un bon support et s’y étant installés, ce qui indique un long trajet, et à leur petite taille, celles jetées sur les côtes étant plus petites que celles commercialisées.
Ce qui confirmerait une origine sauvage Ă  ma noix bretonne, ci-contre.
Le fait que certaines personnes aient réussi à les faire germer renforcerait l’idée d'une origine anthropique, car des expériences de viabilité (Ward & Allen 1982) ne lui donnent pas plus de cent jours dans l’eau salée, or plus de temps est nécessaire pour la grande traversée (6). Pour le Dr Nelson les cocos en Europe ont soit une origine anthropique, soit ne sont pas de vrai drift-seeds, car elles arrivent non-viables.
Donc une Noix de Coco bretonne qui ne serait pas à même de coloniser la Bretagne dans le cas d'un éventuel réchauffement climatique. Cela dit, il est à craindre qu'alors le gulf stream ne nous tempère plus autant qu'aujourd'hui.

Combien de temps pour traverser lÂ’Atlantique ?

En 1917 Guppy l’avait évalué à un minimum d’un an "des Indes orientales à l’Europe". Le voyage le plus rapide effectué par une bouteille (lors d’expériences) fut de 330 jours et 6740 km, d’Hispaniola jusqu’au sud-ouest de l’Irlande (6).
"Le gulf stream peut se comparer à une grosse canalisation de chauffage central de 100km de largeur et de 1km d’épaisseur, dans laquelle l’eau circule en surface à la vitesse de 80km/jour. Cette vitesse de déplacement fut mise à profit par les premiers navigateurs au cours de leur traversée vers l’Europe (…) Il traverse l’Atlantique nord en quelques mois" (15).
En son temps Linné note que l’océan par des méthodes "non comprises aujourd’hui" transporte des graines. Graines que l’on retrouve sur les côtes d'Ouessant, de mer d’Iroise et de mer d’Irlande, jusqu'aux Faeroe, Hébrides, Malin, Viking, Fastnet, Utsire et Cromarty. Et la Norvège et l’Irlande, bien avant la découverte de l’Amérique brûlaient des bois durs d’espèces inconnues que leur apportait la mer.
"Peu de temps avant mon arrivée à Ténériffe, écrit Humboldt, la mer déposa sur la rade de Sainte Croix un tronc de Cedrela odorata couvert de son écorce. Cet arbre d'Amérique végète exclusivement sous les tropiques ou dans les régions qui en sont les plus voisines. Il avait été arraché sans doute soit à la côte de la Terre-Ferme (nord de l'Amérique du Sud) soit probablement à celle du Honduras (…) Il (le gulf stream) a fourni au génie de Christophe Colomb des indices certains de l’existence des terres occidentales (…) des cadavres humains (…) de gros bambous (…) des fruits de plusieurs arbres des Antilles (…) sont jetés sur les côtes des îles de fer et de la Gomere (Hierro et Gomera)" (1).
La légende s’empara de Colomb confronté à ces graines mystérieuses, et les Entada sont appelées 'Fava de Colom' aux Açores.
En 1881, dans une lettre que le naturaliste Arruda Furtado qui se trouve aux Açores envoie à Charles Darwin, il est signalé diverses découvertes, dont "Au milieu des fucus on trouve parfois des graines de trois ou quatre espèces de plantes entraînées par la mer et bien connues des pêcheurs qui les emploient en vidant les plus grosses qu’ils appellent 'fava do mar' pour en faire des tabatières". En 1695, Hans Sloane évoque ces "haricots extraordinaires jetés sur les côtes d’Ecosse, Irlande et Orcades dont on faisait des tabatières", 'les snuffboxes'. Elles y sont utilisées également comme boite ou pendentif.
Ci-contre, dessin par Wendy Walsh d'une snuff-boxe. In 'Sea bean and nickar nuts' du Dr E. Ch. Nelson.
Mais je n’ai pas trouvé trace de ces tabatières dans des notes prises pendant des années par l'ethnologue Paul Sébillot en Bretagne pourtant pays de traditions.

Ces choses rares et inconnues

Et venant de la mer, un lieu déjà lui-même mystérieux à la fois redoutable et pourvoyeur de richesses devaient forcément avoir du pouvoir. Elles étaient des talismans, écartant le diable, protégeant du malheur et surtout amenant la chance, comme pour ces marins anglais qui les emportaient avec eux pour un lointain voyage.
Au Connemara elles étaient glissées sous le matelas pour faire fuir les mauvais esprits (Blake 1825). En Ecosse plongées dans l’eau des auges pour les maladies du bétail (Wrench 1864). Au Pays de Galles portées sur soi en pendentif. Au nord de la Norvège on les utilise pour soigner le bétail (Gunnerus 1765) et en Irlande contre la stérilité (Colgan 1919) (6).
Les graines les plus répertoriées pour ces usages sont Entada gigas, Caesalpinia sp., Merremia discoidesperma, Mucuna sp. et Dioclea reflexa. Une des plus sacrées est la 'Mary’s bean' Merremia discoidesperma, haricot de la vierge Marie ou fruit de la crucifixion. En effet, c’est une drift-seed qui double son pouvoir par la présence d’un sillon qui partage la graine en quatre, en croix. Aux Hébrides, elle fut transmise de mère en fille pour aider aux accouchements.
Ci-contre, dessin par Wendy Walsh de 'Mary'bean'. In 'Sea bean and nickar nuts'du Dr E. Ch. Nelson.
En 1838, Charles Martins ramasse à Kielvig au pied du cap Nord (71°10’nord et 23°30’ouest), une graine de Mimosa scandens (Entada gigas), et précise "les Lapons en trouvent souvent et leur attribuent des propriétés médicinales merveilleuses" (4).
Dans Sébillot on relève "Plusieurs plantes, en raison de leur rareté, de certaines circonstances, ou de leur espèce, sont placées dans la maison ou portées par les individus qui leur attribuent des vertus talismaniques (...). Chez presque tous les marins longs-courriers de Tréguier (Côte d’Armor) on voit appendu au mur, près de la statue de la Vierge et du rameau de laurier et du buis, une sorte de goémon en forme d’arbuste, sec et noir, qui a la consistance et la dureté du bois de fer. Il a une sorte de fruit marron à bord noir de forme plate et ronde, gros comme une pièce de cinq francs. Cette plante marine n’est pas indigène mais très commune en Basse-Bretagne où on la nomme 'arbre de Sainte-Barbe' et ses fruits 'galets ou pierres de Sainte-Barbe'. Elle orne les chapelets des dévotes et on lui attribue la vertu de protéger la maison du tonnerre."
A l’évocation par Sébillot de ce goémon m’est venue à l’esprit une gorgone (antillaise) trouvée sèche et noire sur une plage. Elle a cet aspect dur mais non minéral et la forme arbustive. Elle a peut-être donc été associée par erreur à ce qui me semble correspondre à une Mucuna.
"On trouve aussi à Locmariaker (Morbihan) une graine exotique appelée 'Kistin spagn', châtaigne d’Espagne, que les paysannes percent et suspendent en guise d’amulette avec leur clefs ou leurs ciseaux" (9 ; 10). A cette évocation on pense à Dioclea reflexa, à cause de sa couleur et forme.
De même quand je lis, toujours dans Sébillot "Jadis à Plouezec, près Paimpol, le recteur bénissait des cailloux blancs qu’on trouve sur l’une des grèves de cette commune et les marins du pays les mettaient dans de petits sachets de toile. Ils étaient persuadés qu’en les portant sur leur poitrine, ils ne pouvaient se noyer" (11) j’ai un doute sur la minéralité de ces cailloux blancs. Ils m'évoquent les graines de Caesalpinia blanches, lesquelles d'ailleurs étaient les plus recherchées en Ecosse.
Les drift-seeds appartenaient à ces réalités sur lesquelles reposaient les légendes et croyances autour de terres et d’îles inconnues, comme Saint-Brendan dans l’histoire d’Irlande.

Mais sortons des brumes

Une des premières mentions des drift-seeds dans la littérature est celle de Mathias de l’Obel et Pierre Pena, de l’université de Montpellier. Lors de leur passage en Angleterre, Lady Catherine Killigrew, personne éclairée, leur donne de ces graines. En 1569, ils publièrent "Stirpium adversaria nova" où elles sont évoquées comme venant du Nouveau Monde amenées par des vents favorables.
En 1676 Lucas Debes, ecclésiastique danois, les nota aux îles Faeroe, il signale déjà que ce sont des graines et qu’elles viennent probablement des West Indies. A cette époque quelques naturalistes commencent à donner des interprétations sur leur présence. Parmi les plus notables le Dr Hans Sloane, irlandais (fin XVIIe/début XVIIIe), ainsi que d’autres naturalistes norvégiens et danois, jusqu’à l'important travail de l’Anglais Henry B. Guppy (1917). Et récemment Gunn & Denis (E.U) et Charles Nelson (G.B).
Pour la France, peu de mentions dans les bibliographies. Pourtant les naturalistes, au-moins jusqu’aux années soixante, n’auraient pas manqué de noter ce type de rencontre. En avril 1968 à Porspoder (Finistère) Dizerbo recueille une graine de Dioclea reflexa parmi les goémons d’épave, qu’il cite comme "assez rarement récoltée dans les Orcades et les Shetlands" et raconte un échouage d’Attalea sp. (2).
Il est possible qu'aujourd'hui les données soient faussées par l’intérêt variable que portent les naturalistes de différents pays aux diverses disciplines, plus encore lorsque nous abordons l’anecdotique. J'ai recueilli peu de données après un rapide sondage auprès d'associations et de botanistes de Bretagne et des contrées avoisinantes : Entada gigas en mars 2000 parmi les galets de Port Goulphard à Belle-Île (anonyme, cité par Cyrille Blond) et sur l'Ile de Groix (C. Robert et F. Lecornu). D’autre part j’ai constaté une moindre présence dans le folklore (notamment dans les écrits de Sébillot), toujours en comparant avec les pays d'Europe du nord-ouest.
Les courants ne seraient-ils pas plus favorables Ă  nos amis dÂ’outre-Manche ?
Ci-contre carte extraite de 'Sea bean and nickar nuts' du Dr E. Ch. Nelson.
Ce qui me semble confirmé par M. Verdière (12) qui répondait à mon interrogation.
"En quittant la côte américaine, le Gulf Stream devient instable : il perd son individualité de courant bien identifié et devient la dérive Nord-Atlantique un ensemble de filaments et de tourbillons orientés vers le nord-est en moyenne. Ces eaux passent effectivement au nord de l'Ecosse et alimentent la mer de Norvège. Les dérives de graines semblent en accord avec ce schéma." (passant plus vers les îles britanniques que vers la Bretagne-ndlr).
En Cornouailles et en Irlande, des recherches menées dans un bon site au bon moment par des 'beachcombers' motivés ont donné de bonnes récoltes, des dizaines de graines trouvées dans la journée avec quelques espèces représentées, notamment Caesalpinia, Entada, Mucuna (6) .

Invasion US

Parmi les graines trouvées sur nos côtes, celle de la gesse maritime Lathyrus japonicus ssp. maritimus. Cette plante est notée comme indigène en Europe de l'ouest et du nord, en Amérique du nord (Canada, New Jersey…) et en Sibérie. Les pieds adultes sont rares sur les côtes d’Irlande et de Grande-Bretagne (Rendall 1997, Brightmore & White 1963, Minchin & Minchin 1996). Les graines jetées sur les côtes de Cornouailles et des Hébrides étant plus fréquentes. Une provenance issue des populations septentrionales et plus riches des côtes de la mer du Nord serait à exclure. Diaspores et individus adultes auraient donc comme origine l'Amérique (Minchin & Minchin ; Nelson (6) ; Nelson 1986, Walsh & Nelson 1987)
En France, cette plante des levées de galets et de graviers littoraux est cotée au Livre rouge de la flore menacée 'en danger'. D'autre part notée comme "très rare, en limite méridionale de son aire mondiale. Trouvée en 1994 dans le Finistère à Landéda (six individus) et en 1996 à Ploumoguer (un individu)" (13). Fut anciennement signalée dans la Somme, elle n'y a pas été revue depuis 1958.
Le 'pois des mers', manifestement disséminé par l'eau, qui apparaît là où l'on ne le connaissait point et qui disparaît sans trop se reproduire, m'apparaît également comme une drift-seed américaine qui n'arriverait pas à s'installer, et dont la faible population serait renouvelée de loin en loin. Les grands-bretons bénéficiant d'un arrivage plus important, comme vu par ailleurs. Il y a aussi beaucoup de chance que les populations de la mer du Nord soient issues elles aussi de graines voyageuses qui ont trouvé là un jour un site accueillant.
NB : Cette graine flotte longtemps et ne germe qu'après scarification.

Pour en trouver

Sans nickar-nuts au fond de la poche la chance ne vous sourira peut-être pas. Faites-vous aider : certains sites sont plus favorables comme ceux exposés aux vents d’ouest/sud-ouest et où l’on prend bien la brise. Les différents substrats vous favoriseront plus ou moins la tâche. En tout état de cause une plage bien propre sans laisses de marée mais pleine de vacanciers n’est pas un bon présage. La période : après de bonnes tempêtes ou des périodes de bons vents d’ouest.
Sinon, certaines de ces graines se laissent acheter dans des jardineries -jÂ’y ai reconnu Entada gigas et Dioclea reflexa, ci-contre.
Le risque d’être trompé existe : porte-bonheur acheté puis jeté car ne donnant pas satisfaction, blague de naturaliste en Bretagne, restes de fruits tropicaux abandonnés par des pique-niqueurs facétieux, etc. Il faut se méfier.
Illustration : En 1855, des négociants importent d’Alexandrie à Marseille la 'casse des boutiques' ou 'canefice', Cassia fistula, dont ils ne gardent pas les gousses qu’ils appellent les 'sonnettes' (gousses ne contenant plus de pulpe et ne présentant plus d’intérêt comme purgatif). Le navire les ré-embarque et les jette à la mer en sortant du port de Marseille. Ces gousses suivent tranquillement les courants et arrivent sur la plage de Maguelonne, près de Montpellier, où M. Touchy, conservateur des collections du jardin des plantes de Montpellier et herborisant sans doute en ce lieu, les trouve et les rapporte à Charles Martins. Martins qui les fait germer avec succès et s’interroge sur leur présence (qu’il éclaircit rapidement) (5). Ces mêmes gousses furent trouvées en Norvège fin XVIIIe, avec sans doute une explication similaire.
Autre histoire que celle des graines d’Attalea sp. (palmier du Brésil) trouvées aux sables blancs à Concarneau (Finistère) où elles avaient échoué en masse en 1963 (Bouxin) (2). C’était une graine commercialisée pour divers usages, non viable après un séjour dans l’eau (Ch. Nelson). Cet échouage en masse est assez étonnant et provenait certainement d’une cargaison.

Bonnes recherches. Si vous faites des rencontres intéressantes, déterminées ou pas, envoyez photo avec CV au Dr E. Ch. Nelson à Wisbech (G.B.), qui les répertorie pour l’Europe, tippitiwitchet@zetnet.co.uk.
Vous pouvez essayer de les faire germer mais… En 1922, le Dr Guppy conseille de ne pas semer une Entada, because “You would require a glass-house like those at Kew to grow it in”.

Haricots de la mer les plus courants en Europe du nord-ouest

Caesalpinia bonduc (Fabaceae).
Arbrisseau avec gousse à 2 graines gris pale, parfois jaunâtres, souvent marquées de lignes concentriques, de 2cm de diamètre. Viable. Doit être plus fréquente mais sous-estimée car passe inaperçue. D'Amérique tropicale. Découverte en : Irlande, Cornouailles aux Shetlands, Orcades, Scandinavie, Faeroe, Açores, Bretagne.
Cocos nucifera (Arecaceae).
Non viable en Europe (?). Assez rare. D'Amérique tropicale. Découverte en Irlande, Grande-Bretagne, Jersey, Hollande, Faeroe, Norvège, Bretagne.
Dioclea reflexa (Fabaceae).
Liane avec gousse à 1/3graines de 2.5/3.5cm de diamètre. Viable. Assez commune. D' Amérique tropicale. Découverte en Grande-Bretagne, Bretagne, Irlande, Faeroe, Hollande, Norvège, Madère, Orcades, Shetlands.
Entada gigas (Fabaceae).
Liane de 100m ou plus : 'L'escalera de mono'. Gousse de 1/2m à 10/15 graines de 4/7cm. Viable. La plus répertoriée car la plus visible, attirante. Celle en forme de coeur étant la 'sea heart'. D' Amérique tropicale. Découverte en Grande-Bretagne, Bretagne, Irlande, Faeroe, Hollande, Norvège, Madère, îles anglo-normandes, Danemark, Islande, Açores, Nouvelle-Zemble, Belgique, Groenland.
Merremia discoidesperma "morning-glory family" ( Convolvulaceae ).
Grande liane. Ses graines sont connus des îles Marshall (Micronésie) à la Norvège. Viable. Plus rare. D' Amérique centrale, Caraïbes. Découverte en Irlande, Grande-Bretagne, Norvège
Mucuna sloanei (Fabaceae).
Liane. Graine de 2.5cm surnommée 'ojo de buey', oeil de boeuf, en Amérique centrale ou 'hamburger seed' aux USA pour la large bande brune ornant la tranche (=le hile). Viable. Assez commune. D' Amérique tropicale. Découverte en Irlande, Grande-Bretagne, Faeroe, Islande, Norvège, Madère, Scandinavie, Hébrides.

Autres drift-seeds, plus rares à très rares -parfois une seule ancienne donnée connue-
Acrocomia sp. , Astrocaryum spp. (Arecaceae), Barringtonia speciosa (Lecythedaceae), Caesalpinia sp. (Fabaceae), Calocarpum mammosum (Sapotaceae), Calophyllum sp. (Clusiaceae), Canavalia maritima (Fabaceae), Carapa sp. (Meliaceae), Carya aquatica, Carya illinoensis (Juglandaceae), Caryocar villosum (Caryocaceae), Erythrina sp. (Fabaceae), Hernandia sonora (Hernandiaceae), Ipomoea alba, I. pes-caprae, Operculina sp. (Convolvulaceae), Crescentia cujete (Cucurbitaceae), Lathyrus japonicus sp. maritimus (Fabaceae), Manicaria saccifera "le sea-coconut" - non viable - (Arecaceae), Mucuna sp. (Fabaceae), Sacoglottis amazonica "la gousse grenade" (Humiriaceae), Terminalia catappa (Combretaceae)
…Et pourquoi vous ne risquez pas de trouver et de faire germer le 'coco de mer' familièrement 'coco-fesse' pour les touristes. Lodoicea maldivica, surnommé le 'coco de mer' car longtemps connu uniquement par ses énormes graines apportées par la mer sur les côtes des Maldives et de la péninsule indienne. En 1743, on découvre qu’il s’agit d’une endémique des îles de Praslin et Curieuse aux Seychelles, et qu’en fait c'est une plante de l’intérieur des terres (5). Plus dense que le Cocos nucifera, le coco de mer a sa ligne de flottaison trop basse et l’eau pénétrant dans la graine, elle arrive morte sur les côtes étrangères.

Bibliographie

Peu d'écrits en France sur ce sujet, mais la littérature des pays du nord-ouest de l’Europe et des Etats-Unis est plus fournie.
(1) Bouvier René - Les migrations végétales - 1946 : pour l'anecdote.
(2) Dizerbo A.-H. - Echouage de végétaux sur nos côtes, Penn ar bed - 1970
(3) Gunn Charles R. & Dennis J.V. - World guide to tropical drift seeds and fruits - E.U., 1999 : complet sur le sujet.
(4) Martins Charles - Société botanique de France T. III , IV - 1858/57
(-) Merrien Jean - Le légendaire de la mer - 1994 : légendes et autres histoires.
(5) Murray David R. - Seed Dispersal - 1986 : sur les dispersions.
(6) Nelson Charles E. Dr. - Sea bean and nickar nuts* – G.B., 2000 : complet et intéressant pour l’Europe du nord-ouest.
  • Nickar nuts* est le surnom de Caesalpinia bonduc (nickar : 'bille' en hollandais).

(7) Handbook of industrial crops V. L. Chopra,K. V. Peter - 2005 - aperçu sur : http://linkii.net/el1 ou bien, Cocos nucifera. Parrota John A. - 1993 - http://www.fs.fed.us/global/iitf/Cocosnucifera.pdf
(8) Ridley Henry. N. - Dispersal of plants throughtout the world - Très documenté mais de 1930.
(9) Sébillot Paul - La flore - 1904 : Sébillot a recensé pendant des années des contes et traditions, surtout en Bretagne.
(10) SĂ©billot Paul - le folklore des pĂŞcheurs - 1901
(11) Sebillot Paul - LĂ©gendes, croyances et superstitions de la mer - 1886
(12) De Verdière Alain Colin - Laboratoire de Physique des Océans, Brest : communication personnelle.
(13) La flore bretonne. CBN de Brest - 1999
(14) http://www.coconutpalm.info : programme de suivi de noix de coco par satellite
(15) http://linkii.net/el3 : gulf stream sur le site du CNES
(-) http://www.seabean.com : en Floride s'Ă©panouit une association 'les beachcombers' (rattisseurs de plage), dont le hobby consiste Ă  chercher des drift-seeds, et beaucoup d'autres infos sur le sujet.
(16) http://waynesword.palomar.edu/pldec398.htm (USA) : idem.
(17) Harries H.C. Biogeography of the coconut. http://www.palms.org/principes/1992/vol36n3p155-162.pdf