Insectes et pelouses sèches.

Comment gérer les pelouses sèches oligotrophes

pour favoriser lÂ’entomofaune ?
Voir le message synthétique de Pascal DUPONT (23 mai 2002)
(mettre ici un lien conduisant Ă  ce message)

Il est question aussi dans cette synthèse :
- des retombées atmosphériques azotées qui font évoluer les milieux vers l’eutrophie : voir le message de Pierre RASMONT du 19 mai 2002 (mettre un lien ici conduisant à ce message)
- des pelouses sèches et friches calcaires du nord de la France et des bouleversements des milieux naturels provoqués dans cette région par la première guerre mondiale (avec l’exemple des environs de Suippes) : voir les échanges du 21 mai 2002 entre Pierre RASMONT et Gennaro COPPA (mettre un lien conduisant au premier message du 21 mai de Pierre RASMONT).

Messages rassemblés par Br. CORNIER
Corrections Fabien MALAIS et René DELPECH
Date : FĂ©vrier 2003

Synthèse réalisée à partir des échanges ayant eu lieu sur insectes-uef, forum destiné aux entomologistes francophones, entre le 10 et le 23 mai 2002.

NB : le lien Ă  mettre pour "insectes-uef" est : http://fr.groups.yahoo.com/group/insecte-uef/
De la même manière que pour "tela-botanicae" c’est : http://fr.groups.yahoo.com/group/tela-botanicae/

Ont contribué à ces échanges : Gennaro COPPA, Laurent CHABROL, Pascal DUPONT, Olivier DURAND, Eddy LOUBRY et Pierre RASMONT



Olivier DURAND, 10 mai 2002 :

Je suis actuellement en stage de fin d'études et j'ai comme (vaste) sujet l'étude des insectes au niveau de coteaux secs dans les Mauges (près de Saint Florent-le-Vieil, dans le Maine et Loire...)

En conséquent, je recherche des documents traitant de la gestion de tels milieux prenant en compte la protection des insectes (principalement lépidoptères).
Des références de documents sur la gestion d'autres milieux seraient les bienvenues !

Existe t-il également des études traitant de la relation entre le surpâturage et les populations de coléoptères ? (ou plus généralement de la relation entre le pâturage et l'entomofaune.)

Merci de vos réponses pour un débutant !



Eddy LOUBRY, 16 mai 2002 :

Par coteaux secs entends-tu coteaux calcaires ?



Eddy LOUBRY, 17 mai 2002 :

J'ai fait deux études entomologiques sur les coteaux calcaires : une pour tester les méthodes de piégeages, l'autre pour tenter de faire un lien entre végétation et insecte à l'aide de pièges à émergence. C'est un milieu particulier, où il y a une grande concentration d'orchidées. L'étude n'a rien dévoilé de particulier, mais pour ça il aurait été nécessaire de pérenniser l'étude.
En ce qui concerne la gestion, 2 possibilités :
- fauchage 2 fois par an, avec récupération du foin,
- ou pâturage extensif avec ovins mais nécessitant un retrait quotidien des moutons pour la nuit.
Les deux méthodes ont pour but d'exporter de la matière afin qu'il n'y ait pas un enrichissement du sol. Car c'est la pauvreté du sol qui confère à ces milieux une richesse floristique particulière. Mais ce qui est valable pour les coteaux calcaires, ne l'est peut-être pas pour les coteaux secs. Peux-tu me faire une liste de la flore des coteaux secs (espèces particulières bien entendu) ?



Laurent CHABROL, 17 mai 2002 :

"En ce qui concerne la gestion, 2 possibilités :
fauchage 2 fois par an, avec récupération du foin"

Attention à la période de fauche, car de nombreux insectes se nourrissent dans la végétation basse, se reproduisent, et passent l'hiver. Il y a du monde toute l'année même si on ne les voit pas et les stades critiques, sensibles à la fauche, (oeufs, larves, nymphes : impossibilité de fuite pour se réfugier ailleurs) sont ceux qui dominent largement au cours d'une vie d'insecte. La période de fauche doit donc prendre en compte non seulement la flore remarquable mais aussi les insectes les plus sensibles. Bien sûr les connaissances les plus nombreuses concernent les papillons et les orthoptères mais je suis sûr que par ignorance le calendrier de fauche prévu pour préserver des papillons ne conviendrait pas pour des hémiptères, des araignées etc. Donc de la prudence, si l'on envisage une gestion pour la préservation des papillons, il faut bien le préciser et surtout ne pas généraliser aux insectes.

Pour avoir une expérience dans le domaine de la gestion des coteaux xérophiles, il faut se renseigner auprès de la Réserve Naturelle du ravin de Valbois qui a mis en place un suivi "floristique/entomologique" depuis 1992 en liaison avec l'Université de Besançon voir M. Dominique Langlois, maison de la famille, 121 rue de la famille, 25000 Besançon (03-81-80-22-74).



Eddy LOUBRY, 18 mai 2002 :

"Attention à la période de fauche, car de nombreux insectes se nourrissent dans la végétation basse, se reproduisent, et passent l'hiver. Il y a du monde toute l'année même si on ne les voit pas et les stades critiques, sensibles à la fauche, (oeufs, larves, nymphes : impossibilité de fuite pour se réfugier ailleurs) sont ceux qui dominent largement au cours d'une vie d'insecte. La période de fauche doit donc prendre en compte non seulement la flore remarquable mais aussi les insectes les plus sensibles."

Le pâturage extensif est la meilleure solution mais trop contraignante pour les organismes de gestion. Ils préfèrent opter pour la fauche. Dans mon cas, le site est pâturé mais par des vaches et durant 6 mois si mes souvenirs sont bons. Donc pour l'exportation de matière c'est raté. Si je devais préconiser la fauche, ce qui ne risque pas d'arriver, j'opterais pour une fauche en plusieurs temps, et tout en laissant des zones tampon intactes, pour permettre à l'entomofaune de pouvoir "migrer" et se réfugier. Et pour l'époque, tout dépend des conditions climatiques et floristiques.
P.S : j'accepte toutes critiques et remarques, cela permet de s'enrichir.



Pierre RASMONT, 19 mai 2002 :

Ce problème de l'entretien des pelouses sèches (calcaires ou siliceuses) est abominable. La règle de base est la suivante : plus c'est oligotrophe plus c'est diversifié. Pourquoi ?

Pour une raison simple : dans un environnent vraiment naturel, un facteur biogéochimique le plus limitant (en dehors des régions arides) c'est l'azote (le phosphore aussi mais il suffit alors d'un fifrelin pour combler le manque).

Par conséquent, la plupart des espèces végétales sont surtout adaptées à des milieux pauvres en azote. Elles utilisent des voies tortueuses et coûteuses en énergie pour extraire la moindre trace d'azote de leur milieu. Un bon exemple est donné par le système symbiotique des légumineuses.

Il existe des espèces nitrophiles mais en petit nombre. Ce sont des espèces qui se sont spécialisées pour vivre aux environs des lieux de repos des animaux. Elles n'ont pas besoin d’être très efficaces pour pomper l'azote car elles vivent là où celui-ci est en excès. Par contre, toutes ont pour absolue nécessité de pousser vite et de résister aux herbivores puisqu'elles vivent au milieu de brouteurs. Quelques exemples de nitrophiles : ortie, Fromental, Dactyle, Chardon-Marie, Harmala (Afrique du Nord), etc.

Lorsque le milieu est enrichi en azote, ces plantes à croissance rapide et résistantes aux herbivores envahissent rapidement et "écrasent" toutes les oligotrophes. Il s'ensuit l'installation d'une flore luxuriante mais très pauvre en espèces.

Le problème de nos régions est qu'une énorme quantité d'azote est introduit dans les écosystèmes par les pratiques agricoles. Les engrais azotés sont fabriqués par la synthèse de Fritz Haber-Boch, mise au point jadis pour permettre à l'Allemagne de continuer à fabriquer les explosifs durant la Grande Guerre, malgré le blocus des alliés. Les engrais azotés sont à l'origine des explosifs ( AZT à Toulouse est un bon exemple, maintenant tristement célèbre).

Cet azote ajouté à profusion dans nos écosystèmes finit soit dans le milieu aquatique (NO2, NO3), soit dans l'atmosphère, sous forme de NH3 ou NxO ; ce dernier est un responsable majeur des anomalies de l'effet de serre). Le NH3 est très soluble : il s'inclut dans la moindre petite pluie et retombe ainsi un peu plus loin.

Bref. Voici les chiffres qui concernent la fixation naturelle d'azote :

Nitrogen fixation factor         contribution
Atmospheric fallout               5-10 kg / ha
Soil micro-organisms             10-20 kg /
Leguminous fixation              10ha100-400 kg / ha


Voici les chiffres qui concernent les retombées atmosphériques réelles de l'Union Européenne:

Nitrogen atmospheric contribution         fallout
Natural                                           5 kg / ha
present European mean                     35 kg / ha
most intensive agricultural landscapes  80 kg / ha
extreme peaks                                 200 kg / ha



Ces chiffres proviennent du Laboratoire d'Ecologie des Prairies de l'UCL.

Comme vous le constatez, les retombées actuelles correspondent à une charge énorme. Les paysages agricoles et surtout les régions d'élevage (Belgique, Pays-Bas, Bretagne) reçoivent des doses gigantesques par les seules retombées atmosphériques.

VoilĂ  pourquoi il est si difficile de maintenir les biotopes oligotrophes

VoilĂ  aussi pourquoi l'exportation d'azote est indispensable.

Comment faire ?

Le moyen le plus naturel est le pâturage par ruminants. En effet, du fait de leur système de fermentation, ceux-ci participent à l'exportation d'une part importante de l'azote sous forme d'ammoniaque ou de N2O (dans leurs bouses et leurs rôts).

L'autre moyen est la fauche dont il est question dans les présents messages.

Toutefois, les effets sur la flore sont différents. On constate que le pâturage exerce une pression sélective sur la flore qui favorise fortement beaucoup de dicotylées très favorables à l'entomofaune floricole, par exemple, les chardons et les aconits, bref les "refus".
Ce nÂ’est pas le cas de la fauche.
En cas de fauche, l'exportation est quasiment indispensable. Je dis quasiment car il existe d'autres solutions. Les RNOB en Belgique ont fait de nombreux essais pour l'élimination de déchets ligneux. 1) laisser en place 2) brûler 3) broyer et laisser en tas 4) exporter (et payer la taxe sur les déchets !) Le pire est de laisser en place. Ainsi, on peut constater facilement que les branchages de peuplier ou de saules, laissés à terre, entraînent un formidable recrus d'orties et de ronces (nitrophiles !). Brûler est possible mais pose de nombreux problèmes de sécurité. Exporter est difficile et cher. Le broyage sur place et le maintient en place des tas de broyat résulte en un très faible enrichissement en azote, curieusement. C'est donc cette méthode qui est la meilleure.

  • En rĂ©sumĂ© :

  1. la flore oligotrophe est beaucoup plus diversifiée que l'eutrophe,
  2. en absence d'exportation, du fait des retombées atmosphériques, la végétation évolue vers l'eutrophie,
  3. pour maintenir l'oligotrophie des milieux il est indispensable d'exporter,
  4. le pâturage par ruminants permet une exportation atmosphérique notable et encourage les espèces végétales les plus favorables à l'entomofaune,
  5. la fauche permet le même résultat mais déprime les espèces végétales les plus favorables à l'entomofaune,
  6. la meilleure technique de destruction des coupes de ligneux est le broyage avec le maintient en place des tas de broyat.



Gennaro COPPA, 20 mai 2002 :

"Comme vous le constatez, les retombées actuelles correspondent à une charge énorme. Les paysages agricoles et surtout les régions d'élevage (Belgique, Pays-Bas, Bretagne) reçoivent des doses gigantesques par les seules retombées atmosphériques."
Et la gestion des pelouses s'apparente de plus en plus au mythe de Sisyphe.

"Comment faire ?"

La question qui me taraudait jadis, est : par quel processus certaines chenilles consommatrices de graminées diverses (d'après la biblio) ont disparu (au moins dans la moitié Nord de la France) alors que justement ces graminées sont communes.
Des modifications des caractéristiques chimiques de ces plantes ne seraient t-elles pas en cause ? Justement sous l'effet des pluies hyper-azotées largement réparties par les vents (sans compter que NOx est un précurseur d'acidité dans certains terrains à pouvoir tampon faible (Ardenne cambrienne par exemple) et là c'est l'entomofaune aquatique qui paye clairement les pots (d’échappements).



Pierre RASMONT, 21 mai 2002

En ce qui concerne les pelouses sèches et friches calcaires du nord de la France, un facteur échappe à la plupart des observateurs.

Durant la Grande Guerre, 1.200.000 ha (vous avez bien lu : un million deux-cents mille ha) de terre ont été complètement retournés sur une épaisseur de un à plusieurs mètres. Les allemands, durant leur retraite de 1918 ont détruit systématiquement tous les arbres depuis Compiègne jusqu'à la frontière belge.

Il y a donc alors eu création d'un espace gigantesque propice aux espèces recolonisatrices de pelouses calcaires.

Au début des années 1960, je me souviens encore de ces paysages complètement désolés et immenses qui subsistaient aux environs de Suippes, au nord de Châlon-sur-Marne. Ils étaient alors couverts d'un recru de bouleaux d'une vingtaine de centimètres de diamètre. Depuis lors, ces zones ont toutes été déminées et remises en culture. C'est bien.

Une telle superficie de milieu disponible a certainement dû influencer le destin des espèces de pelouses sèches calcaires. A titre indicatif, cela représente la surface de plus d'un tiers de la Belgique, environ 1/40ème de la surface totale de la France.

Il se pourrait que, simplement, la disparition progressive de ces étendues détruites (jusqu'à la fin des années 1960) modifie considérablement les effectifs des espèces d'insectes inféodées à ce genre de milieux.



Gennaro COPPA, 21 mai 2002

"Depuis lors, ces zones ont toutes été déminées et remises en culture. C'est bien."

C'est un point de vue.

A l'occasion, vous pouvez aussi consulter un petit livre, écrit par un professeur d'histoire-géographie résidant en Champagne, consacré à l'histoire de la Champagne-Crayeuse :
  • Guy FEQUANT : 1986 : Le ciel des Bergers.
Editions la Manufacture, Lyon, 223 pages.
I.S.B.N. 2-904638-39.3
Ou une note écrite dans une revue d'histoire et géographie régionale relative au département des Ardennes.
  • Guy FEQUANT 1984 : Le savart en Champagne Crayeuse. (1)
Esquisse d'une histoire Ă©cologique. Terres Ardennaises N 5, 42-50.

En fait l'auteur y montre que la constitution des vastes zones herbeuses sèches de la Champagne crayeuse est le produit de l'activité incessante et fluctuante de l'homme, et cela depuis le néolithique. Les espaces herbagers secs (le savart ou pelouse) régressant au profit des ligneux lors des épidémies de peste... de pénurie alimentaire (invasion de rongeurs !)... par exemple... ou lors des vastes programmes de plantations de résineux du 19ème siècle. Ces immenses plantations étaient censées valoriser une région qui était économiquement plus que chancelante en raison de la restructuration des industries lainières (filatures des Ardennes, Sedan; de l'Aube Troyes, ...). Sans ces débouchés industriels, l'élevage des moutons n'avait plus de raison d'exister, ... et les bergers pouvaient raccrocher définitivement leur houlette et passer dans le folklore. La présence de la grande Outarde, disparue de Champagne Crayeuse (dernière dans le Sud des Ardennes vers 1915), il y a pas bien longtemps tout compte fait, serait une des conséquences des défrichements néolithiques... et des moutons de la Champagne Crayeuse.

"Une telle superficie de milieu disponible a certainement dû influencer le destin des espèces de pelouses sèches calcaires. A titre indicatif, cela représente la surface de plus d'un tiers de la Belgique, environ 1/40ème de la surface totale de la France."

Sans doute que cela influence le destin de la Belgique, et encore un peu aujourd'hui pour certains insectes à plus grande capacité de déplacement (par exemple pour Arethusana arethusa trouvé en Belgique du côté du Viroin je crois et archi-abondant sur le camp militaire de Suippes). Mais il me semble très probable que la constitution des pelouses du Nord de la France soit bien antérieure à la première guerre mondiale. N'oublions pas aussi que la disparition, lors de cette guerre, de toute une classe de population humaine, et la concomitance du modernisme, ont laissé encore un peu de répit aux derniers espaces herbagers secs, faute de main d’œuvre agricole... Vos souvenirs des années soixante ne pourraient être alors que la vision de la fin d'une longue histoire... et comme l'écrit Guy Féquant "La Champagne pouilleuse s'accrochait à son pastoralisme comme à un dernier rêve préhistorique".

N'oublions pas non plus qu'avant l'avènement de l'agrochimie, une des grandes préoccupations des agriculteurs était de trouver de la matière azotée. Les cultures étaient directement dépendantes du nombre de bêtes d'élevage et de la production de fumier (voir par exemple "Vieilles lunes ?" par Pierre Morlon dans Courriers de l'environnement de l'INRA n° 33 1998 : 45-60.)
Ceci me fait penser que nos chères bestioles thermophiles qui habitent notre inconscient avaient sans doute leur chance dans bien des milieux commun de l'époque, puisque souvent pauvres en nutriments. Je pense même que la biodiversité était plus grande au fur et à mesure que l'on s'éloignait des villages, ... et oui, le fumier il fallait le transporter, et se sont donc les terres les plus proches des étables qui en bénéficiaient le plus.

"Il se pourrait que, simplement, la disparition progressive de ces étendues détruites (jusqu'à la fin des années 1960) modifie considérablement les effectifs des espèces d'insectes inféodées à ce genre de milieux."

Je partage ce point de vue.

Mais on est frappé de voir la chute brutale de diversité entomologique des pelouses dès que l'on s'éloigne un tout petit peu du camp militaire de Suippes par exemple. Les nuits chaudes d'été du camp militaire de Suippes ont une étrange saveur de méridionalité (des dizaines de milliers d'Oecanthus pelluscens, des Ephippiger tout plein y compris sur les formations humides des bords de ruisseaux !, sans parler des papillons nocturnes venant à la lampe.)
La rupture de la faune aquatique entre le camp de Suippes et les zones agricoles est extraordinaire.
Cela mériterait d'être étudié sérieusement, en tenant compte (si on le peut) des tonnes de biocides qui sont déversés; c'est une autre guerre, et permanente celle-là.
Et paradoxe, ce sont les camps militaires qui mettent sans doute le mieux en évidence ce phénomène de "décadence écologique".

(1) Ă  propos de lÂ’histoire des pelouses de Champagne, on peut lire aussi cette excellente monographie :
LAURENT, J., 1921. Etudes sur la flore et la végétation de la Champagne crayeuse. Tome 1 : la végétation de la Champagne crayeuse. Paris, 335 p.
(Note bibliographique ajoutée par René DELPECH lors de la relecture de cette synthèse)



Pierre RASMONT, 21 mai 2002

Précisément, en ce qui concerne le camp de Suippe, lorsqu'on est à ce monument pyramidal (la ferme xxx, dont j'ai oublié le nom), lorsque j'étais gamin, il y avait à l'ouest de la route, jusqu'à perte de vue, ces friches à trous de bombes, avec des bouleaux rabougris.

De ce fait, je présume que la richesse faunistique du camp actuel (de l'autre côté de la route et beaucoup plus petit), s'étendait alors à tout ce paysage.

Il est certain que les pelouses calcaires de la Champagne ont été établies dès le néolithique. Probablement pas seulement du fait de l'activité humaine, d'ailleurs, car la faune d'herbivore pouvait atteindre des proportions considérables, en dehors de toute présence humaine.

Par contre, le retournement démentiel de la Grande Guerre a fortement favorisé les écosystèmes pionniers, riches en légumineuses mais aussi en quantité d'autres taxons. Ainsi, LANDWEHR indique que les tranchées de Verdun ont fait l'objet, dans les années qui ont suivi la guerre, d'une poussée fantastique d'Ophrys. Or les Ophrys ne peuvent se multiplier qu'en présence de leurs pollinisateurs Apoidea dont la plupart sont dépendants quasi-totalement des légumineuses.

Par ailleurs, l'abandon forcé des campagnes durant de longues décennies de lente reconstruction (je me souviens de l'église d'Arcis-sur-Aube encore en ruine en 1970 !), a forcément donné une tranquillité toute provisoire mais totale à de vastes étendues.

Je n'ai aucune nostalgie pour cette époque que je trouve une des pires abominations qui se soit produites sur le sol de la France. Simplement, j'ai l'impression (mes statistiques d'abondance d'espèces vont dans ce sens) que durant quelques décennies, le destin des espèces inféodées aux milieux pionniers calcaires a été changé.

Un autre problème parallèle a été la décennie 1940 qui a été exceptionnellement chaude durant les étés. A ce moment, on a observé la petite cigale et la mante religieuse jusqu'à Bruxelles, soit 100 kilomètres plus au nord qu'à l'heure actuelle ! Le minimum glaciaire a d'ailleurs été enregistré en 1950 (et pas maintenant, contrairement à pas mal de discours de journaleux).

Ces vastes étendues ravagées juste à notre frontière commune plus ce petit optimum climatique, cela peut avoir pas mal enrichi temporairement l'entomofaune. Il ne faudrait donc pas exclure qu'une part des régressions d'espèces qu'on observe à l'heure actuelle provienne d'un retour à un "statu quo ante". Il reste que tout cela restera très probablement de la pure spéculation car précisément, personne ne s'est amusé à parcourir alors les vastes étendues ravagées de la Champagne, pleine de mines et d'obus encore actifs, à la recherche d'insectes !

Gardons ça en tête comme un songe étrange ! Une orchidée sous les barbelés...



Pascal DUPONT – 23 mai 2002
OPIE - Cidex 116-1286 Rue de Belledonne - 38920 Crolles

"Je suis actuellement en stage de fin d'études et j'ai comme (vaste) sujet l'étude des insectes au niveau de coteaux secs dans les Mauges (près de St florent-le-vieil, dans le Maine et Loire...). En conséquent, je recherche des documents traitant de la gestion de tels milieux prenant en compte la protection des insectes (principalement lépidoptères). Existe t-il également des études traitant de la relation entre le surpâturage et les populations de coléoptères ? (ou plus généralement de la relation entre le pâturage et l'entomofaune.)"


Il y a plusieurs éléments à savoir :

1°) Le facteur "historique de gestion" est important (comme l'ont montré différents intervenants). Il est important avant ou parallèlement à toute étude faunistique de recueillir des données sur :
  • l'Ă©volution de la structure du paysage (au sens Ă©cocomplexe) oĂą sont situĂ©es les parcelles Ă©tudiĂ©es en relation avec l'activitĂ© humaine.
  • la gestion passĂ©e (les vingt dernières annĂ©es, plus si on peut avoir l'information) des pelouses calcaires (pâturage, fauche, pression, date de fauche, etc.)
Ceci est très important. On recueille très souvent des informations très intéressantes. Entre parenthèses et pour philosopher un petit peu, il faut bien se rendre contre que la Biologie de la Conservation est indissociable de la Sociologie.

2°) Il n'y a pas de recette toute faite pour la gestion de milieux herbacées notamment parce que le facteur historique de gestion est trop important (chaque site est une particularité) et parce que les actions de gestion que vous allez entreprendre vont dépendre des priorités conservatoires sur vos sites, elles-mêmes définies par les inventaires. Bien sûr, il faut garder les milieux ouverts par la fauche, le pâturage extensif ou le brûlis dirigé dans certaines régions. Mais pour un gestionnaire il ne suffit pas de dire cela, il faut aussi dire comment on le fait (pression, période de rotation, ovins ou bovin, date de fauche, pâturage précoce ou tardif, etc. etc.). Autant dire tout de suite que l'on ne peut pas répondre à toute ces demandes car l'on a pas encore assez d'expériences sur le terrain.

3°) Il est important d'avoir une approche conservatoire à l'échelle du paysage car il faut tenir compte du fait qu'une grande partie des espèces (notamment les Lépidoptères) ont un fonctionnement des populations de type métapopulation (populations sub-divisées prises en sens large). L'approche sur une station précise sera très peu informative par rapport à une approche sur un complexe de stations à l'échelle du paysage.

4°) Les pelouses calcaires sont considérées avec raison comme des ensembles phytosociologiques riches en espèces d'insectes principalement pour deux raisons :
  • il existe une diversitĂ© spĂ©cifique importante en dicotylĂ©dones (plantes Ă  fleurs) notamment Fabaceae pour les LĂ©pidoptères.
  • elles constituent au sein du paysage des sites d'alimentation pour les adultes floricoles de nombreuses espèces dont le dĂ©veloppement larvaire s'effectue sur d'autres formations vĂ©gĂ©tales (haies, lisières forestières, ....). Elles ont donc un rĂ´le fonctionnel au sein de l'Ă©cocomplexe.

5°) La gestion de ces pelouses a été jusqu'à présent assurée par des agriculteurs. Si cela est encore le cas pour vos parcelles, je conseille de ne pas proposer d'emblée des opérations de gestion bouleversant des habitudes parfois pas si défavorables que cela ; notamment en ce qui concerne les dates de fauche. Il faut toujours prendre du recul. En effet, très souvent on observe des espèces très intéressantes sur un site, bien que la gestion actuelle ne semble pas favorable. Essayer de comprendre avant d'imposer.

Je vous conseille la démarche suivante :

- Etude historique.

- Cartographie des stations Ă  l'Ă©chelle du paysage (un plus indispensable pour l'analyse des inventaires de phytophages : Etude phytosociologique Ă  l'Ă©chelle des stations.)

- Choix des sites d'inventaires si l'on ne peut pas tout faire (choisir les parcelles de surfaces les plus importantes, sachant que l'on peut passer à coté d'une petite station où une espèce rare (après régression des populations) est en situation de refuge. Pour information, il est important de garder les données sous forme "un point d'échantillonnage sur une parcelle-une liste d'espèce."

- Choix des groupes d'espèces. Cela dépend bien sûr de vos compétences où des spécialistes avec lesquels vous êtes en contact. Je conseille cependant les groupes dont la biologie de la majorité des espèces est connue. Je rappelle que bien qu'il existe des groupes plus "faciles" que d'autres en ce qui concerne la détermination, il existe des difficultés dans tous les groupes. Par exemple, dans le Maine-et-Loire, le prélèvement et l'examen des genitalia pour les espèces de Lépidoptère du genre Mellicta est nécessaire si l'on veut s'assurer de la détermination.

- Définition des priorités de conservations. Dépends de l'inventaire. On peut axer la gestion conservatoire :
sur une espèces particulière (par exemple si vous retrouvez Chazara briseis (Lepidoptera, Nymphalidae) dans le Maine et Loire). Opérations de gestion orientées pour avoir des pelouses très rases (pression de pâturage élevé sur une période courte par exemple).
sur la conservation d'une diversité spécifique liée au pelouses calcaires. Opération de gestion orientée sur le maintien des milieux ouverts avec une diversité structurale si cela est possible. Dépends de la distribution des unités de pelouses calcaires à l'échelle du paysage.
Certaines stations peuvent avoir une faible diversité spécifique mais être situées à un endroit stratégique pour assurer la connectivité entre le complexe de pelouses.

- Proposer au gestionnaire (je dirais même imposer), un suivi des opérations de gestion afin de pouvoir évaluer la pertinence de ces opérations.

Voilà, j'espère vous avoir un peu aidé. Si vous voulez plus de renseignement sur les priorités de conservation liées aux pelouses calcaires pour les lépidoptères. Je suis à votre disposition.