Le “ Vernis du Japon ” : Ailanthus altissima (Mill.) Swingle, Simarubaceae ou bien Toxicodendron vernicifluum (Stocks) F.A.Barkley, Anacardiaceae ?
Taxinomie, histoire dÂ’une confusion, usages et localisation

Cette synthèse est le résultat des échanges ayant pris place sur la liste Tela-Botanicae (tela-botanicae@yahoogroupes.fr), réseau des botanistes francophones du 19 décembre 2001 au 27 juillet 2002.
Ces échanges ont été rassemblés et remis en forme par Christian Gauvrit avec l’aide de Br. Cornier et de Michel Chauvet.

Ont contribué à ces échanges : André BERVILLÉ, Pierre-Michel BLAIS, Christophe BONNET, Jean-Claude BONNIN, Jean-Pierre BREUER, Michel CAMBORNAC, Michel CHAUVET, Gennaro COPPA, Br. CORNIER, Élisabeth DODINET, Yann DUMAS, Philippe DURAND, Olivier FAURE, Christian GAUVRIT, Jean-Charles GRANGER, Daniel GUEZ, Chantal HUGOUVIEUX, Eric IMBERT, Valéry MALECOT, Peter A. SCHÄFER, Pierre SELLENET et Fabien ZUNINO.


Plan de cette synthèse :

1. Le Vernis du Japon
  • 1.1. Taxinomie
  • 1.2.Description et localisation du vrais Vernis du Japon
1.3. Histoire dÂ’une confusion
le (vrai) vernis du Japon (Toxicodendron vernicifluum)
et le (faux) vernis du Japon ou Ailante (Ailanthus altissima)
1.4. Les différents Rhus
1.5. Introduction en France, au JaponÂ… et ailleurs
1.5.1. Introduction de lÂ’Ailante (Ailanthus altissima)
1.5.2. Introduction du vrai Vernis du Japon (Toxicodendron vernicifluum)
2. Usages de lÂ’Ailante et du Vernis du Japon
2.1. Usages de lÂ’Ailante (Ailanthus altissima)
2.1.1. Le miel
2.1.2. La sériculture
2.1.3. Un médicament ?
2.2. Usages du vrai Vernis du Japon (Toxicodendron vernicifluum)
2.2.1. Un médicament ?
2.2.2. La laque :
2.2.3.. La toxicité de la sève de Toxicodendron vernicifluum et de la laque
3. OĂą voir lÂ’Ailante et le Vernis du Japon?
3.1. LÂ’Ailante
3.1.1. OĂą pousse lÂ’Ailante ?
3.1.2. L’Ailante, espèce envahissante ?
3.1.3. Reproduction de lÂ’Ailante
3.1.4. LÂ’odeur de lÂ’Ailante
3.2. Le Vernis du Japon (Toxicodendron vernicifluum)
4. L’Ailante et le Vernis du Japon : illustration du problème des sources
4.1. Les sources
4.2. La traduction des sources
Bibliographie



1. Le Vernis du Japon

1.1. Taxinomie :
Plusieurs plantes ont été qualifiées de "vernis du Japon". Voici la synthèse de leurs noms, élaborée par Michel Chauvet sur la base des sites de référence suivants :
http:www.ars-grin.gov/npgs/tax/index.html
http:
mansfeld.ipk-gatersleben.de/
http:mobot.mobot.org/W3T/Search/vast.html

et avec les contributions de Jean-Pierre Breuer, Br. Cornier, Peter A. Schäfer, Fabien Zunino

Le vrai vernis du Japon


Anacardiaceae

Toxicodendron vernicifluum (Stokes) F. A. Barkley (1940). in Am. Midland Naturalist 24: 680
ou :
Rhus verniciflua Stokes (1812). Botanical Materia Medica 2: 164. (nom correct dans le genre Rhus)
syn.:
Rhus vernicifera DC. (1825), Prodromus Systematis Naturalis Regni Vegetabilis: 2 68. nom. illeg., non Salisb. (1796)
Toxicodendron verniciferum (DC.) E.D. Barkley & F.A. Barkley (1937). in Ann. Missouri Bot. Gard. 24: 263

anglais : Chinese lacquertree, Japanese lacquertree, Japanese varnishtree, Japanese-sumac, lacquertree, varnishtree
français : vernis du Japon, arbre à laque
allemand : Lacksumach, Firnissumach
espagnol : árbol de la laca
portugais : verniz-do-JapĂŁo
japonais : urushi

C'est l'espèce chinoise, introduite au Japon, qui est le "vrai" vernis du Japon.

_
Son cousin américain
Toxicodendron vernix (L.) Kuntze (1891). Revis. gen. pl. 1:153.
ou.:
Rhus vernix L. (1753). Sp. pl. 1: 265. (nom correct dans le genre Rhus)
syn.:
Rhus vernicifera Salisb. (1796). Prodr. stirp. chap. allert. 169.
Rhus venenata DC. (1825), Prodr. 2 *

anglais : poison-ash, poison-sumac

Cette espèce américaine était utilisée par les Amérindiens comme poison et plante médicinale, mais pas comme vernis.

Commentaires sur les
Toxicodendron

En publiant
Rhus vernix, Linné a mélangé des éléments relevant des deux espèces, chinoise et américaine. Candolle a remarqué cette confusion, et suivant les pratiques nomenclaturales de son époque, a rejeté l'épithète vernix jugée ambiguë au profit de deux épithètes, vernicifera pour l'espèce chinoise et venenata pour l'espèce américaine.

Le Code international de nomenclature botanique stipule que le nom correct d'une espèce est la combinaison du nom correct du genre avec l'épithète la plus ancienne (et validement publiée). Les botanistes semblent s'accorder pour typifier
Rhus vernix de Linné comme désignant l'espèce américaine. L'épithète vernix est donc retenue pour cette espèce, que ce soit dans le genre Rhus ou dans le genre Toxicodendron.

Pour l'espèce chinoise, l'épithète la plus ancienne est
verniciflua de Stokes. L'épithète vernicifera de Candolle est plus récente, et ne peut, en outre, être utilisée, car Salisbury l'avait auparavant créée pour l'espèce américaine.

En ce qui concerne la terminaison de
verniciferum, il faut savoir que les adjectifs utilisés comme épithètes doivent s'accorder en genre avec le nom de genre. La correction se fait automatiquement quel que soit le choix opéré par l'auteur du nom. En l'occurrence, les adjectifs latins en “ –fer ”, comme florifer, vernicifer... font “ –fer ” au masculin, “ -fera ” au féminin et “ -ferum ” au neutre. Rhus est du genre féminin et Toxicodendron est neutre.

Enfin, la séparation d'un genre Toxicodendron et d'un genre Rhus est loin de faire l'objet d'un consensus. Cela relève non pas de la nomenclature, mais de l'opinion du systématicien.
_
Le faux vernis du Japon

Simaroubaceae

Ailanthus altissima (Mill.) Swingle (1916). in J. Washington Acad. Sci. 6: 490
syn.:
Toxicodendron altissimum Mill. (1768), Gard. Dict. ed. 8: 10. basionyme
Rhus cacodendron Ehrh. (1783)
Ailanthus glandulosa Desf. (1788). in MĂ©m. Acad. Sci. Par. (1786/1789) 265, t. 8
Ailanthus cacodendron (Ehrh.) L'HĂ©r. (1791)
Ailanthus procera Salisb., Prodr. (1796) 171
Ailanthus vilmoriniana Dode (1904). Rev. Hort. 74:444.
Ailanthus giraldii Dode (1907) Bull. Soc. Dendrol. France 1907:191.
Ailanthus peregrina (Buch'oz) F.A. Barkley (1934). in Ann. Missouri Bot. Gard. 24 : 264
Pongelion glandulosum Pierre, Fl. cochinch. 4 (1893) pl. 294

français : ailante, faux vernis du Japon, vernis du Japon
anglais : China-sumac, tree-of-heaven, varnishtree
italien : ailanto, albero del paradiso
espagnol : barniz falso de JapĂłn
chin. xiang

Question dÂ’orthographe


Dans
"Histoire des Arbres et Arbrisseaux" (1809) DESFONTAINES écrit Aylantus (avec un "y" et sans "h"), pourquoi écrit-on aujourd'hui "Ailanthus" ? "l'Ailante est originaire de Chine où "Ailanto" (arbre du ciel) désigne une espèce voisine" (LIEUTAGHI, 1969). TESTU (1976) remarque : "LITTRE (1892) dit : "c'est à tort que certains botanistes ont écrit ailanthus et Ailanthe avec un "h", comme si le mot venait du grec "anthos"". Or, nous voyons que ailantus vient de ailanto. Seule l'orthographe ailantus mérite donc d'être retenue, à la suite de LITTRE et, aussi, de l'Académie qui a choisi “ Ailante ”. Pourquoi laisser cette impression que le nom scientifique de l'Ailante a quelque rapport avec une forme ou un type de fleur ? Car tel est le sens du mot grec anthos."
Explication : Lorsque DESFONTAINES décrit le genre
Ailanthus dans les Mémoires de l'Académie des Sciences [mettre ici un lien sur le protologue en ligne] en 1788, il écrit Ailanthus avec un "i" et un "h". D’après le code International de Nomenclature Botanique (article 60-1), "L'orthographe originale d'un nom ou d'une épithète est à maintenir (…)" (dans cet Article, "orthographe originale" désigne l'orthographe employée à la publication valide du nom). Le Code illustre ceci avec l’exemple suivant : "les noms génériques Mesembryanthemum L. (1753) et Amaranthus L. (1753) ont été délibérément orthographiés ainsi par Linné; leur orthographe ne doit pas devenir "Mesembrianthemum" et "Amarantus", bien que ces dernières formes soient préférables du point de vue philologique". Il en est de même pour le nom Ailanthus (1788) que Desfontaines a délibérément orthographié ainsi lors de sa publication valide, même si ce même auteur utilise une orthographe différente dans une publication ultérieure. En français, par contre, on utilisera de préférence l’écriture "Ailante".



Et le "faux-faux" vernis du Japon

Meliaceae

Toona sinensis (A. Juss.) M. Roem. (1846). Syn. Mon. 1, Hesper : 138
syn.:
Cedrela sinensis A. Juss. (1830). in MĂ©m. Mus. Hist. Nat. Paris 19: 255

français : cédréla
anglais : red toon
indonésien : suren


1.2. Description et localisation du vrais Vernis du Japon

Description de Keys (1976) :
Rhus vernicifera DC. (Anacardiaceae) Japanese lacquer tree, 8-20 m. high. Leaves pinnate with an odd leaflet at the tip; leaflets 5-13, oval or oblong-oval, 7-20 cm. long by 3-7 cm. wide, tip acuminate, base rounded or nearly cuneate, entire, pubescent when young. Inflorescence a drooping panicle 15-25 cm. long; June. Flowers yellowish white, small, polygamous; calyx in 5 segments; petals 5, longer than the sepals; stamens 5; ovary sessile, 1-celled. Fruit a nearly globular drupe, 6-8 mm. in diameter, yellow; September. China, Japan.

(Trad. : 8-20 m de haut. Feuilles imparipennées, les foliloles 5-12 ovales ou oblongues-ovales, de 7-20 cm de long, 3-7 cm de large, à pointe acuminée, arrondies ou presque tronquées, entières, pubescentes lorsque jeunes. Inflorescences en panicule retombant, de 15-25 cm de long ; floraison : juin. Fleurs blanc-jaunâtre, petites, polygames ; le calyce en 5 segments ; 5 pétales, plus longs que les sépales ; 5 étamines ; ovaire sessile, à une loge. Fruit : drupe presque globulaire, de 6-8 mm de diamètre, jaune. Fructification en septembre. Chine, Japon.)

  • Illustration :
N.B. : les illustrations ne sont plus là… elles ont changé de place, elles sont maintenant sur le site de Tela, dans les fichiers du projet synthèse.
http://www.tela-botanica.org/index.php?project=tela&locale=fr&level1=projets
Et elles n’illustrent pas le texte ci-dessus, mais celui qui contient les caractères chinois (voir plus loin dans cette synthèse). Par contre, ici, il serait sympa de placer une photo de cette arbre (ou/et de ses feuilles, de ses fruits)… Qui peut en trouver ?


Description de de
Rhus verniciflua Stokes (1812) :
"
Rhus verniciflua. Folioles elliptic, subvillose underneath. Petioles subvillose. From Sitz, sive Sitz-dsju. Kaempf. 791.t.792, cop. in Sitz, vel Sitz dsju, vulgo Urus, seu Urus no ki. Phil. trans. abr. by Hutt. xi.t.3.f.21 True Varnish-tree. Ellis in phil.trans. abr. by Hutt. xi.47. 182.185, who examined a specimen in the British Museum gathered by Kaempfer in Japan..."

Trad. : Folioles elliptiques, tomenteuses sur la face inférieure. Pétioles tomenteux. De Sitz, sive Sitz-dsju. Kaempf. 791.t.792, cop. in Sitz, vel Sitz dsju, vulgo Urus, seu Urus no ki. Phil. trans. abr. by Hutt. xi.t.3.f.21 True Varnish-tree. Ellis in phil.trans. abr. by Hutt. xi.47. 182.185, qui a examiné le spécimen déposé au British Museum et collecté par Kaempfer au Japon)

Il apparaît donc que Stokes a fondé son nom sur une plante récoltée au Japon par Kaempfer et (à son époque au moins) conservée au British Museum.

Michel Chauvet indique que La source de ces informations reprises de Kaempfer se trouve dans Thunberg (1784) sous l'entrée "
Rhus vernix Linn.".

Jean-Claude Bonnin transmet la carte de répartition des régions productrices d'arbres à laque
Rhus verniciflua tiré de
http:www.isei.or.jp/Urushi_Museum/urushi_lacquer.html



Carte de répartition des régions productrices d'arbres à laque Rhus verniciflua tiré de
http:www.isei.or.jp/Urushi_Museum/urushi_lacquer.html

Br. Cornier conclut de cette carte de répartition et des indications de Daniel Guez (§2.2.2.) que cet arbre est originaire de Chine et qu'il est naturalisé en Corée et au Japon.


1.3. Histoire dÂ’une confusion :

Daniel Guez :
J'ai trouvé à "Vernis du Japon" et à "
Ailanthus" dans Boreau (1840) : " le Vernis du Japon, Aylanthus glandulosa Desf., grand et bel arbre..." (cité comme l'un des 4 arbres cultivés de la famille "Térébinthaceae" dans la région centre en France).

Br. Cornier :
L'arbre communément désigné chez nous "Vernis du Japon" est bien l'Ailante [
Ailanthus (Desf.) altissima (Miller) Swingle, Simaroubaceae]. Il a été très utilisé en plantation ornementale... puis délaissé à cause de son odeur et de son trop fort pouvoir drageonnant. Il est aujourd'hui considéré comme envahissant, au moins dans une large part de la région méditerranéenne.
Son nom de Vernis du Japon a pour origine une erreur botanique :
Desfontaines (1809) mentionne l'Ailante dans son "Histoire des arbres et arbrisseaux"... dans l'index : Aylante –
Aylantus : "Le Père d'Incarville {explorateur de la Flore chinoise} en envoya des graines de Chine à la Société Royale de Londres, vers l'an 1751. Miller et Philippe Carteret-Web le cultivèrent et il se répandit en Europe. Miller prétendit, contre l'opinion d'Ellis, que c'étoit le Fasi-no-ki de Kaempfer, ou Vernis du Japon, Rhus Vernix Lin., et cette erreur s'accrédita. Ces deux arbres appartiennent à des genres différents. Le Vernis du Japon a les folioles entières; l'Aylante, au contraire, les a dentées à la base avec une glande sous chaque dent. Le fruit du Vernis est une baie, tandis que chaque fleur de l'Aylante produit cinq fruits membraneux, allongés et aplatis, qui renferment chacun une graine placée latéralement, caractères qui le distinguent de tous les Sumacs. (...) L'Aylante a été décrit et gravé dans les mémoires de l'Académie des Sciences de Paris, année 1786".
Miller lÂ’a donc pris pour un Sumac japonais, lui donnant le nom de
Toxicodendron (Miller) altissimum Miller... "altissimum" probablement à cause de sa taille remarquable (pour un Sumac !). En 1786, Desfontaines, au Muséum de Paris, reconnaît l'erreur, et rebaptise l'arbre "Ailanthus glandulosa"... Le nom de genre est conservé... mais l'épithète doit demeurer (ce que corrige Swingle si je ne me trompe pas) c'est donc finalement Ailanthus (Desf.) altissima (Miller) Swingle (Lieutaghi, 1969).
Bref, le nom commun de “ Vernis du Japon ” semble avoir accompagné l'erreur initiale ….. que des publications ont corrigée depuis déjà deux siècles.
Jean-Claude Bonnin
Trouvé dans Lacroix (1936) : "Il (Le Père d'Incarville ) adressait aussi des plantes à la Société Royale de Londres. Ce sont des graines comprises dans un de ces envois qui ont permis d'introduire en Europe l'Ailante, appelé par lui le Frêne puant et que d'autres ont nommé Vernis du Japon sur la croyance erronée qu'il fournit la laque des Extrêmes Orientaux. Son nom actuel (
Ailantus glandulosa) est dû à Desfontaines qui importa en France (1786) cet arbre, rapidement propagé dans toute l'Europe."

Br. Cornier et Peter A. Schäfer :
Le
Rhus vernix L. 1753 (265-266) [ainsi que 1762: 380] contient un mélange de références Asie/Amérique du Nord. Ceci explique les précautions de Desfontaines (1809) : "Le Vernix est originaire du Japon et de l'Amérique septentrionale, si toutefois c'est bien la même espèce qui se trouve dans des pays aussi éloignés."
De Candolle (1825) sépare les références d'Amérique du Nord (
Rhus venenata DC.) et celles d'Asie (Rhus vernicifera DC.). Il ne suit pas le code de la nomenclature actuelle qui obligerait à lectotypifier, autrement dit choisir un des éléments comme type du nom linnéen. Comme de Candolle n'était évidemment pas tenu de suivre le code de la nomenclature actuelle, ceci explique que l'épithète "vernix" de Linné n'ait pas été gardée. Donc, le nom correct du Vernis du Japon était alors : Rhus vernicifera DC, sauf si la description de Stokes - qui est antérieure - avait été faite correctement et "sans mélange", s'appliquant précisément à l'espèce japonaise, Rhus verniciflua Stokes A.
Si c'est le cas, Barkley (1940) ayant transféré l'espèce dans le genre
Toxicodendron, et l'épithète devant être gardée, le nom correct serait: Toxicodendron vernicifluum (Stokes) F.A. Barkley .
Si la description de Stokes (1812) n'est pas correcte (ou encore avec "mélange"), c'est celle de de Candolle qui fait référence, et alors le nom correct actuel du Vernis du Japon serait :
Toxicodendron verniciferum (DC.) E.A. Barkley & F.A. Barkley. Pour en avoir le coeur net, il faudrait lire Barkley (1940).

Daniel Guez :
Shin-ju = arbre divin (arbre du paradis!) ; cÂ’est le nom botanique officiel japonais de lÂ’Ailante (Makino, 2000) (shin= dieu, ju = arbre, en lecture sino-japonaise).


Michel Chauvet :
Rapportant un commentaire de Georges Métailié, spécialiste des plantes chinoises et de leur histoire
D'après Makino (2000), l'arbre a bien eu d'abord le nom de
shin-juu et, par la suite, du fait de son utilisation ornementale dans les jardins d'une part, et de la ressemblance de ses feuilles avec celles de l'arbre à laque, d’autre part, il a été aussi appelé “ niwa urushi' ”(“ Arbre à laque de jardin ”) sans qu'il y ait jamais eu de confusion.
Conclusion : la situation au Japon est la même qu'en France ; l'Ailante a été appelé "faux-Vernis du Japon" (ou "Vernis du Japon de jardin" en japonais) par simple analogie de ses feuilles (et non pas de son usage) avec celles du
Rhus. Cela suppose bien sûr (et le prouve) que dans les deux cas, l'Ailante est arrivé après le vrai Vernis du Japon.

Br. Cornier :
On aboutit à peu près à la même situation en France et au Japon : "Faux Vernis du Japon" ou "Arbre à laque de jardin". Mais à l'origine, il n'y a pas confusion au Japon, contrairement à l’Europe.
En effet, si je résume les diverses informations à ce sujet :
- au Japon, l'Ailante a été introduit sous le nom de "
shin-juu = arbre divin (arbre du paradis!)"... nom qui ne correspond pas au Tsi-Chou (qi shu) chinois (arbre à laque)... mais qui semble par contre correspondre à l'Ailanto chinois : "Ailanto", signifiant "arbre du ciel" d’après Lieutaghi (1969) - mais on ne sait quelle est sa source sur ce point. Si la correspondance linguistique est sans doute difficile à établir entre ailanto et shin-juu, la signification semble proche.
- en Europe, comme nous l’avons vu, l'Ailante est introduit vers 1751 et Miller fait la confusion, rectifiée en 1786 par Desfontaines. Mais le nom de "Vernis du Japon" (et non "faux Vernis du Japon") attribué à l'Ailante a perduré longtemps (cf. par exemple la Flore complète de Bonnier & de Layens, 1964).
Cela confirme que l'Ailante est arrivé au Japon après le vrai Vernis du Japon. En Europe, cela prouve seulement que la réputation (usage et toxicité) du vrai Vernis du Japon est arrivé avant l'Ailante.


Br. Cornier :
Pour compléter le tableau sur la confusion qui semblait régner à propos de ces arbres à la fin du XVIIIème, voici copie des premières lignes de l'article de l'Almanach du Bon Jardinier (de Grace, 1791) à propos du Vernis du Japon :
"VERNIS DU JAPON.
Rhus succedaneum. Helanthus glandulosus Desf. Ce grand arbre est plutôt un Sumac qu'un véritable Vernis. Ses feuilles ressemblent en effet à celles du Sumac, & il pousse de même des rejettons de ses racines. C'est par ce moyen qu'on le multiplie (...)."


Michel Chauvet :
Si l'Ailante est le "faux", il existe aussi un "faux-faux" Vernis du Japon, qui est le
Cedrela (ou plutôt Toona sinensis (A. Juss.) M. Roemer), communément planté dans les villes, et qui a aussi de grandes feuilles composées pennées.


1.4. Les différents
Rhus :

N.B. : certaines espèces de
Rhus cités dans les messages qui suivent ont été transférées dans le genre Toxicodendron (comme le vrai vernis du Japon, Rhus verniciflua (Rhus vernicifera), devenu Toxicodendron vernicifluum). Mais comme signalé plus haut la séparation d'un genre Toxicodendron et d'un genre Rhus est loin de faire l'objet d'un consensus…

Michel Cambornac :
Dans Dormat (1929), je relève la classification suivante :
1) les espèces méditerranéennes
  • Rhus coriaria L.
  • Rhus cotinus L.
les feuilles de sumacs et leurs falsifications
Rhus pentaphylla Desf
  • Rhus oxycanthoides Dum Cours
2) espèces américaines
  • les tanniques
  • les toxiques
  • les mĂ©dicinales
3) les espèces d'extrême orient
  • Rhus vernicifera DC qui donne la laque
  • Rhus succedanea L qu'il nomme "suif vert de Chine et du Japon"
  • Rhus semialata Murr : galles de Chine car c'est une galle de ce Rhus qui est ( Ă©tait?) utilisĂ©e.

Jean-Claude Bonnin :
Au Vietnam, on a des cultures de
Rhus succedanea var. dumortieri, introduites depuis le XVIIème siècle au Japon.

Daniel Guez :
“ Dans Desfontaines (1809), il est question d'un "
Rhus Vernix" (Sumac Vernix)... avec ce texte : "Le Vernix est originaire du Japon et de l'Amérique septentrionale, si toutefois c'est bien la même espèce qui se trouve dans des pays aussi éloignés. Cet arbrisseau parvient à la hauteur de trois à quatre mètres."! Rhus Vernix = Rhus verniciflua ?). ”

Quel arbre correspond au petit "
Rhus vernix " (Desfontaines, 1809) ? Je ne vois rien, même en synonyme, dans les flores japonaises modernes. L'hypothèse vernix = verniciflua oblige à tolérer une marge importante dans la taille (toujours possible pour des espèces de montagnes), mais même alors ce ne serait pas non plus un vrai Vernis du Japon. (N.B. : Rhus verniciflua (= Toxicodendron vernicifluum) étant “ spontané en Chine et en Himalaya ”, mais pas semble-t-il pas au Japon où il aurait été introduit et se serait naturalisé Si ce "Vernix" cité par Desfontaines est vraiment un Sumac spontané du Japon, alors il y a deux candidats possibles sur les 5 espèces de Rhus spontanés et utilisés comme vernis (nuances de teintes). Rhus silvestris Sieb. & Zucc. (3-5 m, donne une laque brun jaunâtre) et Rhus ambigua Lav. ex Dipp. = R. orientalis (3m), R. trichocarpa (petit, feuilles comestibles jeunes). Les autres, R. javanica, R. succedanea, sont trop grands ou ne font pas partie des arbres à laque traditionnels.

Botaniquement parlant, le plus commun est le
nurudé, Rhus javanica L. var. roxburghii (DC.) Rehder & Wills : Arbuste décidu 5-7 m, à écorce grise. Feuilles alternes, imparipenné, minces et coriaces, à tige largement ailée entre les feuilles. Nombreuses fleurs blanches d'août à septembre. Répartition: Japon (Hokkaido, Honshu, Shikoku, Kyushu, Ryukyu = partout), Corée, Taïwan, Mandchourie, Chine, Indochine, Himalaya.


1.5. Introduction en France, au Japon Â… et ailleurs

1.5.1. Introduction de lÂ’Ailante
(Ailanthus altissima)

Élisabeth Dodinet :
L'Ailante a été introduit en France... à partir de l'Angleterre en 1751.

Br. Cornier :
D'après Vetvicka (1984), "Pierre Collins fut le premier, en 1751, à introduire en Europe les graines de l'Ailante en provenance de la Chine."

Peter A. Schäfer :
Il s’agit en fait de Peter Collinson, membre de la Royal Society depuis 1728. Correspondant du R.P. d'Incarville, c'est bien lui qui a reçu les graines et les a transmises à la Royal Society, le tout en 1751. Peter Collinson est réputé avoir introduit dans son jardin (et ainsi en Angleterre et en Europe) de nombreuses plantes reçues de ses correspondants.

Br. Cornier :
D'après Lieutaghi (1969), "Le R.P. d'Incarville, missionnaire et grand explorateur de la flore chinoise, avait envoyé les premières graines d'Ailante à la Société Royale de Londres, en 1751."
D'après Desfontaines (1809), "Le Père d'Incarville en envoya des graines de Chine à la Société Royale de Londres, vers l'an 1751."

Le point commun de ces quatre informations : "1751". Pour le reste, il y a plus que des nuances.
Nos Flores françaises sont discrètes sur le sujet : l'Ailante n'est pas mentionné dans Gillet & Magne (1873), ni dans la grande flore de Bonnier (1990). Dans la Flore de Coste (1937), l'espèce n'est mentionnée que dans les "additions et corrections" avec ce texte : "abondamment planté dans presque toute la France et naturalisé". Seul Fournier (2001a), comme souvent, indique des dates d'introduction : "Chine (introd. Eur. 1751, Fr. 1786)."
Or, 1786, c'est l'année qui correspond à la "mise au point de Desfontaines qui a baptisé le nouveau venu du nom scientifique qu'il porte encore (
Ailanthus)" (Lieutaghi, 1969). Cf. Desfontaines (1809) : "L'Aylante a été décrit dans les mémoires de l'Académie des Sciences de Paris, année 1786."
D'après Mouillefert (1892 à 1898) : "Introduit en 1771 au Muséum de Paris, il fut étudié avec soin par Desfontaines, qui reconnut qu'il devait fournir un genre nouveau auquel il donna le nom d'Ailante". La publication de Desfontaines date de 1786, mais l'introduction en France s'est donc faite en 1771.

J'ai noté avec intérêt la date tardive d'introduction au Japon de
Ailanthus altissima (1870-1875). Le vernis du Japon (le produit et non l'arbre), déjà célèbre du temps de Linné ou de Desfontaines ne pouvait, donc, en aucun cas provenir de l'Ailante...

Pour compléter le tableau des dates d'introduction de l'Ailante, après l'Europe et avant le Japon : "Il s'est naturalisé non seulement en Europe, mais également en Amérique où il avait été importé en 1784." (Vetvicka, 1984)

1.5.2. Introduction du vrai Vernis du Japon (Toxicodendron vernicifluum)

Br. Cornier :
Quant à la date d'introduction en Europe et en France du vrai Vernis du Japon, je n'ai rien trouvé. Fournier (2001b), qui le cite sous le nom
de Rhus vernicifera DC, ne donne aucune indication.


2. Usages de lÂ’Ailante et du Vernis du Japon :

2.1. Usages de lÂ’Ailante (
Ailanthus altissima)

2.1.1. Le miel

Olivier Faure :
“Il est rapporté que le miel d’Ailante a initialement un goût fétide qui disparaît ensuite pour donner un miel d’une exceptionnelle saveur” (Melville, 1944)).

Br. Cornier :
"La plupart des Ailantes ne portent que des inflorescences mâles ou femelles. Celles-ci apparaissent, dans les deux cas, sous forme de panicules de petites fleurs verdâtres qui éclosent en juin-juillet (...). Les abeilles y trouvent une bonne source de miel ….." (Tosco, 1975).


2.1.2. La sériculture

Gennaro Coppa :
Il existe un très gros papillon (en fait sa chenille),
Samia cynthia, qui aime l'Ailante. L'espèce serait originaire de Chine, et ne survivrait que dans les villes, en raison de sa forte taille qui la rendrait vulnérable aux prédateurs.

Pierre Sellenet :
Ce papillon produit un cocon important et sa soie (appelé "
éri") est de bonne qualité, malgré un dévidage des cocons difficile. Il y a eu introduction de ce papillon (Bombyx de l'Ailante) et des plantations d'Ailantes en 1860, pour pallier au manque de soie dû à une maladie du ver à soie.
"En 1861, on comptait (où ?) 2000 propriétaires adeptes de ce type d'élevage, plus de 400 000 Ailantes et plus de 66 millions d'oeufs (de ce Bombyx) vendus. L'élevage de ce papillon était effectué en plein air." (source Chavancy, G., INRA, Unité séricicole, La Mulatière). Cet élevage n'a, bien sûr, pas réussi. Ce court épisode a peut-être contribué dans certaines régions à une plus grande dispersion de l'Ailante en milieu rural.

Christophe Bonnet :
Voici le complément d'information que me donne N. Maurel, un papillonologue des Alpes de haute Provence :
“ Cette espèce fournissant une soie robuste a été introduite en Italie en 1856 et en France par Guérin-Méneville, l'année suivante. Elle était censée remplacer notre bon vieux Bombyx du mûrier (le Ver à soie). Elle s'est maintenue, après l'abandon de son élevage, dans des zones restreintes de milieux urbains (parcs et jardins plantés en Ailantes), comme à Bordeaux ou Paris, là où la chenille échappe à ses prédateurs naturels, surtout les parasites (hyménoptères). Le Bombyx de l'Ailante (son nom vernaculaire) est un papillon de nuit de belle taille. Plusieurs tentatives d'introductions dans d'autres ville (Digne dans les années 60) ont échoué, en raison de la prédation trop forte (oiseaux et parasites). Paradoxalement, il survit dans les zones fortement anthropisées. Sa chenille accepte aussi en élevage :
Ligustrum, Prunus, Forsythia, Ricinus, Juglans, Sambucus.. ”

2.1.3. Un médicament ?

Daniel Guez :Guillaume & Mach (1987) décrivent la préparation de la pharmacopée chinoise: "
CORTEX AILANTHI (CHUN PI - Vernis du Japon)" et indiquent en note : " l'écorce d'Ailanthus est appelée Chou-Chun-Pi, autrefois connue sous le nom de Chu pi et c'est l'écorce de TOONA SINENSIS qui était nommée Chun-Pi. Actuellement le Chun-Pi correspond à l'écorce d'Ailanthus altissima, mais dans certaines provinces comme le Si Chuan et le Gui-Zhou, on utilise l'écorce de Toona Sinensis appelée Xiang Chun alors que celle d'Ailanthus correspond au Chou Chun."


Jean-Claude Bonnin :
Utilisé comme plante médicinale chinoise, les propriétés de l’Ailante sont dues à des substances amères, les quassinoides et des cétones, glaucarubinone et ailanthone. Voir Tang et Eisenbrand “ Chinese Drugs of Plant Origin ”.



2.2. Usages du vrai Vernis du Japon (
Toxicodendron vernicifluum)
(N.B. : cette dernière espèce est souvent citée dans les ouvrages sous le nom de
Rhus vernicifera ou de Rhus verniciflua)

2.2.1. Un médicament ?

Keys (1976) : "
RHUS VERNICIFERA DC. (Anacardiaceae) Arbre à laque japonais. Le médicament consiste en une exsudation durcie de l’écorce. Elle est irrégulière et de couleur noirâtre. L’exsudation fraîche est toxique, son constituant principal est l’urushiol, qui est un mélange de proches dérivés du cathécol qui possèdent des chaînes latérales à quinze carbones (liquide jaune pâle, point d’ébullition 200-210°; soluble dans l’alcool, l’éther, le benzène; modérément soluble dans l’éther de pétrole). Après exposition à l’air, l’huile est inactivée par oxydation catalysée par la laccase, une polyphénolase également présente dans l’exsudation. La toxicité du médicament chinois durci n’est pas définie, et les descriptions indigènes sont en désaccord. L’urushiol produit une irritation gastrique et intestinale, des proctites, des vulvites, et des néphrites, mais la toxicité systémique est relativement basse. Le degré de ces affections n’est pas connu. Prescrit comme hémolytique, emménagogue, vermifuge. Dose, 3-5 gm. Incompatibles: Xanthoxylutn piperitum, Perilla frutescens, oeufs, chair de crabe."


2.2.2. La laque :

Br. Cornier :
Le nom de "Vernis" est certainement lié à une utilisation de ces arbres...

Pierre-Michel Blais :
Le vernis ne serait-il pas la laque, utilisée pour faire ces magnifiques objets et meubles (Japon, Chine, Viêt-Nam...) ?

Br. Cornier :
Peut-être bien ! "La laque est tirée du latex d'un Sumac japonais, lui-même très toxique et irritant par ses seules émanations, le
Rhus vernicifera DC." (Lieutaghi, 1969).
"Le vrai Vernis du Japon ou Vernis est le Sumac d'ExtrĂŞme-Orient (
Rhus verniciflua Stokes), un arbre qui donne la laque" (Testu, 1976).
Dans l'Histoire des Arbres et Arbrisseaux (Desfontaines, 1809), dans la partie sur le "
Rhus Vernix" (Sumac Vernix), on peut lire ce qui suit : "Les chinois font un beau vernis avec le suc d'un arbre qui croît sur les montagnes et qu'ils appellent Tsi-chou. J'ignore si cet arbre est le même que le Rhus Vernix du Japon. Ceux qui désirent savoir la manière dont on prépare le vernis à la Chine et connoître l'emploi qu'on en fait, peuvent lire un mémoire du père d'Incarville..."

Peter A. Schäfer :
Sur le site japonais :
http:www.isei.or.jp/Urushi_Museum/Urushi_Museum.html
on explique que le jus de Rhus verniciflua est “récolté dans la nature” (donc au Japon).

Complément B. Cornier : d’après cette indication, bien que Toxicodendron vernicifluum (= Rhus verniciflua) soit originaire de Chine, on le trouve “ dans la nature ” au Japon. Il y est donc naturalisé sans doute depuis longtemps.

Michel Chauvet :
Diderot & d'Alembert (1765) :
VERNIS DE LA CHINE, (Arts Ă©trangers) gomme qu'on tire par incision & qu'on applique avec art sur le bois pour le conserver, & lui donner un Ă©clat durable.
Ce que c'est que le vernis chinois. Le vernis que les Chinois nomment tsi, est une gomme roussâtre qui découle de certains arbres par des incisions que l'on fait à l'écorce jusqu'au bois, sans cependant l'entamer. Ces arbres se trouvent dans les provinces de Kiang-si & de Se-tehuen : ceux du territoire de Kanttcheou, ville des plus méridionales de la province de Kiang-si, donnent le vernis le plus estimé.
VERNIS DU JAPON, (Art exotique) l'arbre qui donne le véritable vernis du Japon s'appelle urusi ; cet arbre produit un jus blanchâtre, dont les Japonois se servent pour vernir tous leurs meubles, leurs plats, leurs assiettes de bois qui sont en usage chez toutes sortes de personnes, depuis l'empereur jusqu'au paysan : car à la cour, & à la table de ce monarque, les ustensiles vernissés sont préférés à ceux d'or & d'argent. Le véritable Vernis est une espèce particulière au Japon ; il croît dans la province de Fingo & dans l'île de Tricom ; mais le meilleur de tous est celui de la province de Jamatto.

Br. Cornier :
"Se-tehuen" = ??? (probablement le Sichouan) Province de "Kiang-si" : région actuelle du "Kiangsi" = Jiangxi, "Kanttcheou" = "Kouangtcheou" = "Canton" = Guangzhou qui se trouve dans la région du Guangdong (au sud du Jiangxi).

Précision utile, le Tome XVII de l'Encyclopédie de Diderot & d'Alembert (1765) (Vénérien - Zzuéné plus 'Articles omis') a été publié en décembre 1765. Les auteurs ne se risquent pas à attribuer des noms botaniques - binômes linnéens - aux arbres dont les chinois ou les japonais tirent leurs vernis.


Diderot & d’Alembert (1765) distinguent un "vernis de la Chine" et un "vernis du Japon". Cette distinction est sans doute justifiée par l'origine du produit, voire sa qualité (méthode et savoir-faire différents). Elle n'implique pas forcément que les arbres dont étaient tirés ces vernis aient été d'espèces différentes. On sait qu'à cette époque, le vernis du Japon ne peut pas provenir de l'Ailante (celui-ci ayant été introduit au Japon plus d'un siècle plus tard). Quant au vernis de la Chine = ? Ailanthus altissima et Toxicodendron vernicifluum sont tous les deux originaires de Chine. Est-ce que l'Ailante a été réellement utilisé un jour par des artistes ou artisans chinois pour en tirer un vernis ? Si oui, les informations de l'Encyclopédie le concernent peut-être (elles peuvent aussi concerner Toxicodendron vernicifluum). Sinon, elles ne peuvent s'appliquer qu'au Toxicodendron (vernicifluum et peut-être espèces voisines)... à moins qu'il y ait encore d'autres "arbres à vernis" !
Un maigre indice de l'article "Vernis de la Chine" de l'Encyclopédie : "Le vernis que les chinois nomment tsi".

Georges Métailié (message transmis par l’intermédiaire de Michel Chauvet) :
“ Tsi... Tsi-chou... Quel est l'arbre que les chinois désignaient au XVIIIe siècle de telle manière que les européens de l'époque en aient retranscrit le nom "Tsi"... "Tsi-chou" ? ”
Le même qu'aujourd'hui, Rhus verniciflua Stokes (R. vernicifera DC) (Toxicodendron vernicifluum). Selon le système de transcription officiel en Chine aujourd'hui, appelé "Hanyu pinyin", on transcrit "qi shu". qi (1er ton) [prononcé en français “ tch'i ”] désigne l'arbre à laque et également le produit de cet arbre. shu [4ème ton, prononcé en français “ chou ”] signifie "arbre" et s'emploie fréquemment

D'après Keys (1976) et Williams (1933), c'est la plante appelée en latin Rhus vernicifera (en chinois qishu - prononcez “ tch'i chou ” - signifiant littéralement "arbre à laque" qui fournit cette laque tant prisée dans tout l'Extrême-Orient. On retrouve bien la plante chinoise que les Jésuites du XVIIIe siècle translittéraient sous la forme tsi (*) ou tsi-chou ().
[le texte ci-dessus peut être remplacé dans la synthèse par le document au format “ .jpg ” placé dans le dossier “ images pour synthèse ” sur le site de Tela (dans le projet “ synthèse ” le fichier a pour nom “ Vernis de la Chine ”. Ce fichier comporte les caractères chinois. Il suffit d’ajouter au texte de ce fichier “ jpg ” : “ D'après Keys (1976) [cf. § 1.2.] et Williams (1933) ”]

Williams (1933) : "LAQUE (il faudrait remplacer ces deux astérisques par le fichier “ jpg ” placé sur le site de Tela ayant pour nom “ Vernis Tch’i Chou ”) L’art de préparer et d’appliquer la laque est d’une grande antiquité. La laque est obtenue à partir de Rhus vernicifera - cultivé en Chine centrale et méridionale. Elle est généralement appliquée à des articles en bois, comme les tables, les chaises, les paravents, les boîtes, les plateaux, etc. L’exécution des meilleures laquages demande plus de dix ans, le nombre de couches dépassant souvent deux cents, chacune étant séchée avant que la suivante ne soit appliquée. Parfois, la laque est appliquée sur une matrice de tissu ou de soie. La surface laquée est fréquemment ornée de motifs peints de nature conventionnelle et symbolique, et est parfois ciselée ou incrustée d’or, d’argent, de bronze, d’ivoire, de nacre, de coquille d’œuf ou d’autres substances. Cet art atteignit son zénith sous l’Empereur Ch'ien Lung (1736-95), et a été adopté et perfectionné par les Japonais. A l’heure actuelle, les principaux lieux de production en Chine sont Peiping et Foochow, mais les exportations sont maintenant très faibles, du fait de la demande pour des meubles plus substantiels."

Précisions géographiques pour les voyageurs :
"Peiping" = "PĂ©kin" = Beijing
"Foochow" = ??? (peut-être "Foutcheou" = Fuzhou dans la région du "Foukien" = Fujian) ?

Enfin, puisque Williams (1933) évoque une fabrication qui nécessite plus de dix ans, avec parfois plus de 200 couches de laque, voici un dernier complément tiré du "Nouveau Larousse Universel" de 1949. Il donne quelques précisions utiles (même s'il contient beaucoup de "merveilleux" pour un dictionnaire...) :
"Laque : Latex d'un rouge-brun qui exsude des branches de plusieurs arbres ou arbustes de la famille des térébinthacées. (...) La laque qu'il ne faut pas confondre avec la gomme laque (d'origine animale) est un produit essentiellement végétal, fourni par plusieurs térébinthacées d'Extrême-Orient, notamment le Rhus vernicifera. Ces végétaux (laquiers) font d'ailleurs l'objet d'une culture méthodique au Japon, en Chine et en Indochine. Le Tonkin est aujourd'hui au premier rang des pays producteurs de la laque. Récolté en incisant l'écorce des laquiers, l'exsudat (latex d'apparence crémeuse) est recueilli avec soin et conservé dans des récipients hermétiquement clos, à l'abri de l'air et de la lumière.(...). On applique la laque par couches minces qui sont abandonnées au séchage dans des chambres humides; chaque couche, une fois sèche, est l'objet de ponçages et de polissages méticuleux. Arts : Le laquage des meubles, des bibelots de tabletterie, statuettes, boîtes, étuis (dits "laques", dont le succès fut si considérable en Europe au XVIIe siècle), est un art appliqué de très longue date par les Chinois et les Japonais, qui s'y sont montrés admirables. Cherchant à imiter leurs chefs-d'oeuvre, l'industrie française était parvenue à de merveilleux résultats (vernis Martin); mais il a fallu les travaux de G. Bertrand sur les oxydases pour révéler le secret des laques d'Extrême-Orient. C'est précisément à la faveur de l'humidité que les couches de laque se transforment lentement (parfois pendant des années) sous l'influence d'une oxydase (la laccase) qui les durcit et les rend impénétrables à l'eau. La laque est supérieure à tous les vernis, et les applications qu'on en a faites, soit en carrosserie, soit pour le revêtement des hélices d'aéroplanes, la préservation des fusées d'obus, soit encore comme isolant de conducteurs électriques, ont montré qu'elle était adhérente, souple, impénétrable à l'eau, inattaquable aux acides et, par ces merveilleuses propriétés, est susceptible d'une foule d'applications."

Élisabeth Dodinet :
Fazzioli & Fazzioli (1990) :
"Dans la mythologie chinoise, la paternité de cette découverte est attribuée à Shun, le dernier des sept sages descendants de Huang Di (l'Empereur jaune), qui aurait régné de 2255 à 2205 avant J.-C. (...) L'utilisation de la laque est mentionnée dans le Han Fei zi (Le Livre du maître Han Fei) et le Yu Gong (Le Tribut de Yu) complété pendant la période des royaumes combattants (475-221 avant J.-C.). Sima Qian (145-86 avant J.-C.), le plus grand historien chinois, dans le Shin Ji (Mémoires d'un historien) écrit que le philosophe Zhung Zhou avait été fonctionnaire impérial d'une plantation de laques. Outre qu'il s'agissait d'un monopole d'état, la culture de ces arbres constituait une véritable affaire. Sima Qian écrit encore dans la même oeuvre : "Dans les états de Chen et Xia, celui qui possède mille "mu" (un "mu" = 1/15e d'ha) en laques.possède la même richesse qu'un marquis entretenu par mille familles" Un proverbe chinois affirme "Aucun désir ne pourra jamais faire souffrir, durant sa vie, quiconque possède mille laques"." En Chinois l'idéogramme (Xia Zhou qan qi) est composé du radical qui désigne l'eau (le signe phonétique "qi" en donne la prononciation) d'où le concept de liquide (qui s'écoule des branches et du tronc) Le traité fait état de nombreuses indications médicinales (notamment comme cicatrisant), mais le médicament ne devait pas être facile à accepter puisqu'il insiste sur l’importance de convaincre le patient de son efficacité et de sa bonne tolérance par l'organisme.

Fabien Zunino :
Trouvé dans Bruneton (1993) : “Des espèces voisines constituent les “ arbres à laque ” (ex. : Toxicodendron verniciferum = Rhus verniciflua Stokes). Une oxydase, la laccase, transforme le suc obtenu par incision en une laque noirâtre utilisée traditionnellement en Orient dans la manufacture d'objets divers. Le suc de cette espèce, le kiurushi (d'où " urushiol "), renferme des composés du même type que les autres Toxicodendron …“

Chez le même auteur, quelques pages sont consacrées aux Anacardiaceae (Bruneton, 2001).

Un fournisseur de laque sur internet :
http:www.jutado.com/FR/Fkiso.html
et
http:
www.jutado.com/FR/Fhistoir.html

Michel Chauvet :
D’après Perrot (1944) "La laque vraie ou huile de laque du commerce (...) est un latex ou mieux un suc récolté par saignée sur quelques arbres d'Extrême-Orient de la famille des Anacardiacées.
Les arbres à laque sont assez nombreux et donnent des produits diversement appréciés; les principaux sont :
Rhus vernicifera (Urushi du Japon) : Laque du Japon,
Rhus succedanea (Hazé du Japon) : Laque du Japon,
Rhus vernicifera : Laque de Chine,
Melanorrhea sp. ? : Laque de Chine,
Rhus succedanea var. Dumontieri : Laque du Tonkin,
Melanorrhea laccifolia : Laque d'Indochine (Cambodge et Annam),
Melanorrhea usitata : Laque du Siam et de Birmanie.
C'est la laque de cette dernière espèce qui a permis les admirables laquages du dôme du palais de Bangkok dont la couleur or est inaltérable. Les artisans annamites distinguent deux sortes de laque :
a) la laque rouge, obtenue avec un mélange d'huile d'Aleurites (Toung ou Abrasin) et de vermillon, elle est dite Son-do ou Son-son;
b) la laque noire, mélange d'huile de résine de pin d'Annam et de sulfate de fer, dénommée Son-den."

Daniel Guez :
Voici une traduction et interprétation rapide de mes fiches, dont la source principale est Makino (2000), référence majeure ici.
En bref, selon mon dictionnaire quatre espèces d'arbres et trois espèces de plantes herbacées sont utilisés dans la fabrication de la laque urushi (dite "vernis du Japon" au sens des ébénistes). Par contre, les deux "arbres à laque" les plus connus en Europe sont tous deux originaires de Chine (même si plantés au Japon depuis des siècles). De nombreux japonica pourraient ainsi être rebaptisés “ siniquement ”.
1) Le"petit Vernis", petit par la taille (7 m), mais le plus célèbre pour sa laque. Il serait "spontané en Chine et en Himalaya" . C'est le Rhus verniciflua de Stockes. Comme la plupart des arbres économiquement importants, il fut introduit au Japon (beaucoup) et en Inde (moins ?) depuis fort longtemps. Son nom japonais est urushi (terme aussi célèbre que "kimono" ou "bone china" dans les milieux spécialisés) et le savoir faire des Nippons est certainement pour beaucoup dans sa renommée (et dans la confusion des noms!). Il est célèbre, surtout, par l'enrichissement des "dealers" en "japanesques", surtout des importateurs François et Grands Bretons... La laque du Japon était également plus chère pour la raison non-avouable qu'il fallait l'acheter normalement, alors que celle de Chine était souvent extorquée manu militari (le Japon n'ayant pas été occupé par les "barbares rouges", entendez par là notre autonyme "les blancs").
2) Le "grand vaincu" (10-15m), c'est l'Ailanthus altissima de Swingle. Il fut aussi introduit de Chine au Japon en 1870 (Makino, 2000), ou 1875 (Hayashi & Azekami, 1985), sous le nom de shin-ju. C'est le nom botanique officiel japonais pour Makino (2000). Niwa-urushi est adopté par le rédacteur du " Yama-kei' (niwa= jardin + urushi = Rhus). Ce dernier nom, "des jardins", ne prêche pas en faveur d'une utilisation comme arbre à laque.
Si l'usage de l’Ailante comme arbre à laque était important, je suppose que Hayashi & Azekami (1985) l'auraient mentionné... Pour le passé, rien n'est attesté non plus par ce que j'ai lu. Makino (2000) ne parle que de botanique et d'étymologie. Dans Hayashi & Azekami (1985), en plus de Rhus verniciflua (introduit), on ne signale clairement l'usage de vernis que pour deux espèces indigènes:
Rhus silvestris (yama-hazé, ou urushi-zuta) "...pour sa teinture brun jaunâtre";
Rhus succedanea (hazé-no-ki, et nombreux noms vernaculaires qui attestent de son importance) : dont on tire aussi le vernis.
Et moins clairement pour Rhus ambigua : "Spontané en montagne au Japon, présent à Taïwan, Sakaline, Chine a les mêmes propriétés que l'urushi et cause également des dermatites".
Enfin, on ne dit rien de l'usage d'Ailanthus altissima (importé) . (N.B. : ce qui confirme que l’Ailante n’a jamais été utilisé nulle part comme arbre à laque)

Br. Cornier :
Toxicodendron vernicifluum, urushi en japonais, peut très logiquement être dénommé en français "Vernis du Japon", même s'il n'est pas originaire de ce pays, l'usage culturel étant ici déterminant.


2.2.3. La toxicité de la sève de Toxicodendron vernicifluum et de la laque
(toxicité parfois attribuée par erreur à l’Ailante du fait de la confusion évoquée plus haut (cf. §
1.3.))

Fabien Zunino :
Bruneton (1993) :
Le suc de cette espèce, le kiurushi (d'où " urushiol "), renferme des composés du même type que les autres Toxicodendron, ce qui explique les dermatites décrites chez certaines personnes après manipulation ou contact avec la laque ou des objets en bois laqué. D'autres espèces, indigènes, sont également susceptibles de provoquer des dermatoses: c'est le cas du fustet ou arbre à perruques (Rhus cotinus L.) du sud de la France.

Michel Chauvet :
Diderot & d'Alembert (1765) :
VERNIS DU JAPON, (Art exotique)... le jus du Vernis, tant de celui du Japon que de celui de Siam, a une odeur forte qui empoisonneroit ceux qui l'emploient, leur causeroit de violens maux de tête, & leur feroit enfler les lèvres, s'ils n'avoient soin de se couvrir la bouche & les narines avec un linge, quand ils le recueillent.
Précaution nécessaire à la récolte du vernis. Il y a des précautions à prendre pour garantir les ouvriers des impressions malignes du vernis. Il faut avoir préparé de l'huile de rabette, où l'on aura fait bouillir une certaine quantité de ces filamens charnus qui se trouvent entremêlés dans la graisse des cochons, & qui ne se fondent point quand on fait le saindoux. Lorsque les ouvriers vont placer ces coquilles aux arbres, ils portent avec eux un peu de cette huile dont ils se frottent le visage & les mains le matin ; lorsqu'après avoir recueilli le vernis, ils reviennent chez les marchands, ils se frottent encore plus exactement de cette huile. Après le repas, ils se lavent tout le corps avec de l'eau chaude, dans laquelle on a fait bouillir de l'écorce extérieure & hérissée de chataignes, de l'écorce de bois de sapin, du salpêtre crystallisé, & d'une herbe qui est une espèce de blete qui a du rapport au tricolor. Toutes ces drogues passent pour être froides. Chaque ouvrier remplit de cette eau un petit bassin, & s'en lave en particulier ; ce bassin doit être d'étain. Dans le tems qu'ils travaillent près des arbres, ils s'enveloppent la tête d'un sac de toile qu'ils lient autour du cou où il n'y a que deux trous vis-à-vis des yeux. Ils se couvrent le devant du corps d'une espèce de tablier fait de peau de daim passée, qu'ils suspendent au cou par des cordons, & qu'ils arrêtent par une ceinture ; ils ont aussi des bottines de la même matière, & aux bras des gants de peau fort longs.
Maladie qu'il occasionne. Il en coûte cher aux ouvriers qui recueillent le vernis, quand ils négligent de prendre les précautions nécessaires dont nous venons de parler. Le mal qui les attaque commence par des espèces de dartres qui leur couvrent en un jour le visage & le reste du corps : bien-tôt le visage du malade se bouffit, & son corps qui s'enfle extraordinairement, paroît tout couvert de lèpre. Pour guérir un homme attaqué de ce mal, on lui fait boire d'abord quelques écuellées de l'eau droguée dont les ouvriers se servent pour prévenir ces accidens. Cette eau le purge violemment. On lui fait ensuite recevoir une forte fumigation de la même eau, en le tenant bien enveloppé de couvertures, moyennant quoi l'enflure & la bouffissure disparoissent ; mais la peau n'est pas si-tôt saine ; elle se déchire en plusieurs endroits, & rend beaucoup d'eau. Pour y remédier on prend de cette espèce de blete qui a du rapport au tricolor : on la sèche & on la brûle ; puis on en applique la cendre sur les parties du corps les plus maltraitées. Cette cendre s'imbibe de l'humeur âcre qui sort des parties déchirées ; la peau se sèche, tombe, & se renouvelle.

Jean-Claude Bonnin :
Traduction de Bretschneider dans Roi (1955), De la difficulté de la récolte de la résine de Rhus verniciflua :
"Le vernis, lorsqu'il coule, exhale des vapeurs malignes, dont les ouvriers ne se garantissent qu'en usant de préservatifs et de beaucoup de précautions. Le marchand qui les emploie est obligé de tenir toujours chez lui un grand vase rempli d'huile de rabette, dans laquelle on a fait bouillir une certaine quantité de ces filaments charnus qui se trouvent mêlés dans la graisse de porc, et qui ne fondent point avec le saindoux. Lorsque les ouvriers vont adapter les coquilles aux arbres, ils emportent avec eux un peu de cette huile, dont ils se frottent le visage et les mains; ce qu'ils pratiquent avec plus d'exactitude encore quand ils vont recueillir, le matin, le vernis qui a découlé pendant la nuit. Après le repas, ils se lavent le corps d'une eau chaude, dans laquelle on a fait bouillir des écorces de châtaignes et de bois de sapin, du salpêtre cristallisé et quelques autres drogues. Lorsqu'ils sont occupés autour des arbres, ils s'enveloppent la tête d'un petit sac de toile, auquel on a pratiqué deux trous, et se couvrent le devant du corps d'une espèce de tablier fait de peau de daim passée, qu'ils suspendent au cou par des cordons et qu'ils assujettissent avec une ceinture. Ils chaussent des bottines, et portent aux bras des gants faits de la même peau. Les plus funestes effets puniraient bientôt l'ouvrier téméraire qui oserait travailler à la récolte du vernis sans user de ces précautions. Le mal se déclare par des dartres qui deviennent d'un rouge très vif, et s'étendent en fort peu de temps : bientôt le corps s'enfle avec violence, la peau se déchire et se couvre d'une lèpre universelle. Le malade ne résisterait que peu de jours aux douleurs aiguës qu'il éprouve, s'il ne trouvait un prompt remède dans les préservatifs mêmes dont on se sert contre les vapeurs et les émanations malignes du Vernis."

Br. Cornier :
D'après la Flore forestière française (Rameau et al., 1993) : Ailanthus altissima est une "plante à sève toxique"
Dans "Plantes et drogues à poisons" (Anonyme, 1973) "Le suc de l'Ailante est irritant. Même en coupant des branches, on risque des éruptions cutanées..."
D'après Lieutaghi (1969) : "L'Ailante contient un suc toxique, irritant, qui peut produire des éruptions cutanées; ceux qui le taillent devront s'en souvenir (...)"
Sous réserve, ici encore, que ces ouvrages récents n'aient pas repris des indications anciennes confondant les informations concernant les deux espèces.
Question : Des données récentes confirment-elles la toxicité de l'Ailante ? Depuis que cet arbre s'est répandu en France, connaît-on des cas d'incidents ou d'accidents liés à la taille de cet arbre ?

Jean-Claude Bonnin :
Ailanthus altissima Miller, glandulosa Desf. n'a pas de toxicité humaine par sa sève contrairement au Rhus verniciflua ou aux Toxicodendron. Utilisé comme plantes d'ornement, surtout après avoir gagné les USA, envahisseurs de biotopes divers, employé comme charbon de bois ou bois tendre à travailler, l'Ailante a même abrité des essais de cultures de ver à soie. Ses effets néfastes : il est allergisant par son pollen et d'odeur forte, le fameux glandulosa, qui peut incommoder certaines personnes. Il est vrai aussi que les métabolites chimiques puissants lui assurent un pouvoir élevé de compétition vis à vis de nombreuses autres plantes.

Yann Dumas :
J'ai parcouru la bibliographie mondiale à laquelle j'ai accès, et je n'ai pas trouvé grand chose de toxique pour les animaux ou l'homme dans l'Ailante (contrairement au Toxicodendron). Seules ont été découvertes des propriétés insecticides sur larves de coléoptères (Pascual-Villalobos, 1998). Les autres propriétés répulsives sur les insectes, médicinales (quassinoides) et herbicides (allélopathie) avaient déjà été signalées par Jean-Claude Bonnin.
De plus, j'ai déjà joué au bûcheron avec de l'Ailante sans jamais avoir de problème cutané. En revanche, je confirme que le qualificatif “ frêne puant ” lui convient très bien.

Br. Cornier :
Sauf nouvelles informations contraires, on peut penser que ces indications sur la toxicité de la sève de l'Ailante sont erronées, et que l'origine de l'erreur provient de la confusion entre Ailante et vrai Vernis du Japon.


3. OĂą voir lÂ’Ailante et le Vernis du Japon?

3.2. LÂ’Ailante

3.1.1. OĂą pousse lÂ’Ailante ?

Br. Cornier :
En France, Suisse ou Belgique, où pousse-t-il ce fameux Ailante ? Dans la Loire, je ne le connais que dans des zones industrielles anciennes dans l'agglomération de Saint-Etienne et la vallée du Gier... ainsi que dans les rues de villes (pas forcément planté). Il est présent , également, depuis longtemps dans l'agglomération lyonnaise. Je l'ai toujours observé dans des milieux fortement anthropisés. Jamais, je ne l'ai vu s'implanter ici dans des milieux naturels non perturbés. Dans le département de la Loire, nous ne sommes pas dans la région méditerranéenne, même si nous n'en sommes pas loin (via la vallée du Rhône que borde le sud du département). L'Ailante est considéré comme une espèce envahissante dans la région méditerranéenne... Est-ce qu'il s'implante spontanément dans des milieux naturels dans cette région et ailleurs en France, Belgique ou Suisse ? (Et si oui, dans quels types de milieux ? Vient-il concurrencer la végétation indigène ?)
Bref, en milieu perturbé ou non, où pousse l'Ailante ?

Eric Imbert :
[Dans la région méditerranéenne] on en trouve des populations relativement importantes généralement en bordure de route.

André Bervillé :
L'Ailante pousse aussi en terrains très humides, dans les fossés qui bordent les étangs (Lattes, Mauguio, ...) où il pue tout autant ...

Peter A. Schäfer :
Dans les alentours de Montpellier, on le rencontre assez souvent en bordure de route ou de chemin ; facilement sur des tas de cailloux. S'il n'est pas coupé, il semble mourir tout seul après un certain nombre d'années. Le peuplement sublinéaire le long de la route, si elle est bordée par une végétation assez dense, peut s'étaler si la végétation est trouée et perturbée.
Globalement, l'espèce ne me paraît pas très envahissante dans la région, mais je connais des gens qui s'en plaignent pour des terrains sporadiquement entretenus où ils repoussent mieux après chaque débroussaillage.

Christophe Bonnet :
A la sortie de Draguignan (83), il envahit le "nouveau" talus de la quatre voies qui mène au Muy. A Puimoisson, il (re)colonise sans relâche le talus d'un chemin régulièrement débroussaillé et déborde petit à petit dans l'oliveraie mitoyenne. J'ai prélevé une dizaine de petites pousses (une dizaine de cm) avec un bon bout de stolon (30 cm) que j'ai mis dans plusieurs coins qui me semblait jouables (prairie tondue deux fois par an, talus de chemin débroussaillé et entretenu, bord de mare…). C'est tout mourru… sniff ! J'aime bien le feuillage de l'Ailante à l'automne.

Michel Chauvet :
L'Ailante est facile à repérer en ce moment (fin mars 2002), avec ses jeunes feuilles de couleur orange / chocolat au lait. Il est commun sur la voie rapide entre Gignac et Montpellier. En bord d'autoroute, d'ailleurs, il ne gêne personne et coûte moins cher que de s'échiner à planter des ornementales dont la moitié crève. Et, lui, au moins, il n'a pas besoin de ces affreux paillages plastiques noirs qui caractérisent de plus en plus ce qu'on ose appeler des "espaces verts".

Christophe Bonnet :
Je suis plutôt d'accord sur "l'avantage" que présente l'Ailante de végétaliser les remblais et talus qui, sinon, resteraient un peu tristounets. En ce qui concerne l'oliveraie de Puimoisson, celle-ci touche par un coin le talus routier. Depuis dix ans que je passe devant en allant acheter mon pain, l'Ailante ne semble pas vouloir (pouvoir ?) s'étendre à plus d'une dizaine de mètres à l'intérieur de l'oliveraie. Il pousse alors entre les racines du premier olivier occupant le coin de cette oliveraie, ce qui ne semble pas gêner ce dernier outre mesure. Au moment de la récolte, il ne me semble ni moins ni plus chargé d'olives que les autres. Par contre, il demande un surcroît de travail à l'agriculteur qui doit d'abord couper les drageons, autant pour accéder à l'olivier (taille et récolte) que, je pense, pour éviter que l'Ailante ne grandisse. Une autre observation sur la route entre Ampus et Vérignon (au dessus de Draguignan). : il y a quelques pieds d'Ailantes au milieu de taillis de chênes verts. Là, on est en pleine “ cambrousse ” (mais à quelques mètres de la route). On n'observe pratiquement pas de rejets, et, quand ils existent, ils crèvent en général rapidement. Il ne me semble pas invasif dans ce cas, se contentant d'occuper quelques trouées de la chênaie.

Br. Cornier :
Vus autour des Vans dans le sud de l'Ardèche, il y a quelques jours (juillet 2002), des Ailantes portant des fructifications en abondance. Les graines semblent bien formées, mais je n'ai pas vu d'Ailante à l'écart des routes. Je ne vois pas ce qui peut empêcher ces graines de germer. L'espèce devrait donc pouvoir s'installer et progresser au milieu de la végétation naturelle... mais il semble que ça ne soit pas le cas (mon observation a été rapide).

Jean-Charles Granger :
D'après les souvenirs de mes cours de botanique et des quelques mois passés à la Société Botanique d'Ardèche, je crois que l'Ailante s'installe ET progresse sans problème dans ce secteur, au point de remplacer une partie de la végétation qu'on s'attend à trouver en temps ordinaire... Je n'utiliserais pas le terme d'invasif, pour ne pas me faire reprendre, mais j'y pense très fort quand même.

Philippe Durand :
Dans le sud du Tarn, l'Ailante est fréquent : dans des parcs et jardins où il a été planté (ce que regrettent souvent les propriétaires, vu le côté plus qu'envahissant de l'espèce), sur les talus le long des routes ou des voies ferrées, sur les berges graveleuses des rivières, etc. Il semble préférer un sol bien drainé.

Yann Dumas :
Un propriétaire de la Sarthe m'a appelé un jour pour me demander comment se débarrasser de 2 ha de drageons d'Ailante... L'espèce est donc présente dans ce département ! Dans le Loiret, on la rencontre sur les talus non entretenus le long des routes, en gros, là où l'on pourrait trouver de la Renouée du Japon (sauf que celle-ci supportant plusieurs broyages par an, elle colonise aussi les fossés).

Christian Gauvrit :
Depuis quatre ans, passent devant mes yeux des dossiers préparés par l'industrie phytosanitaire pour évaluer l'efficacité des herbicides. Je n'ai jamais vu l'Ailante mentionné dans des essais en cultures annuelles. Je ne l'ai pas non plus vu en cultures pérennes (vigne ou arboriculture) que ce soit en zone nord ou sud. Par contre, il est parfois cité en désherbage de zones non agricoles. Il semble bien aimer les emprises SNCF, pas forcément perturbées, et la moitié sud de la France jusqu'à Lyon dans le couloir rhodanien.
L'Ailante prospère dans la région dijonnaise. À en juger par son abondance sur les remblais de chemins de fer ou les bretelles de voies rapides, on peut penser qu'à une époque il a été très populaire à la SNCF et la DDE locales.
Ceux qui poussent devant mon immeuble ont été taillés à ras cet hiver, et arborent en juillet des rameaux de 2-3 m. Apparemment, des températures de - 10 à - 14 °C pendant une semaine, avec gel du sol sur 15-20 cm ne font pas peur à l'Ailante.
J'attendais, pour envoyer ce courrier, de pouvoir juger d'une tentative d'éradication sur un remblai SNCF situé dans Dijon (Place Suquet). L'affaire a été menée en février avec dessouchage. Dès le mois de mai, de beaux drageons repartaient de la surface traitée… ils continuent de pousser.

Br. Cornier :
D'après ce message, l'Ailante ne semble pas poser de problème en agriculture. Quant aux emprises SNCF, il est fort probable que l'Ailante n'y soit pas venu tout seul... Il a certainement été utilisé pour stabiliser les remblais et talus et ceci, déjà, par les compagnies qui ont précédé la SNCF (PLM pour la région méditerranéenne et le couloir rhodanien). Dans Mouillefert (1892 à 1898), on peut lire : "Cet arbre est avantageusement utilisé pour maintenir les terrains meubles en pente, tels que les remblais, les talus de chemin de fer et de routes, les berges des torrents et les atterrissements de ces mêmes cours d'eau"…. "Les sujets d'un certain âge résistent aux plus grands froids à 25° et même 30° au dessous de zéro, comme en 1879". Cela doit donc faire longtemps que l'ONF (et les Eaux et Forêts, auparavant) propose des graines d'Ailante à la vente. J'ai aussi jeté un oeil sur les catalogues 1978-1980 de grandes pépinières angevines (Plandanjou, Minier) : ils proposaient une bonne palette de tailles et calibres pour Ailanthus altissima (semis d'un an, repiqué de deux ans de 25 à 90 cm, baliveaux de 200 à 250 cm, et en tige de 6 à 18 cm de diamètre à 1 m du sol... il y en avait donc pour tous les types de plantations...) ; un petit tour sur le web permet aujourd'hui de le trouver aussi dans les catalogues en ligne de plusieurs pépinières.


3.1.2. L’Ailante, espèce envahissante ?

Br. Cornier :
Bournérias (1987) citait l'Ailante parmi les "véritables "pestes" concurrençant la végétation indigène" (avec le Buddleja et d'autres). Aboucaya (1997) situait l'Ailante dans la "liste 1" pour les secteurs méditerranéen et atlantique et dans la "liste 2" pour le secteur continental; avec ces précisions :
"Liste 1 : Taxons introduits récemment et établis de façon permanente (naturalisés), croissant dans des communautés végétales naturelles ou semi-naturelles, et tendant à éliminer des taxons indigènes, ou à perturber profondément, voire détruire, des habitats ou causant de graves problèmes à la santé humaine ou à certaines activités économiques.
Liste 2 : Taxons xénophytes ne remplissant pas l'ensemble des conditions précédentes, mais dont les observations actuelles font soupçonner qu'ils seront susceptibles de le faire tôt ou tard."

Il ne semble pas que l'Ailante pose de graves problèmes à la santé humaine, alors :
  • En quoi pose-t-il de graves problèmes Ă  des activitĂ©s Ă©conomiques ? DÂ’après Christian Gauvrit, il ne dĂ©borde pas facilement, ni souvent, sur des surfaces agricoles. Christophe Bonnet donnait l'exemple d'une oliveraie, est-ce frĂ©quent ? ( Quelle autre activitĂ© Ă©conomique peut-il gĂŞner ?)
  • Les exemples de localisation et de milieux donnĂ©s dans les messages de ces derniers jours situent plutĂ´t l'Ailante dans des communautĂ©s vĂ©gĂ©tales "semi-naturelles" (et dans des milieux dĂ©jĂ  perturbĂ©s). En quoi peut-il Ă©liminer des taxons indigè


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